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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Balzac était payé à la ligne, et par moments il a l'air de prendre plaisir à nous le rappeler. On croirait voir jaillir des pages son visage robuste, paré d'une moue ironique, pour s'exclamer : « voyez, il ne s'est encore rien passé, voila cinquante pages que je meuble et vous en êtes conscient, et pourtant vous goutez votre lecture ! » Telle est la magie de sa plume. Disons seulement qu'il faut attendre le tiers de ‘La rabouilleuse' avant qu'apparaisse la dite rabouilleuse…

Une brave mère a deux fils : l'un peintre de métier et du naturel le plus honnête du monde ; l'autre ancien officier de Napoléon mis à la retraite par le retour des Bourbons, qui n'est plus qu'une épave de débauché dénuée des scrupules les plus élémentaires. Devinez lequel elle aime et lequel elle adore plus que sa propre vie… Et devinez les problèmes que cela peut causer, quand on est une veuve sans le sous.

Or d'inquiétantes nouvelles lui parviennent de sa ville de province natale (vous saurez TOUT d'Issoudun). Son frère, resté là-bas, est mené par le bout du nez par sa bonne, une beauté locale ; et pour compléter celle-ci a pris pour amant un ancien soldat beau comme Pâris. Ce petit ménage à trois fait scandale, et bien plus grave, risque fort de faire passer sous le nez de la veuve l'héritage familiale ! Une expédition de secours se monte…

Un excellent Balzac, plein de verve et de traits d'ironie. Son fervent royalisme s'y dispute avec la compassion et l'admiration pour les déchus de l'empire, anciens soldats ayant vu les rois s'incliner devant leurs drapeaux, aujourd'hui épaves ruinées par la débauche, bon à riens faisant les cents coups, ou simples pères de famille confis dans l'ennui. Ils ont en commun de ne pouvoir se réhabituer à la terre après avoir touché le ciel. Parce qu'ils sont peints par Balzac, ou parce qu'ils ont inspiré Balzac ?
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Je ne suis pas experte, mais j'ai l'impression avec cette Rabouilleuse d'avoir entr'aperçu une belle part de l'incommensurable talent du grand Balzac.
C'est qu'il y en a, dans ce roman dense et trépidant, et pour tous les goûts :

Thriller familial, sur fond de captation d'héritage par manipulation d'un vieil oncle simplet ;
Scène de la vie de province, dans une Issoudun engourdie dans son immobilisme, refermée sur elle-même et ses cancans de quartiers ;
Tableau de famille, dont l'argent tient bien sûr le rôle de ciment, avec une mère faible et christique, déshéritée par son père, désargentée par son fils aîné mais soutenue jusqu'à la mort par son cadet ;
Peinture d'une époque politique trouble, entre déclin de Napoléon et retour des Bourbons, entre amoralité assumée et retour de la religion ;
Confrontation de caractères épiques enfin : ceux des deux frères que tout oppose, Joseph l'artiste pur contre le cynique et malveillant Philippe, ancien soldat de l'empereur, mais surtout la confrontation entre ce dernier et le couple Flore Brazier la Rabouilleuse et son amant, dans une lutte à mort pour l'héritage qui verra le plus machiavélique et le plus amoral triompher.

Et notre pauvre rabouilleuse là-dedans ? Une jolie cocotte de province bien retorse et manipulatrice, mais pas assez encore pour pouvoir suffisamment troubler l'eau de la rivière devant plus infâme et féroce qu'elle.
Captivant et bien sûr, désespérant sur la nature humaine !

Challenge XIXème siècle édition 2018
Challenge Multi-défis 2018
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C'est toujours avec bonheur que je me replonge dans Balzac, le lycée n'ayant pas réussi à m'en dégoûter, et pourtant ! de plus, castelroussine d'adoption j'ai apprécié ce roman qui se passe à Issoudun et qui m'a permis de découvrir pas mal de choses concernant cette région au XIXème.
La Rabouilleuse, du surnom de cette femme qui agite l'eau pour faire fuir les écrevisses dans la direction de ceux qui vont les capturer est à mon avis un des meilleurs romans de la Comédie Humaine, concis, plein de rebondissements jusqu'à la fin, sans trop de descriptions qui perdent le fil du récit, et en même temps une analyse de l'âme humaine et de ses ressorts très subtile, où les immoraux finissent par s'entredétruire après avoir fait le malheur de leurs proches dans une morale logique et cohérente qui se suffit à elle-même.
On pourrait regretter la fin un peu "fleur bleue" où le fils bon mais négligé par sa mère se voit hériter des biens du mauvais fils, demeurant seul survivant de sa famille, si on n'y sentait pas l'ironie corrosive d'un Balzac en grande forme, grand pourfendeur de la bourgeoisie et du monde de l'argent, qui en démonte une fois de plus les mécanismes avec une lucidité impitoyable et je dirai même prémonitoire.
Fils lui-même mal aimé, on sent qu'il a mis beaucoup de lui dans le personnage de Joseph, le bon fils, résigné à être le mal-aimé et l'incompris de sa mère. Et c'est peut-être ce qui m'a le plus touché dans ce livre. Pauvre grand homme que notre Balzac si humain et quelque part si proche de nous dans son génie à la fois fragile et puissant.
S'il semble avoir pitié des gentils naïfs qui se font avoir, il n'en dénonce pas moins leur bêtise. Et s'il condamne ses personnages infâmes, retors et machiavéliques, il n'en a pas moins pour eux une sorte d'admiration, une sorte de petit sourire en coin, fasciné qu'il est par cette Comédie Humaine qu'il dénonce.
A redécouvrir, pour le bonheur de ces reflexions psychologiques dont Balzac parsème son texte, avec un humour qui rend la lucidité moins amère. Quoique...


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Relecture de la Rabouilleuse. Rien de tel qu'un géant comme Balzac pour avoir son content de vitamine littéraire. Puissance du style, vérité des caractères et des milieux sociaux... le tout sans une once de gras: la moindre phrase est justifiée, et l'action se déploie avec une totale efficacité. Un réel plaisir de se retremper dans la prose roborative du cher Honoré ! Je parlais de vitamine: c'est d'autant plus vrai que l'envie prend au lecteur d'aller casser la croûte à Issoudun, où l'auberge La Cognette (l'un des lieux essentiels du livre), qui existe toujours, est fort fréquentable. Bon appétit !
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Edition de René Guise

ISBN : 9782070357369


Il y a, sur ce forum, de bien meilleurs connaisseurs De Balzac que je ne le serai jamais. Néanmoins, parmi les ouvrages de cet auteur que j'ai lus et appréciés, "La Rabouilleuse", qui sortit initialement sous le titre "Un Ménage de Garçon", frise à mes yeux la perfection absolue. Ici, aucune de ces envolées mélodramatiques qui, en le datant irrémédiablement, m'empêchent trop souvent d'entrer dans le texte. La construction, avec ses trois parties bien visibles quoique non formelles - Paris, Issoudun I, Issoudun II - et son épilogue qui revient dans la capitale, donne à l'ensemble une fermeté, une sûreté dans la progression qui ne laisse pas un seul temps mort. Quant aux personnages, peut-être parce que Mme Brideau et la préférence qu'elle porte à Philippe, son aîné, ne sont pas sans évoquer les problèmes familiaux De Balzac lui-même, ils réussissent le tour de force de rester, y compris dans les moments où le drame qu'est "La Rabouilleuse" risque de sombrer dans le mélo, d'un réalisme confondant. A mon avis, plutôt que de contraindre des élèves exaspérés et peu motivés à lire le martyre du Père Goriot ou même le triste destin d'Eugénie Grandet, on devrait leur proposer "La Rabouilleuse" et ce Méchant infâme, ignoble, terrifiant mais fascinant qu'est le capitaine Philippe Brideau.

Même si on ne peut que honnir sa conduite envers les siens et, de façon générale, envers son entourage à partir du moment où il estime que celui-ci lui fait de l'ombre, Philippe Brideau est un méchant royal. Il y a du grandiose, du démesuré en lui - du balzacien dans l'essence la plus pure du terme. N'hésitons pas à le proclamer : il est de la taille des Vautrin mais, pour une raison inconnue - peut-être l'éternelle dictature des programmes scolaires - il a rarement droit à cette reconnaissance. de quoi le faire crier une fois de plus à l'injustice, cette fois littéraire, mais, en ce domaine, le lecteur lui est et lui restera acquis.

Brideau ne pense qu'à lui, ne vit que pour lui. Balzac le dépeint comme un de ces jeunes sous-officiers qui doivent tout à l'Empire et qui, à la chute de Napoléon Ier, se mettent à divaguer, telles des boussoles qui auraient perdu le Nord. L'une des rares qualités que son créateur reconnaisse à Philippe, c'est son courage physique, proche d'ailleurs de l'inconscience. Il n'a pas peur des coups et aime à en donner. (Il meurt en Algérie avec une bravoure exemplaire, préférant se laisser tailler en pièces par des rebelles arabes plutôt que de reculer d'un pas.) Hélas ! A ce courage hors de pair, ne répond, au moral de notre personnage, que la plus absolue, la plus constante canaillerie : le courage moral, Philippe Brideau ne connaît pas. Il ment, trompe, vole, pille, dépouille avant tout ceux qui l'aiment ou s'entêtent à le voir meilleur qu'il n'est. Et tout ça, sans l'ombre d'un seul remords. Cynique, égoïste, monstrueux de narcissisme, il va son chemin, prêt à fouler n'importe qui aux pieds (et, ensuite, à détrousser son cadavre) pourvu que cela arrange ses petites affaires.

Face à un tel personnage, Flore Brazier, la "Rabouilleuse" du titre, ne fait pas le poids. Son amant lui-même, ce Maxence Gilet dont le parcours personnel offre une ressemblance frappante avec celui de Brideau, ne sera pas de taille. A sa façon, Gilet est, lui aussi, un "affreux" mais jusque dans l'abîme, il y a des nuances et Maxence, si criminel, si vicieux qu'il se révèle, reste inférieur à son rival. D'ailleurs, Brideau finira tranquillement par le tuer dans un duel auquel il l'aura plus ou moins acculé.

Comme la lumière répond à l'ombre, Joseph, le fils cadet d'Agathe Brideau, campe, face à son frère dénaturé, la figure du Bon Fils. Aussi laid que Philippe est séduisant, aussi tendre que l'autre est coriace, aussi aimant que l'autre demeure insensible et occupé par sa seule personne, Joseph symbolise en outre l'artiste - en l'occurrence le peintre - tel que le conçoit Balzac. Amoureux du beau et de la création artistique, Joseph ne saurait être mauvais. Bien que se sachant le mal-aimé de la fratrie, il vénère sa mère et la soutient par tous les moyens. Sans lui, Agathe vivrait et mourrait dans la misère la plus noire. Mais Joseph est là et il la protège, la consolant toujours à chaque mauvais coup de Philippe, allant jusqu'à acquiescer aux excuses que cherche à ce dernier sa malheureuse mère, et assurant le pain du ménage avec gaieté et bonhomie. C'est lui qui, avec sa mère, se rend le premier à Issoudun pour tenter de repousser les manoeuvres captatoires de Flore et de son amant. Evidemment, devant le couple infernal d'une part et la faiblesse honteuse de Jean-Jacques Rouget, le frère fortuné d'Agathe, d'autre part, Joseph et sa mère, trop gentils, trop candides, qui ne jugent les autres que sur eux-mêmes, se font tranquillement rouler dans la farine. C'est la raison pour laquelle, après un énième rabibochage avec Philippe, ils délèguent celui-ci à leur place, pour tenter de réparer les dégâts. le capitaine Brideau n'y réussira que trop bien ...

Si vous voulez connaître la suite de ce roman nerveux, captivant, mené pour ainsi dire tambour battant par un Balzac au mieux de sa forme, lisez "La Rabouilleuse". Vous ne serez pas déçus. Notez au passage qu'un film en fut tiré par Louis Daquin en 1960, sous le premier titre de "Les Arrivistes", avec Jean-Claude Pascal dans le rôle de Brideau l'Infâme et Madeleine Robinson dans celui de Flore. Les dialogues sont signés Philippe Hériat. ;o)
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"La Rabouilleuse" est un roman d'Honoré de Balzac, divisé en trois parties.
La première est plutôt moyenne ; la deuxième est relativement réussie ; et dans la troisième, j'ai retrouvé le Balzac magique des "Illusions perdues" et du "Père Goriot".
La première partie n'est pas ce que j'ai vu de pire en littérature, certes ; mais elle est baroque, confuse, désuète. Les personnages y sont mis en scène de façon caricaturale… Bof !...
La deuxième partie est plus réussie. On commence à retrouver un petit peu le grand littérateur qu'est Balzac, ce merveilleux sociologue qui décrypte toute la société du XIXème siècle, ce merveilleux psychologie qui mit sa connaissance profonde du coeur humain dans ( presque ) tous ces personnages, ce merveilleux littérateur, tantôt tragique, tantôt comique, qui sait soulever mon coeur de tant d'émotions. Cette deuxième partie n'est pas parfaite, mais, néanmoins, on sent que c'est Balzac qui l'a faite.
La troisième partie est du Balzac pur et simple : parfaitement construit, dramatique, avec la plume incisive de l'écrivain, de cet auteur merveilleux, de cet Ecrivain avec un E majuscule que fut l'immense Balzac.
Bref, voilà un ouvrage avec des défauts certes. Toutefois, personnellement, je pense que les défauts sont largement compensés par les qualités.
Ce n'est pas un ouvrage indispensable à l'homme qui veut découvrir la Comédie Humaine, mais il s'agit d'un bon livre, néanmoins.
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Les profs de français nous rebattent les oreilles des fameuses "descriptions" De Balzac, quand ils ne nous obligent pas à lire "La peau de chagrin" ou "Le lys dans la vallée", certainement pas les meilleurs Balzac.
Alors que "La rabouilleuse" est un roman vivant, rapide, imagé, excitant... tout en étant aussi instructif et fouillé que certains pensums du grand Honoré.
Et puis, ce Philippe Brideau, infâme dans la vie de tous les jours, qui se révèle un intriguant de génie et un redresseur de torts d'une brutalité inouïe !
Bref, un grand Balzac, dans la lignée du "Père Goriot" et de ses suites...
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Quel bonheur toujours renouvelé, de plonger dans l'univers des grands auteurs du 19ème siècle. J'avoue avoir un peu plus de mal à lire Balzac que les autres. Et lire Balzac me fait toujours penser à Colette, qui a lu Balzac très jeune : "C'est mon berceau, ma forêt, mon voyage" à-t'elle dit. Voilà, je pense que je n'ai pas lu Balzac assez jeune !
La Rabouilleuse est un des romans les moins connus De Balzac. Pourtant le fil de l'intrigue est assez simple : deux canailles issues de bonnes familles, Philippe et Max, anciens Dragon et Grenadier de la Garde impériale napoléonienne, se disputent une succession : celle du Docteur Rouget, bourgeois licencieux, qui a recueilli quelques années auparavant une petite beauté miséreuse, Flore, devenue entre-temps sa servante-maîtresse. Celle-ci est amoureuse de Max et tout finira mal pour eux.
Autour d'eux, gravitent des personnages au coeur pur, qui incarnent les plus belles qualités morales. Exceptionnelle galerie de portraits et description désenchantée que celle de ces grandes âmes qui, par leur aveuglement, favorisent les appétits les plus cyniques. L'enfer est pavé de bonnes intentions, c'est bien connu.
Alors pourquoi "La Rabouilleuse" est-elle peu aimée ? Serait-ce en raison du lieu de l'intrigue, cette province berrichonne ensevelie sous les "disettes", les racontars ? Où les soldats devenus inutiles et inemployés, sont réduits à une quasi misère et subsistent uniquement grâce à leur demi ou quart de solde. Pour tromper l'ennui, ils s'organisent en bande farceuse, "les Chevaliers de la Désoeuvrance", et sèment la frayeur dans la petite ville d'Issoudun, qui connut son heure de gloire au temps de l'empire romain, mais se trouve maintenant assoupie comme une Belle au bois dormant.
Et certes, Balzac fait figure d'oiseau de mauvais augure, lorsqu'il dénonce dans sa préface les dangers de « cette société basée uniquement sur l'argent ». Il semblerait pourtant que cela n'ait guère changé au 21ème siècle.


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Nous sommes ici devant une énigme : comment expliquer que ce roman, un des meilleurs de la Comédie humaine, soit aussi peu connu chez nous et mieux perçu à l'étranger ? Comment expliquer pourquoi ce roman, un des plus âpres, un des plus beaux, un des plus évocateurs sur le pouvoir de l'argent, comprenant certains portraits d'hommes et de femmes parmi les plus réussis, abordant les plus grands thèmes balzaciens (l'argent, la famille, l'amour, la gloire et la déchéance, etc.), comment expliquer que ce roman soit relégué au deuxième voire au troisième rang des grands succès De Balzac ? Il y a là un mystère, que Sherlock Holmes lui-même ne saurait résoudre.
Mais peut-être m'emballé-je, peut-être m'abuse-je, peut-être me trompe-je… Il est vrai que j'ai adoré ce roman (bien plus que d'autres mieux côtés comme « le Lys dans la vallée » par exemple) et vous me direz que tout est subjectif, vous aurez raison et j'opinerai sans restriction. Cela dit, je le maintiens, « La Rabouilleuse » est un grand Balzac.
Une « rabouilleuse » dans le parler de la région d'Issoudun (Berry) qualifie une personne, jeune fille généralement qui se sert d'une branche pour ramener les poissons ou les écrevisses vers les viviers. Flore Brazier est une rabouilleuse. Recueillie toute jeune par le docteur Rouget elle est au centre de toutes les intrigues qui tournent autour de la famille du docteur. A sa mort, celui-ci il laisse un fils, Jean-Jacques, et une fille, Agathe. Jean-Jacques prend Flore pour maîtresse qui de son côté prend Maxence pour amant. (Bon, ça, c'est fait !). de son côté, Agathe s'est mariée à Paris avec Bridau, un brave homme qui lui a donné deux fils : Philippe, un ex-soldat de l'Empire devenu demi-solde, débauché et malveillant (un cousin Pons qui serait passé du côté obscur) et Joseph, un peintre au naturel honnête et bon. Les rumeurs venant d'Issoudun n'étant pas favorables (l'héritage étant tout passé à Jean-Jacques et Agathe se trouvant déshéritée), la famille vient voir ce qui se passe dans l'Indre. C'est un fiasco, Jean-Jacques, Flore et Maxence se liguant contre ces empêcheurs d'hériter en rond. Philippe tente sa chance tout seul avec un peu plus de réussite : il tue Maxence en duel, oblige Jean-Jacques à épouser Flore, puis à la mort (opportune) de celui-ci, il épouse à son tour la rabouilleuse qu'il rejette aussitôt sur le pavé de Paris, où la pauvre tombe dans la prostitution, la pauvreté et la mort. Devenu riche et comte, il néglige sa mère malade, et ne peut éviter la conscription : il doit partir pour l'Algérie où il meurt sur un champ de bataille. du coup, toute sa fortune revient à son frère Joseph.
L'argent est bien sûr le thème majeur : l'argent de la succession, qui passe sous le nez d'Agathe, celui qui permet à l'ex-demi-solde de paraître dans le monde, celui qui lui permet de magouiller avec le baron Nucingen. Inversement, c'est celui qui manque cruellement aux autres personnages. Les relations entre membres de la famille forment aussi un bon sujet de discussion : Agathe ne jure que par Philippe et dédaigne Joseph, l'amour maternel étant semble-t-il encore plus aveugle que l'amour tout court. Au milieu de tout cela, nous avons Flore, magnifique portrait d'une femme qui saisit toutes les occasions pour se sortir de sa condition (ne l'oublions pas, elle sort du ruisseau… au sens propre). Femme belle, désirable et désirée, elle joue de ses charmes et volontaire, arrive à ses fins, jusqu'au moment où elle tombe sur plus fin qu'elle, et surtout plus mauvais : l'infâme Philippe !
Balzac ici est au sommet de son art. Il faut vraiment remettre ce roman en lumière. Il contient en filigrane tous les grands thèmes exposés dans la Comédie humaine, et de plus démontre, si besoin en était, à quel point Balzac était un analyste pointilleux de la société de son temps, mais aussi de la nature humaine.
Et que du seul point de vue de l'écriture, il était une sorte de génie.
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« Quelle fosse pleine d'infamies ! » s'exclame, à un moment donné de l'histoire, Joseph, peintre talentueux et fils vertueux – dont sa mère découvrira finalement les mérites, telle une illumination –, opposé au cynique et sans scrupule personnage de Philippe, son frère aîné. Leur mère, la pauvre Agathe, se leurre en effet et s'illusionne de l'aura de son fils Philippe, ancien dragon de la Garde impériale. Une phrase résume la situation : « Joseph adorait sa mère, tandis que Philippe se laissait adorer par elle. »
La Rabouilleuse – qui fait partie des Scènes de la vie de province et doit son nom à une petite paysanne qui, avantagée par un physique superbe, saura creuser son trou mais, trop sûre d'elle, ne se méfiera pas assez de Philippe – oscille entre Paris et Issoudun, c'est-à-dire entre la capitale bouillonnante et la province engoncée dans ses manies, étouffante et périlleuse à qui n'en connaît pas les codes mesquins.
Cette exceptionnelle étude de moeurs, comme seul Balzac sait en concevoir, nous plonge donc dans les affres de l'envie, l'un des sept péchés capitaux. Envie qui rime évidemment avec argent, ce graal maudit que Philippe traque comme un fauve affamé, quitte à provoquer des drames dont il se moque éperdument. Mais Philippe n'est pas qu'un personnage abject : il fait aussi figure d'instrument vengeur du destin à l'encontre de créatures peu recommandables. En cela il est bel et bien un personnage balzacien des pieds à la tête, fait d'une extrême complexité ; laquelle complexité ne trouve, hélas, aucune échappatoire en ce qui le concerne : il révulse. Et contrairement à un Vautrin, auquel on finit par s'attacher, Philippe n'a rien qui le sauve… Mais, comme pour lui interdire de poursuivre plus avant ses méfaits, le destin se chargera de lui d'une manière particulièrement terrible et dégradante.
« le seul service que puisse me rendre la bonne femme est de crever le plus tôt possible », lâche ce fils ingrat à propos de sa mère mourante qui, par son dénuement – dont il est grandement responsable –, dérange ses plans dans le grand monde. Certains critiques ont avancé, non sans arguments, que Philippe était ainsi parce que la désillusion – celle de la chute de l'Empire – et les coups du sort l'avaient façonné dans ce sens. Je leur répondrai que le Colonel Chabert est là pour contredire cette opinion…
Là où Balzac a tendance à s'épancher dans des généralités – que j'apprécie pour ma part –, ici il est d'une concision extraordinaire, laissant aller le fil du récit pour tisser cette toile dramatique qu'est La Rabouilleuse, un chef-d'oeuvre littéraire au passage.
Après la lecture d'un tel roman, parmi les plus réussis De Balzac – c'est dire le niveau ! –, voici ce que Victor Hugo en disait : « Que pourrais-je ajouter à une pensée comme la vôtre ? À ce propos je vous dirai que votre famille Bridau est un tableau de maître, vous le saviez bien, mais je suis heureux de vous le dire. »
Un tableau de maître, en effet, où le vice et la vertu se livrent un combat à armes inégales, où la petitesse des calculateurs, si elle donne l'illusion de la victoire, s'effondre au regard des quelques grandeurs morales qui émaillent le récit. Enfin, il y a la question de la rédemption, qui prend ici plusieurs formes, mais toutes édifiantes…
Un roman incontournable, pour les happy few qui aiment lire… !

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