J'ai presque honte de dire que la belle musique produit chez moi des effets littéraires, et que j'imagine, en l'écoutant, des histoires auxquelles, sûrement, ni Beethoven ni les autres n'avaient jamais songé. Je suppose même qu'il en est ainsi pour tout le monde, et que les notes ne sont que des ailes pour aller plus vite vers les régions de la pensée où l'habitude nous porte, que les amoureux pensent de suite à leurs amours, les gens heureux à leur nid, les âmes saintes au paradis, les poètes au monde des légendes, et que toutes les âmes s'envolent ensemble, mais vers des rêves qui diffèrent.
Que deviendraient nos poumons sans la mer, et nos pauvres cervelles, et nos nerfs, transformés en fils électriques à courant continu ? La campagne n'a plus assez de maisons pour les surmenés qui ont besoin de repos, et c'est tout le monde. Elle ne remet pas à neuf en trois semaines. Il lui faut une saison, un printemps, un été. Elle travaille lentement, comme les boeufs, et nous n'avons pas le loisir d'attendre. La mer, qui est le grand réservoir de vie, s'est chargée de nous. Elle nous sale et nous conserve...
Mais tous les animaux perdent la crainte, quand la lune donne. C'est nous qui devenons peureux. Tant de bruits, imperceptibles le jour, nous enveloppent à présent, et demeurent inexpliqués ! Nous nous apercevons que la vie continue sans nous, et cela nous effarouche de voir vivre, alors que le sommeil tient les hommes, les grands, les intelligents, les maîtres, et nous supprime.