👯 « Quand elle a poussé la porte de la maison, La Varienne s'est levée. Luce s'est jetée contre le grand corps. Il n'y a pas d'autre vérité. Tout est là. Dans l'obscur du grand tablier. Qu'on la protège.
Les bras forts se sont clos sur elle, l'ont portée sur le lit. »
(P.42)
👯 La mère, c'est la Varienne. La petite, c'est Luce. « Abrutie » disent-ils de la mère. Jamais un mot, jamais une phrase, seule une complainte persistante, un grognement animal, et ce regard qui fuit en permanence, et encore, ce n'est pas le regard qu'elle baisse face aux autres, c'est la tête, dans un ultime réflexe de résignation, de triste capitulation, bête blessée. le seul mot qu'elle ait jamais prononcé, c'est le prénom de sa fille à sa naissance, dans un cri de déchirement, les entrailles ouvertes au monde : Luce. Sa fille, sa lumière sur l'univers, sa bataille, sa raison d'être. Oui, ils peuvent bien l'appeler abrutie ou demeurée, que savent-ils de ce lien indéfectible, connaissent-ils vraiment l'amour, inconditionnel, impérissable, intouchable ?
👯 Pourtant, un matin, cette vie à deux est chamboulée : Luce doit aller à l'école. Sans surprise, elle se retrouve seule dans la cour, les camarades l'ignorent ou la moquent, demeurée elle aussi, qu'en attendre, qu'en faire ? Mademoiselle Solange, l'institutrice, note la singularité de la petite fille, elle ne parle jamais, les leçons s'accumulent jour après jour sans qu'elle n'imprègne jamais aucune d'elle … loin d'être stupide, il semblerait qu'elle s'obstine à ne rien garder pour elle, pour que tout glisse et que, le soir, de retour à la maison, elle soit pour sa mère la petite fille qu'elle a toujours été… L'obstination de Luce n'a d'égale que celle de sa maîtresse, et celle-ci décide de s'occuper de la jeune fille après les cours. Il faut apprendre à écrire, a dire qui l'on est. « Tu es Luce M. », tu dois écrire tes nom et prénom. Les lettres blanches de la maîtresse sur le tableau noir, la craie qui grince et qui concrétise la réalité tant redoutée, qui brise le duo indivisible, la bulle d'amour exclusif, le cocon fusionnel.
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Les demeurées… une femme et sa fille enfermées dans leur microcosme, incomprises et ridiculisées. Oui elles se suffisent à elles-mêmes, oui elles ignorent les moqueries, oui elles ont construit des murs imbattables. Quiconque tentera de les aider, qui conque brisera cet aveuglement heureux échouera dans sa tâche. Elles ignorent les mots qui sont les codes, elles ont leur propre langage, leurs règles : elles sont Luce et la Varienne, rien d'autre. Ni passé ni futur, rien que ce
présent continu, qui s'illumine au lever du soleil et qui s'assombrit à son coucher…