Bauer est un théologien critique et un philosophe qui fut l'une des figures de proue du mouvement des jeunes hégéliens de gauche qui s'était formé dans l'effervescence, à la lecture des travaux d'anthropo-philosophique de Feuerbach et de théologie critique de David Strauss. Bien qu'il fût l'un des plus brillants membres de la confrérie des « Freien », son oeuvre a certainement bien plus mal vieillie que celles de ses confrères de l'époque comme Marx, Engels ou Stirner.
Ironiquement, malgré ses connaissances de Hegel, on ne peut mieux expliquer l'oubli où il est tombé dans l'histoire de la philosophie qu'en utilisant la bonne vieille terminologie hégélienne : Bauer n'a jamais écrit, en effet, que tout contre une positivité, à partir d'une autre positivité qu'il n'avait pas d'abord saisie en son concept. Ses attaques demeurent ainsi toute aussi positives que les positivités qu'il dénonce. Jamais il n'atteint le stade d'une négativité propre à ouvrir la possibilité d'un mouvement spirituel supérieur aux objets qu'il a attaqué avec rage et acharnement : Hegel et le christianisme.
Dans ce livre étonnant, dont l'intitulé est donné en abrégé étant donné sa longueur (le titre complet va comme suit :
La trompette du jugement dernier contre Hegel, l'Athée et l'Antéchrist. Un ultimatum.), publié sans nom d'auteur, et sur lequel j'ai été très étonné de pouvoir mettre la main en traduction française, Bauer, pourtant athée prosélyte, fait mine d'être un croyant chrétien outré par l'athéisme hégélien.
Cette position d'écriture, d'apparence paradoxale, prend tout son sens lorsqu'on la situe dans le contexte de l'hégélianisme de l'époque, alors que les hégéliens de gauche, eux-mêmes athées, trouvaient un athée chez Hegel, tandis que les hégéliens de droite, chrétiens, défendaient plutôt l'orthodoxie de la position chrétienne de Hegel. En prenant la position d'un croyant chrétien pour s'attaquer de manière anonyme à la dimension chrétienne de la philosophie hégélienne, Bauer procédait de manière très habile, car cela laissait entendre que les croyants ne pouvaient pas plus trouver une philosophie acceptable pour un chrétien chez Hegel que ne le pouvaient les athées. Les hégéliens de droite se voyaient alors réduits à évoluer dans une situation scabreuse, quelque part entre la croyance chrétienne généralement acceptée et l'athéisme.
Évidemment, la lecture que Bauer fait de Hegel pour arriver à ses fins est partielle et partiale. Pour ma part, je ne crois pas qu'on puisse démontrer que Hegel était un athée ou non à la lecture de sa philosophie.
Kierkegaard montrera bien, à la même époque que l'existence chrétienne authentique échappe aux mailles du système hégélien, mais sa démonstration ne commencera à être lue en Allemagne que bien après sa mort, celle de Bauer et celle de tous les jeunes hégéliens. La démonstration kierkegaardienne ne portera d'ailleurs aucunement sur la lettre du système hégélien, mais passera plutôt par la position, tout contre le système hégélien, de ce qui lui échappe : l'exceptionnalité de l'existence irréductible à toute tentative de saisie en un système de connaissance.
Bref, «
La trompette du jugement dernier contre Hegel, l'Athée et l'Antéchrist. Un ultimatum. » fait partie de ces oeuvres qui sont écrites exclusivement pour leurs époques et qui n'intéresseront les lecteurs des autres périodes historiques que si ces derniers connaissent et s'intéressent à la période dont elles sont issues.