Les Romains devaient considérer la Propriété comme un fait purement conventionnel, comme un produit, comme une création artificielle de la Loi écrite. Evidemment, ils ne pouvaient, ainsi que le fait l’économie politique, remonter jusqu’à la constitution même de l’homme, et apercevoir le rapport et l’enchaînement nécessaire qui existent entre ces phénomènes : besoin, facultés, travail, propriété. C’eût été un contresens et un suicide. Comment eux, qui vivaient de rapine, dont toutes les propriétés étaient le fruit de la spoliation, qui avaient fondé leurs moyens d’existence sur le labeur des esclaves, comment auraient-ils pu, sans ébranler les fondements de leur société, introduire dans la législation cette pensée que le vrai titre de propriété, c’est le travail qui l’a produite ? Non, ils ne pouvaient ni le dire, ni le penser. Ils devaient avoir recours à cette définition empirique de la propriété, ‘jus utendi et abutendi’ définition qui n’a de relation qu’avec les effets, et non avec les causes, non avec les origines ; car les origines, ils étaient bien forcés de les tenir dans l’ombre.
Il est triste de penser que la science du Droit, chez nous, au dix-neuvième siècle, en est encore aux idées que la présence de l’Esclavage avait dû susciter dans l’Antiquité ; mais cela s’explique. L’enseignement du Droit est monopolisé en France, et LE MONOPOLE EXCLUT LE PROGRES.
(Chapitre PROPRIETE ET LOI, p. 111-112)
[…] quand Jacques Bonhomme livre cent sous à un fonctionnaire, pour n’en recevoir aucun service ou même en recevoir des vexations, c’est comme s’il les livrait à un voleur. Il ne sert à rien de dire que le fonctionnaire dépensera ces cents sous au grand profit du travail national ; autant en eut fait le voleur ; autant en ferait Jacques Bonhomme s’il n’eût rencontré sur son chemin ni le parasite extra-légal ni le parasite légal.
(Chapitre CE QU’ON VOIT ET CE QU’ON NE VOIT PAS, III L’Impôt p. 184)
[…] ce sont les propriétaires fonciers, ce que l’on considère comme les propriétaires par excellence, qui ont ébranlé le principe de propriété, puisqu’ils en ont appelé A LA LOI pour donner à leurs terres et à leurs produits une valeur factice. Ce sont les capitalistes qui ont suggéré l’idée du nivellement des fortunes PAR LA LOI. Le PROTECTIONNISME a été l’avant-coureur du COMMUNISME ; je dis plus, il a été sa première manifestation. Car, que demandent aujourd’hui les classes souffrantes ? Elles ne demandent pas autre chose que ce qu’ont demandé et obtenu les capitalistes et les propriétaires fonciers. Elles demandent l’INTERVENTION DE LA LOI pour équilibrer, pondérer, égaliser la richesse. Ce qu’ils ont fait par la douane, elles veulent le faire par d’autres institutions ; mais le principe est toujours le même, PRENDRE LEGISLATIVEMENT AUX UNS POUR DONNER AUX AUTRES ;
(Chapitre PROPRIETE ET LOI, p. 126)
PETITIONS DES FABRICANTS DE CHANDELLES, BOUGIES, LAMPES, CHANDELIERS, REVERBERES, MOUCHETTES, ETEIGNOIRS ET DES PRODUCTEURS DE SUIF, HUILE RESINE, ALCOOL ET GENERALEMENT DE TOUT CE QUI CONCERNE L’ECLAIRAGE.
A MM. Les membres de la Chambre des députés.
[…]
Vous êtes dans la bonne voie. Vous repoussez les théories abstraites ; l’abondance, le bon marché vous touchent peu. Vous vous préoccupez surtout du sort du producteur. Vous le voulez affranchir de la concurrence extérieure, en un mot, vous voulez réserver le MARCHE NATIONAL au TRAVAIL NATIONAL.
Nous venons vous offrir une admirable occasion d’appliquer votre… comment dirons-nous ? Votre théorie ? Non, rien n’est plus trompeur que la théorie ; votre doctrine ? Votre système ? Votre principe ? Mais vous n’aimez pas les doctrines, vous avez horreur des systèmes et quant aux principes, vous déclarez qu’il n’y en pas en économie sociale ; nous dirons donc votre pratique, votre pratique sans théorie et sans principe.
Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il parait, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en INONDE NOTRE MARCHE NATIONAL à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui et une branche d’industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée par la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre si acharnée […]
Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes les fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œil-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes les ouvertures […]
(p. 80-81)
Une fois qu’on pose en principe que la Propriété tient son existence de la Loi, il y a autant de modes possibles d’organisation du travail qu’il y a de lois possibles dans la tête de rêveurs. Une fois qu’on pose en principe que le législateur est chargé d’arranger, combiner et pétrir à son gré les personnes et les propriétés, il n’y a pas de bornes aux modes imaginables selon lesquels les personnes et les propriétés pourront être arrangées, combinées et pétries. En ce moment, il y a certainement en circulation, à Paris, plus de cinq cent projets sur l’organisation du travail, sans compter un nombre égal sur l’organisation du crédit. Sans doute ces plans sont contradictoires entre eux, mais tous ont cela de commun qu’ils reposent sur cette pensée : LA LOI CREE LE DROIT DE PROPRIETE ; LE LEGISLATEUR DISPOSE EN MAITRE ABSOLU DES TRAVAILLEURS ET DES FRUITS DU TRAVAIL.
Parmi ces projets, ceux qui ont les plus attiré l’attention publique sont ceux de Fourier, de Saint-Simon, d’Owen, de Cabet, de Louis Blanc. Mais ce serait folie de croire qu’il n’y a que cinq modes possibles d’organisation. Le nombre en est illimité.
(Chapitre PROPRIETE ET LOI, p. 114-115)