AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,9

sur 160 notes
Miasino (Italie), années 80. le narrateur, encore enfant, écoute une discussion enflammée qui revient sur la finale des championnats du monde d'échecs qui opposa Bobby Fischer à Boris Spassky à Reykjavik en 1972. Dans le flux des bavardages entre son père et ses collègues psychiatres, une phrase le frappe tel un uppercut : « Il faudrait analyser l'instant où le monde s'est éteint dans son esprit et où seule est restée allumée une lumière qui éclairait un échiquier ». Une phrase saisie sur le vif, qui s'avère être une citation de la « La Défense Loujine » de Vladimir Nabokov. Une phrase qui parle évidemment de Bobby Fischer.

« Le coup du fou » mêle élégamment l'autofiction avec un retour très pointu sur ce fameux « match du siècle » de 1972. Histoire de pimenter son récit à deux dimensions, Alessandro Barbaglia lui en ajoute une troisième en convoquant « L'Iliade » d'Homère, qu'il transpose en support métaphorique de la lutte sans merci pour le titre de champion du monde des échecs que se livrèrent Boris Spassky et Bobby Fischer.

Le roman comporte 21 chapitres, soit le nombre de parties qui fut nécessaire pour départager le génie solitaire américain et le gentleman russe secondé par une armada de conseillers. Pour saisir l'enjeu du combat qui opposa les deux grands maîtres, il faut en restituer le contexte : on est en pleine guerre froide ; depuis la révolution, les Russes ont fait des échecs le symbole de leur supériorité sur le reste du monde ; un génie américain à l'état chimiquement pur vient de se qualifier pour la finale des championnats du monde en écrasant ses adversaires et menace de mettre fin à la suprématie russe. Cet homme, c'est Bobby Fischer.

Le monde entier a les yeux tournés vers Reykjavik où les 64 cases noires et blanches de l'échiquier qui sépare les deux hommes seront le théâtre de l'affrontement entre la Démocratie et le Communisme. Un affrontement qui commence mal pour la Démocratie. Bobby ne se présente pas à la cérémonie d'ouverture, arrive avec plus d'une heure de retard à la première partie, qu'il perd suite à un coup incompréhensible, qui ressemble à une erreur de débutant. La situation empire lorsque Bobby ne se présente pas à la deuxième partie, qu'il perd par forfait. Il est mené 2-0 par le champion du monde en titre, la situation est grave, pour ne pas dire désespérée. Henri Kissinger en personne décroche son téléphone et appelle l'enfant terrible de l'Amérique, un athlète qui mesure plus d'un mètre quatre-vingt-dix, et s'appelle Bobby Fischer.

---

L'auteur ne s'en cache pas. Il a été littéralement hypnotisé par la figure de Bobby Fischer, un homme au QI supérieur à 180, qui a arrêté les études en CE1 pour se consacrer aux échecs, un solitaire misanthrope et maniaque, un joueur absolument extraordinaire (au sens premier du terme) qui fascina toute une génération de passionnés du noble jeu.

Pour tenter de mieux cerner les enjeux titanesques de la finale de 1972, il ose un parallèle avec une autre guerre qui a vu s'affronter Orient et Occident : la guerre de Troie. Fischer devient Achille, le guerrier quasi invincible, capable à lui seul de décimer une armée entière. Spassky devient Ulysse, l'homme capable de déjouer les pires épreuves en usant de son arme favorite : la ruse.

« Le coup du fou » nous narre ainsi le combat échiquéen le plus célèbre de tous les temps en le confrontant métaphoriquement à la guerre de Troie. En filigrane de ce récit épique, le narrateur renoue le fil défait avec son père emporté par un cancer du cerveau à l'âge de quarante-deux ans. Un père disparu trop tôt, qui s'intéressait davantage à la folie des hommes qu'aux échecs. Un père qui ne semblait pas indifférent au cas singulier d'un certain Bobby Fischer.

Le roman virevoltant d'Alessandro Barbaglia est un objet littéraire hybride et fascinant. En mêlant subtilement une description d'une précision inouïe du « match du siècle » à une analyse très fine des ressorts de la guerre qui opposa les Achéens aux Troyens, le narrateur parvient à trouver les interstices, ces espaces ténus qui lui donnent l'occasion de dire, sans pathos, toute l'admiration et tout l'amour qu'il ne cesse de porter à son père disparu prématurément.

« Tu es et tu restes mon père, papa. le sort ne change pas la nature des choses. Je te retrouve dans ce que tu m'as enseigné, dans les souvenirs qui ont ton parfum. Dans les gestes qui ont le sens des pères. Voilà pourquoi quiconque tend la main à un perdant en disant « Je suis là » - cette chose qui, en russe, a le son du verre brisé, « Ya zdes » - le fait avec une voix qui est pour moi la tienne.
Une voix de lumière. »

Commenter  J’apprécie          7130
La scène théâtrale de ce roman débute un certain mardi 11 juillet 1972, date d'ouverture du championnat du monde d'échecs, qui a vu s'affronter le tenant du titre, le Russe Boris Spassky et le challenger, l'Américain Bobby Fischer, à Reykjavik, en Islande, et ce jusqu'au 1er septembre 1972.
En arrière-plan se déroule la guerre froide qui oppose l'Union soviétique et les États-Unis et ce contexte géopolitique n'est pas anodin pour mesurer la tension de l'événement.
Pourtant le récit que nous raconte Alessandro Barbaglia commence dans les années quatre-vingt, alors que le narrateur encore enfant joue en tailleur sous une table de jardin, surprend une conversation entre son père et ses collègues psychiatres à propos de cet événement et de ce fou génial qu'était Bobby Fischer. Dans le flot du bavardage des adultes, une phrase va longtemps résonner, au-delà de cet après-midi estival, sous la torpeur du soleil : « Il faudrait analyser l'instant où le monde s'est éteint dans son esprit et où seule est restée allumée une lumière qui éclairait un échiquier ». Longtemps après, cette citation de Vladimir Nabokov, tirée de la Défense Lougine, perçue de manière anodine au moment où son père la prononça, engloutie, oubliée pendant des années, va remonter peu à peu à la surface de la mémoire pour finir par tarauder l'esprit du narrateur, comme un leitmotiv entêtant. Longtemps après, dans l'alignement accompli des planètes, le narrateur va sentir en lui le désir d'écrire cette histoire, ou de la réécrire dans sa vision des choses, peut-être à la faveur du souvenir touchant de son père prématurément disparu.
Pour revenir à cet événement qui fut interplanétaire, - presque aussi célèbre alors que les premiers pas de l'homme sur la Lune, les caméras du monde entier sont braquées sur l'Islande, la rencontre entre les deux compétiteurs est en effet retransmise en mondovision.
Tout a sans doute été dit, écrit sur cet événement majeur, inouï par bien des aspects, à commencer par les personnalités des deux joueurs et en particulier, celle atypique, pour ne pas dire paranoïaque de Bobby Fischer, fou génial diront certains. Tout a sans doute été dit, y compris le halo de légende qui nimbe cette rencontre, Bobby Fischer comme un enfant boudeur et capricieux, traînant des pieds pour se rendre le matin de la compétition devant son rival, se faisant même supplier par un certain Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale et futur secrétaire d'État de Richard Nixon, qui l'appelle chez lui, pour lui dire de sa voix grave de baryton ces mots plein de tact, sans l'obliger : « Robert, when you want. »
Tout a été dit sur la victoire improbable de Bobby Fischer et aussi sur le déclin qui s'en est suivi...
Mais là où nous surprend Alessandro Barbaglia pour nous raconter cette histoire à sa manière, c'est qu'il va d'un geste audacieux faire table rase, balayant les trente-deux pièces de l'échiquier pour y poser la grande plaine de Troie et convoquer les deux plus grands héros de l'Iliade, à savoir Achille et Ulysse.
Il est vrai que cet événement majeur hors du commun par l'intensité dramaturgique qu'il a suscité, comporte tous les ingrédients d'une théâtralisation de la guerre avec ces héros beaux et presque invincibles, nés pour faire la guerre, trempés dès l'enfance pour le combat, dont la vie n'est autre qu'une série de batailles à livrer, où tous les coups sont permis.
Alors Alessandro Barbaglia nous ramène dans cette sublime analogie à un récit vieux de plus de deux mille cinq cents ans et qui résonne encore à nos oreilles aujourd'hui, parce que depuis l'Iliade, ce n'est qu'un éternel recommencement...
La guerre de Troie, c'est bien l'affrontement de deux blocs civilisationnels, qui a vu s'affronter Orient et Occident...
La révélation est venue au narrateur comme cela brusquement, comme une évidence : Bobby Fischer, c'est Achille, deux prophéties identiques pèsent sur leurs âmes. Bobby Fischer, c'est Achille attendant, boudant dans sa tente, buvant du lait et jouant de la cithare, refusant le combat à cause de caprices d'enfant. Tout comme Achille, Bobby Fischer ne cesse de se faire attendre, promet, change d'avis, se dédit sans cesse... Pourtant les Achéens ont besoin d'Achille, il est indispensable pour gagner cette guerre qui n'en finit pas de s'éterniser, tout comme les Américains ont besoin de Bobby Fischer pour battre les Russes dans cette compétition marquée par le sceau de la guerre froide. Et les Russes ont besoin aussi de livrer et gagner cette bataille contre les Américains, en terme d'honneur le forfait de Bobby Fischer ne leur suffirait pas. Alors, devinez un peu qui ira chercher Achille sous la tente pour le convaincre de revenir au combat : Ulysse, himself, excusez du peu !
Bien sûr, j'ai été surpris comme vous de voir l'autre parallèle se faire entre Ulysse et Boris Spassky.
Achille et Ulysse ne sont pas ennemis, dans cette guerre impitoyable qui durera des décennies, ils sont bien du même camp, celui des Achéens contre les Troyens. Ils n'en sont pas moins adversaires, rivaux dans leur vision de la guerre et dans la manière d'aller au combat.
Achille, c'est la férocité incarnée. C'est un demi-dieu, il est beau à faire peur. Et quand il entre sur le champ de bataille c'est pour boire le sang de quiconque se dresse sur son chemin, avec férocité et arrogance. Et ce loup n'est autre que Bobby Fischer en cet été 1972, à Reykjavik, Islande. Alors forcément, l'opposé d'Achille dans cette manière de livrer le combat, c'est un stratège retors, un conspirateur, quelqu'un de rusé, un homme à l'ingéniosité protéiforme. C'est Ulysse.
Et Boris Spassky, le champion du monde d'échecs est justement un stratège à l'état pur.
Alors à travers cette métaphore inspirante de l'Iliade, Alessandro Barbaglia nous entraîne dans un récit homérique virevoltant où brusquement nous nous trouvons plongés dans la plaine de Troie comme dans un éternel retour, où les caméras du monde entier ne sont plus braqués sur un Américain et un Russe qui se livrent combat, mais bien sur deux soldats achéens emportés par la gloire et la grandeur, prêts à affronter leur destin jusqu'à la mort.
Mais les héros, malgré leur férocité, leur ruse, leur détermination, leur vacuité, ont souvent le coeur empli de noblesse et les pieds fragiles...
Ce qui m'a touché à la fin de ma lecture, c'est de ressentir ce lien indéfectible qui était né entre les deux hommes, Bobby Fischer et Boris Spassky, dépassant les rivalités qui les obligeaient...
Le coup du fou est un texte intelligent et vif, touchant à certains endroits, empli de magnifiques résonances qui traversent et dépassent les tragédies de l'Histoire.
C'est un livre qui invite à plusieurs chemins. C'est le livre d'un écrivain sur les pas de son père trop tôt disparu.
Daniel Pennac ne s'est pas trompé à propos de ce livre : " Encore un roman qui me ruine, je l'offre à tout le monde. "
Commenter  J’apprécie          5926
Après avoir lu « Le mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli chez Gallimard, qui est en lice dans la dernière sélection pour le Prix Goncourt 2022, j'ai décidé de rester en Russie en quelque sorte mais avec un saut dans le passé et plus particulièrement, durant la Guerre Froide, début des années septante (et oui, je suis belge ;).

Le milieu des échecs n'est pas un monde que je connais particulièrement. Oui, j'en connais les règles de base ayant fait partie d'un club durant mes études secondaires mais je n'ai jamais été accroc au point d'en lire des manuels par exemple ou même d'avoir suivi des séries comme « Le jeu de la dame » qui a eu son succès il y a 2 ans de cela.

Pourtant, en lisant le résumé, j'ai eu envie de découvrir ce bouquin alliant une époque historique dont mes connaissances me semblent parfois un peu limitée (la Guerre Froide), l'ayant que trop peu étudiée à l'école. Alors maintenant, j'essaie d'en apprendre plus dessus, notamment en la conjuguant à ma plus grande passion qu'est la littérature.

C'est ainsi qu'on plonge en 1972 pour le championnat du monde d'échecs qui a lieu en Islande entre Bobby Fischer, joueur américain de moins de 30 ans dont le talent n'est pas moins égal à ses originalités et le Russe Boris Spassky, détenteur du titre depuis près de 8 ans. 

L'auteur italien, Alessandro Barbaglia, confronte cette folle rencontre à « l'Iliade » d'Homère avec, en point d'orgue, les deux héros que sont Achille et Ulysse. Bien que n'ayant que de vagues souvenirs de celle-ci, réminiscences lointaines de mes cours de latin, j'ai apprécié cette comparaison étonnante et pourtant juste à plus d'un titre.

Hormis ces deux sujets originaux finement vulgarisés pour n'importe quel quidam, Alessandro Barbaglia offre également un chapitre intime de son histoire personnelle au travers du récit d'épisodes de sa relation avec son père, décédé très tôt d'un cancer. Émouvante à bien des égards, cette plongée intimiste m'a particulièrement touchée. 

Ce livre mérite à bien des égards d'être découvert que ce soient pour ses sujets pittoresques que pour l'auteur qui dévoile un brin de son vécu. Agrémentées d'une plume élégante et fluide, au final, ce sont trois histoires imbriquées intelligemment que j'ai découvertes et qui m'ont passionnées de la première à la dernière page. 

Commenter  J’apprécie          500
Après avoir lu « le mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli chez Gallimard, qui est en lice dans la dernière sélection pour le Prix Goncourt 2022, j'ai décidé de rester en Russie en quelque sorte mais avec un saut dans le passé et plus particulièrement, durant la Guerre Froide, début des années septante (et oui, je suis belge ;).

Le milieu des échecs n'est pas un monde que je connais particulièrement. Oui, j'en connais les règles de base ayant fait partie d'un club durant mes études secondaires mais je n'ai jamais été accroc au point d'en lire des manuels par exemple ou même d'avoir suivi des séries comme « le jeu de la dame » qui a eu son succès il y a 2 ans de cela.

Pourtant, en lisant le résumé, j'ai eu envie de découvrir ce bouquin alliant une époque historique dont mes connaissances me semblent parfois un peu limitée (la Guerre Froide), l'ayant que trop peu étudiée à l'école. Alors maintenant, j'essaie d'en apprendre plus dessus, notamment en la conjuguant à ma plus grande passion qu'est la littérature.

C'est ainsi qu'on plonge en 1972 pour le championnat du monde d'échecs qui a lieu en Islande entre Bobby Fischer, joueur américain de moins de 30 ans dont le talent n'est pas moins égal à ses originalités et le Russe Boris Spassky, détenteur du titre depuis près de 8 ans.

L'auteur italien, Alessandro Barbaglia, confronte cette folle rencontre à « l'Iliade » d'Homère avec, en point d'orgue, les deux héros que sont Achille et Ulysse. Bien que n'ayant que de vagues souvenirs de celle-ci, réminiscences lointaines de mes cours de latin, j'ai apprécié cette comparaison étonnante et pourtant juste à plus d'un titre.

Hormis ces deux sujets originaux finement vulgarisés pour n'importe quel quidam, Alessandro Barbaglia offre également un chapitre intime de son histoire personnelle au travers du récit d'épisodes de sa relation avec son père, décédé très tôt d'un cancer. Émouvante à bien des égards, cette plongée intimiste m'a particulièrement touchée.

Ce livre mérite à bien des égards d'être découvert que ce soient pour ses sujets pittoresques que pour l'auteur qui dévoile un brin de son vécu. Agrémentées d'une plume élégante et fluide, au final, ce sont trois histoires imbriquées intelligemment que j'ai découvertes et qui m'ont passionnées de la première à la dernière page.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
Commenter  J’apprécie          481
« Qu'est-ce que c'est beau ! Non mais qu'est-ce que c'est beau ! »

Ca, c'est à peu près tout ce que vous auriez pu tirer de moi dans les premières heures après que j'ai refermé le coup du fou. Ce qui reste un peu court pour vous en parler. Et assez étrange car ce n'est pas un livre esthétisant. Mais il est d'une beauté stupéfiante dans ce qu'il met au jour et dans la manière dont il le fait.

Dans un chapitre zéro, le narrateur explique avoir vécu vingt-trois mois avec Bobby Fisher, ce célèbre joueur d'échecs américain devenu champion du monde en 1972. Vingt-trois mois avec ses biographies, son manuel de jeu, alors qu'il n'y connaît strictement rien, lui, aux échecs. « Je me suis mis en tête d'écrire un livre sur lui. Mais c'était peut-être une excuse pour remettre certaines pièces à leur place. » Il explique aussi être le fils d'un psy italien et avoir pour la première fois entendu parler de Bobby Fisher par les amis de son père, dans le jardin, caché sous la table tandis que les adultes, tous plus ou moins médecins eux aussi, tous pro-soviétiques comme on peut l'être quand on est de gauche dans les années 80, discutaient, chantaient, s'apostrophaient, parlaient, comme souvent les psy, de fous.

Son père est mort quand il avait 42 ans. Soit son âge à lui, le narrateur, quand il nous parle en 2022. « Il me semble que le fait de l'avoir rattrapé m'autorise à sortir de ma cachette sous la table, à m'asseoir à côté de lui, à poursuivre - en pensée – cette discussion sur ce fou de Bobby cinquante ans après le match en question. Et à donner mon point de vue. »

Et l'irruption de la mythologie ? A quel moment exact survient-elle ? Je ne me souviens plus trop et je ne voudrais pas triturer ce texte, exhumer la phrase exacte tant j'ai aimé la manière, franche et lumineuse, dont il tresse souvenirs d'enfance, dimension mythique et vie d'un joueur d'échecs américain, champion du monde en 1972. Je crois que c'est à propos du lait que l'Iliade s'immisce. A propos de cithare et de lait qu'Achille boit sous sa tente. Et de celui, sucré, américain et mauvais pour les reins que Fisher ingurgite à longueur de temps, bien souvent comme seule nourriture.

C'est ni plus ni moins que cela, le Coup du fou, une revisitation du destin d'Achille, le bouillonnant, sanguin, colérique Achille devant les murs de Troie. Une interprétation de ce qu'aura fait Ulysse pour et avec lui. Une réflexion sur le tragique. Pas celui qui condamne par un Fatum extérieur, celui qui vous fait être ce que vous êtes, profondément et irrémédiablement. Et une relation de la vie exceptionnelle de Bobby Fisher, tout particulièrement des quelques semaines entourant ce fameux championnat du monde de 1972 en Islande. Mais pour que ces deux fils servent de trame, il faut aussi que cette discussion des amis paternels ait eu lieu un jour d'été au jardin. Et que les bribes de souvenirs convoqués par le narrateur au fil du récit fassent la navette. Alors se dessinera un motif supplémentaire qui sera le tombeau du père.

Voilà, c'est la structure de ce roman qui est d'une pureté rare. C'est simple à lire, le style est délié et il n'est pas besoin de s'intéresser beaucoup aux échecs pour se plaire à lire ce texte. Il faut peut-être en revanche se souvenir un peu des récits d'Homère afin de goûter pleinement la résonnance qu'ils prennent ici. Alors la puissance de ce qui est convoqué, la force des associations, la noblesse de l'hommage à un père aimé et disparu rendent ce roman simplement magnifique.
Commenter  J’apprécie          4735
Encore une histoire d'hommes : des pères, des génies, des héros.
Pendant l'été 1972 à Reykjavik, s'est tenu le championnat du monde d'échecs, qui opposa le tenant du titre Boris Spassky à Bobby Fischer. Bloc de l'Est contre Bloc de l'Ouest, école soviétique contre autodidaxie américaine, raison contre folie. Et aussi, selon la théorie de l'auteur : Ulysse contre Achille, ruse contre force.
Le narrateur (Alessandro Barbaglia lui-même) revient sur les bribes de conversation surprises entre son père et ses amis -tous psys- alors qu'il était enfant. Il était question de Bobby Fischer qui, quinze ans après son titre, fascinait toujours ces adultes. Devenu adulte, l'auteur se penche à son tour sur le cas Fischer et nous livre le fruit de ses réflexions singulières sur le personnage et ce championnat particulier.

Autant dire que c'est un ouvrage saisissant, épatant mélange de biographies échiquéennes, de souvenirs personnels, et de mythologie grecque. J'ai totalement adhéré, portée par la joliesse de l'écriture et la sincérité touchante et l'amour qui émanent de ces histoires de pères. J'ai aimé aussi le parallèle audacieux qu'ose l'auteur entre ce championnat d'échecs et l'Iliade et l'Odyssée. Et puis, il y a Bobby Fischer, personnalité "bigger than life" qui n'entre dans aucune case, et qui ne laisse pas de captiver par son comportement déroutant. Enfin, Barbaglia dresse aussi un portrait émouvant de Spassky ; rien n'est négligé dans son récit.
Autant d'éléments qui font de ce roman court mais dense, d'une pétillante vivacité intellectuelle, un grand plaisir de lecture qui se savoure à petites bouchées. Et qui donne envie de ressortir son échiquier.
Commenter  J’apprécie          4223

S'il y a bien un jeu dont je ne suis aucunement adepte mais qui me fascine, c'est bien le jeu d'échecs. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. J'ai déjà eu l'occasion de voir des joueurs s'affronter dans un parc public et je suis irrésistiblement attirée vers eux, à les regarder, à essayer de comprendre ce qu'ils font, à les observer, eux. Voir leur concentration et leur plaisir à jouer.
Et c'est bien de fascination dont il s'agit dans « Le coup du fou ». Fascination de l'auteur, précédée de celle de son père psychiatre pour Bobby Fischer, le champion du monde des échecs en 1972. Après avoir adoré « Fin de partie » de Frank Brady et m'en souvenir de manière précise, j'ai su d'emblée de quoi il était question avec ce titre « Le coup du fou » et l'ai acheté sans hésiter.
La folie, il en est beaucoup question dans ce livre car qui peut imaginer ce qu'il se passe dans la tête d'un joueur d'échecs de haut niveau ? Alessandro Barbaglia nous donne ici son interprétation et ô combien intelligente et subtile ! le livre retrace le championnat du monde de 1972, en Islande, opposant le champion en titre, le russe Boris Spassky et l'américain Bobby Fischer. Deux personnages que tout oppose dans leur personnalité mais jouant à l'unisson. Pour un titre ? Pour la gloire ? Pour l'argent ? Après cette lecture, j'en doute. Quelque chose de bien plus profond les unit à ce jeu, bien que la CIA et le KGB entourant les deux protagonistes veulent faire croire à un combat politique en cette période de guerre froide. La Russie face aux Etats-Unis ! le communisme face à la démocratie ! L'enjeu est de taille.
Et la fascination pour Fischer va, au fil de l'écriture, se reporter sur Boris, car ils sont tous deux dignes du plus haut intérêt.
Le tour de force dans ce livre réside, outre l'admiration que l'auteur ressent envers les joueurs et bien transmise au lecteur, en la comparaison qu'il donne avec des personnages de la mythologie grecque. Au fur et à mesure que le championnat avance, l'auteur fait le parallèle avec des passages de la guerre de Troie dans l'Iliade. Comme c'est bien trouvé ! Et parfaitement cohérent.

Un livre que je recommande à toutes et à tous, que vous connaissiez les règles du jeu d'échecs ou non.

Pour moi, un coup de coeur !

Commenter  J’apprécie          3111
Vous faisiez quoi le 11 juillet 1972 ? (Si vous n'étiez pas né, surtout ne partez pas) Ce jour-là, un peu partout dans le monde, des milliers d'individus qui ne connaissaient pas forcément grand-chose aux échecs avaient les yeux rivés sur un écran de télévision pour suivre le coup d'envoi du championnat du monde. En pleine guerre froide, un petit génie américain, Bobby Fisher allait affronter le champion en titre depuis 1964, Boris Spassky, héritier d'une longue tradition russe. La rencontre va s'étaler sur deux mois, en Islande. Les images sont de piètre qualité mais l'événement hypnotise les foules, autant pour ce qui se joue sur l'échiquier qu'autour. J'avoue que les noms m'évoquaient quelque chose mais, au moment d'ouvrir ce livre je ne me souvenais même pas qui avait gagné (tant mieux pour le suspense) et, à part le nom des pièces et leurs couleurs ou le terme échec et mat, je ne savais rien d'une partie d'échec. Pourtant, ce récit m'a captivée, et émue.

Enfant, l'auteur avait l'habitude de se glisser sous la table du jardin familial pour jouer tout en écoutant les conversations des adultes. C'est ainsi que le nom de Bobby Fisher, objet d'un échange passionné entre son père et un ami est devenu un souvenir d'autant plus obsédant à la mort du père, survenue peu de temps après. Il n'a de cesse de tenter de comprendre ce qui pouvait à ce point forcer l'admiration de son père, psychologue réputé. Et le voilà refaisant le match, explorant la personnalité singulière de Fisher (vraiment pas sympathique le monsieur), enfermé dans un échiquier depuis son plus jeune âge et retraçant, partie après partie, les péripéties de la rencontre et la guerre que vont se livrer les deux champions. La guerre, oui. C'est le mot employé par l'auteur qui ose un parallèle fascinant avec la guerre de Troie et convoque l'Illiade, Ulysse et Achille. le récit devient épique, brillant et totalement addictif.

Si l'aventure de ce championnat et de ses acteurs est passionnante grâce au regard, à l'humour et au sens du rythme de l'auteur qui sublime la dramaturgie de la rencontre, elle est aussi au service d'un autre récit, plus intime, celui du lien père-fils et de la souffrance lorsqu'il vient à se rompre. L'auteur le fait affleurer avec dextérité dans le tissage de l'intrigue et une pudeur qui laisse peu à peu filtrer l'émotion. Aucun élément n'est là par hasard, tout prend sens. Je suis passée par un tas de sentiments pendant ma lecture, j'ai souri, j'ai admiré les stratégies et les parti-pris de l'auteur, j'ai eu envie d'applaudir et ma gorge s'est finalement serrée. Complètement cueillie, convaincue et admirative. Bref, j'ai adoré.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          212
Un récit court et très agréable à lire même pour le béotien que je suis, mes connaissances en matière d'échecs se limitant à la disposition initiale des pièces et leurs possibilités de déplacement sur l'échiquier. L'auteur nous propose une lecture homérique de l'affrontement islandais de 1972. Bobby Fischer y serait Achille le guerrier brutal et invincible tandis que Boris Spassky aurait la finesse d'un Ulysse. C'est étonnant mais finalement assez convaincant, même si on sent parfois qu'il force un peu le trait pour faire entrer Bobby dans l'armure d'Achille ou Boris dans le Cheval d'Ulysse. Entre les invocations de son père prématurément disparu et l'épopée islandaise de Bobby Fischer, l'auteur signe un roman original qui délivre quantité d'anecdotes assez stupéfiantes sur ce combat intellectuel, sur le climat géopolitique de l'époque où l'URSS régnait sans partage sur les échecs et sur la personnalité du génial mais déroutant Bobby.
Les joueurs d'échecs trouveront à la fin les différents coups des deux grands maîtres dans les parties une, trois, six et vingt-et-une qui, pour les spécialistes, furent des sommets et décidèrent de l'issue de cette finale historique.
Commenter  J’apprécie          180
Chers collègues babeliotes,

N'ayant pas été sélectionné pour recevoir ce livre dans le cadre de la Masse Critique, j'ai payé cet ouvrage de mes propres deniers. Rien ne m'oblige par conséquent à publier une critique. Mais je ne suis pas rancunier et j'aime bien Babelio. Alors voilà, je m'y colle. Non non, ne roulez pas des yeux, rassurez-vous, je serai bref.

Tout le monde a soit suivi en direct (les vioques) soit entendu parler (les autres) du fameux Championnat du Monde d'Échecs de 1972, disputé à Reykjavík. Ah bon, pas tout le monde ? Que ceux qui n'en ont jamais entendu parler lèvent le doigt ... Ouhlàlà ! Tout ça ? Ben heureusement que je suis là pour vous faire le pitch, bande de veinards.

A ma gauche (c'est le cas de le dire), nous avons le Champion du Monde en titre, Boris Spassky. Un pur produit de l'Ecole soviétique. A ma droite (c'est le cas de le dire) le challenger, l'américain Bobby Fischer. Un pur produit des bas-fonds de Brooklyn, et qui n'est presque jamais allé à l'école, même pas soviétique.

En 1972, pour les Russkoffs, le Championnat du Monde d'Échecs, c'est chasse gardée depuis des décennies. Ça se déroulait plan-plan entre gens bien, genre russo-russe et ça leur permettait de clamer haut et fort que l'Homo Sovieticus est plus intelligent que les autres.

Alors, qu'est-ce que ce sale impérialiste amerloque dégénéré vient foutre ici sur notre pré carré, en plus en pleine guerre froide ? Il nous nargue ? Camarade Boris, tu vas nous faire le plaisir de virer ce petit con vite fait bien fait.

Bon, je ne dévoilerais pas un bien grand mystère en révélant que c'est finalement #@*$&%/ qui est devenu champion du monde d'échecs, mais je ne veux pas spoiler. Je voulais juste planter le décor.

Venons-en maintenant au livre. Il est bien mignon, le petit Alessandrino à son papa, il a fait ce qu'il a pu mais franchement, si j'étais Prof des Ecoles (wink wink, salut Lucie, ça va ?) je noterais : « Intéressant, mais peut mieux faire ».

Bien qu'ayant lu des centaines de pages et vu plusieurs films librement inspirés de cette rencontre, j'avoue que le coup du Bobby/Achille contre Boris/Ulysse (tiens, ça rime Maxime), on ne nous l'avait jamais servi.

L'Alessandrino, il a trouvé une idée et il s'y cramponne mordicus. Il cherche des trucs invraisemblablement capillotractés pour nous convaincre que les deux joueurs sont des héros mythologiques.

On a souvent l'impression de regarder un bambin qui veut absolument faire entrer la pièce ronde dans le trou carré. Genre : la mère de Bobby s'appelait Regina (la Reine). Or, la Reine (Dame en français) est la plus puissante pièce du jeu. Haha, le gros clin d'oeil psychanalytique téléphoné, t'as compris, Sigmund ? Bobby aime les échecs car sa mère ne l'a pas aimé.

De plus, quand il nous apprend que Thetis, la mère d'Achille/Bobby était une Reine, l'Alessandrinou prend son pied. Bref, ça ne vole pas très haut. Mais au moins, ça ne nous coûte pas 500 € la consultation.

Quant au père de l'auteur, psychiatre qui s'intéressait au Cas Fischer, c'est sans intérêt. Des milliers de psychiatres se sont intéressés au Cas Fischer sans jamais résoudre l'énigme.

Je passerai avec bienveillance sur le style ampoulé, grandiloquent, verbeux, théâtral, redondant. Au moindre coup de pion, on a droit à toute la mythologie grecque mâtinée de catastrophe nucléaire qui se déchaîne et nous tombe sur la tête. On a beau aimer les échecs, c'est fatigant à la longue de se trimballer d'océans apocalyptiques en cieux enflammés.

Au final, on n'apprend rigoureusement rien de cet événement qu'on ne sache déjà. L'auteur ne nous sert que du réchauffé. Les coups de téléphone d'Henry Kissinger, la mouche dans le fauteuil, la partie dans le placard à balais, le décès de Bobby à 64 ans, comme les 64 cases d'un échiquier, on connaît tout ça par coeur. Fallait-il vraiment écrire un livre de plus sur cet OVNI ?

En plus, quand on écrit un livre sur les échecs, il faudrait au moins avoir quelques notions du jeu et savoir par exemple que Champion international d'échecs n'a aucun sens : on est soit Maître International, soit Grand Maître International, basta. Et, comme l'a judicieusement relevé Hapo, dont j'ai adoré la critique, quand on a l'ambition d'écrire un livre sur les échecs, le minimum serait de connaître les règles, en l'occurrence la différence entre un Pat et une Nulle. Tous deux aboutissent au même résultat (1/2 point partout) mais par des chemins complètement différents. Jamais Fischer et Spassky n'ont fini une partie sur un Pat, qui n'est qu'un piège grossier pour les pousse-bois inattentifs.

N'est pas Nabokov ou Zweig qui veut. Merci quand même, Alessandrinou. La prochaine fois, essaie de nous parler d'un truc que tu connais et moins rabâché, ça pourrait être sympa.

Pour conclure, je ne conseille ce livre à personne. Les joueurs d'échecs n'apprendront rien et les autres vont s'ennuyer à mort.

Bon, deux étoiles babéliesques parce qu'il fait beau et que je suis de bonne humeur car le Champion du Monde sans interruption depuis 2013 (Magnus Carlsen un jeune Norvégien), envoie régulièrement péter tous les Russkoffs qui ont la mauvaise idée de s'asseoir en face de lui. Oui Camarades Popoff, c'est super humiliant et vous êtes vénères, je peux comprendre. Mais c'est quand même pas une raison pour passer vos nerfs sur les Ukrainiens, merde !
Commenter  J’apprécie          161



Lecteurs (420) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3179 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..