Il va très vite Baricco, faut suivre, et se laisser aller sans préjugés sans certitudes et sans modèle de raisonnement, comment il faut faire ceci et cela. le savoir tombe à l'eau rapidement, et on l'y laisse pour qu'il se rafraîchisse le ciboulot.
Au début, c'est la pension Almayer, "posée sur la corniche ultime du monde", des personnes s'y rencontrent, des histoires de vies, rendez-vous des pièces d'un puzzle en train de créer des liens surprenants, venus de loin : un professeur qui écrit des lettres à la femme qu'il aimera, et une Encyclopédie des limites, une femme venue pour guérir d'adultère, un peintre qui veut faire le portrait de la mer et cherche ses yeux, Elisewin, seize ans, "une petite fille trop fragile pour vivre et trop vivante pour mourir", des personnages qui cherchent un début ou une fin, un retour des souvenirs, où "la réalité s'évapore et tout se transforme en mémoire", des naufragés de la vie cherchant à s'y accrocher... et la mer, et les vagues "continuelle alternance de création et de destruction".
Un souvenir terrible, lourd de conséquences, vient comme porteur de désespoir et de vengeance, un naufrage, un radeau et la mer qui dévore et engloutit, la mort...
Des noms et des verbes habillés de fête, costard cravate, des phrases courtes, envolées comme des jeunes filles et la valse de leur première sortie, tourbillon, ivresse, unité faite de contraires pour laisser les paradoxes vivre leur vie. Lire
Océan mer, s'étonner sans cesse et aimer ça, entrer dans l'océan sans se noyer, voir l'envers de l'endroit et vice versa, tenir les pièces du puzzle et se sentir plus perdu que jamais. Les pages du livre tournent, une page une vague qui amène et reprend des vies et des souvenirs vers des rivages lointains, vers un ailleurs. "Le bord de mer, c'est ni la terre, ni la mer, c'est un endroit qui n'existe pas."
"La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi, parfois disparaît, par moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elles ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout la mer appelle", comme la vie.
La mer, ce n'est pas un paysage, la mer est notre vie, un puzzle, des morceaux séparés et réunis, avec ou sans sens, c'est la faute à la mer, entièrement, totalement, c'est elle la sorcière qui fait et défait, entortille, noue et déchire, la mer personnage éternel,... la vie.
"S'il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n'es rien, c'est cet endroit, c'est ici. Ce n'est plus la terre, et ce n'est pas encore la mer. Ce n'est pas une vie fausse, et ce n'est pas une vie vraie. C'est du temps. du temps qui passe. Rien d'autre."
Le style d'
Alessandro Baricco, comme la mer, se met dans tous ses états, du murmure calme et chatoyant au déchaînement bruyant, des dialogues rapides enfilés à la verticale, des paragraphes denses comme des regards qui partent au-delà des horizons et reviennent après portant la charge du monde entier ; narration d'un passé demeurant présent dans la chair, dans la tête et dans l'âme, des répétitions en litanie, en sac et ressac grisant, jusqu'à l'obsession, en avancées vertigineuses, en retraits lents entraînant tout ce qui ne s'y oppose, ce qui résiste sera emporté la prochaine fois, les vagues reviennent sans cesse.
Musique de la mer et de la vie, les chants du retour des vagues, une infinitude de finitudes, infiniment finies.
Et la blessure du monde, de notre vie, qui peut la réparer ?