Non, ceci n'est pas un roman, pas non plus vraiment une biographie de Chostakovitch, puisque
Julian Barnes a pris le parti de mettre en avant trois temps forts de l'existence du compositeur, marqués par la peur, la honte et la couardise, ce qui lui enlève le respect de soi et imprime en lui, à tort ou à raison, la conscience de sa lâcheté.
"Il avait aussi appris des choses sur la destruction de l'âme humaine.... Une âme pouvait être détruite d'une de ces trois manières : par ce que les autres vous faisaient ; par ce que les autres vous contraignaient à vous faire à vous-même ; et par ce que vous choisissiez volontairement de vous faire à vous-même. Chaque méthode était suffisante, mais, si les trois étaient présentes, le résultat était imparable." p 227
En fait, et
Julian Barnes le rend magnifiquement, l'existence de
Dimitri Chostakovitch est tout entière plombée par l'aura maléfique du "petit père des peuples", le tyran sanguinaire Staline, que ce soit avant et également après sa mort, puisque même disparu, certains de ses séides ont continué d'entretenir l'état d'esprit en vigueur sous le régime stalinien.
Le principal propos de l'auteur est donc bien de montrer l'horreur et la déshumanisation de l'existence quotidienne sous l'impitoyable férule du régime soviétique, ceci illustré par les aléas de la vie du compositeur. Et
Julian Barnes de réussir sa démonstration avec brio, en utilisant pour ce faire et de façon éclatée différents moments de la vie du compositeur.
Encensé au début de sa carrière, Chostakovitch connaît ses premiers déboires avec son opéra malédiction "lady Macbeth de Mzensk" sur lequel La Pravda titra "du fatras en guise de musique" écrivant que cette musique "cancanait et grognait". En effet le dieu Staline, de la loge gouvernementale, mal située juste au dessus des percussions qui jouaient fortissimo, avait été incommodé au point de quitter la représentation bien avant la fin.
Nikita Kroutchev, quant à lui, n'hésita pas à comparer la musique de Chostakovitch "à des croassements de corbeaux".
Dès lors, on ne peut qu'être admiratif de cet homme, qui malgré les tracasseries et les avanies qu'il a dû subir, assorties de la peur d'être arrêté, envoyé en camp, ou pire encore, a pu et su exprimer l'étendue de son talent.
"Qu'est-ce qui pourrait être opposé au fracas du temps ? Seulement cette musique qui est en nous - la musique de notre être- qui est transformée par certains en vraie musique. Laquelle, au fil des ans, si elle est assez forte et vraie et pure pour recouvrir
le fracas du temps, devient le murmure de l'Histoire" p 172
L'auteur, hélas ne s'étend pas suffisamment, sur le travail de composition du musicien, parfois obligé d'écrire de la musique de circonstance sur commande et sans envie, de la mauvaise musique pour de mauvais films, selon son avis.
On reste donc cruellement sur sa faim et on se demande comment Chostakovitch a pu surmonter tous ses déboires et réussir à composer, outre les concertos et la musique de chambre, les 15 chefs d'oeuvre symphoniques qu'il a offert à la postérité dont plusieurs touchent au sublime et figurent au panthéon de l'art musical.
Ceci hélas reste un mystère à la lecture de cet ouvrage et c'est vraiment dommage !
"l'art appartient au peuple" disait
Lénine. N'appartient-il pas plutôt à ceux capables de le produire et à ceux qui l'aiment ?