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4,04

sur 879 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce roman est bouleversant à tous points de vue. On voit évoluer Luce et sa mère, dans un univers à part, où tout est vécu à un rythme particulier comme au ralenti. Au début, on a l'impression que la Varienne est dure, car elle n'exprime pas sa tendresse, son amour pour sa fille par des mots. Ici, tout est en nuance, la communication est presque tactile, et on en ressent la force dans l'écriture de Jeanne Benameur. L'essentiel est dit, vécu, c'est palpable pour le lecteur. Il y a une sorte d'osmose entre elles.

On commence à le sentir lors du premier jour d'école, la première séparation de ce couple mère-fille qui va se trouver modifié par ce changement important.

Il y a aussi les autres : les autres enfants, les autres adultes, qui pensent que si la mère est « demeurée », la fille l'est forcément. Mais la mère, elle, sait que sa fille a cette lumière dans l'oeil, qu'elle-même n'a pas, que l'intelligence est là, la curiosité. Mas comment transmettre ce que l'on ignore, parler quand on ne sait pas, quand le ressenti est tellement plus fort que les mots.

En voulant transmettre à tout prix, l'institutrice, Mademoiselle Yolande va rompre un équilibre et la petite fille tombera malade. La mère et la fille se nourrissent l'une de l'autre, chacune ressent dans sa chair, ce qui tourmente l'autre. Peu à peu, Luce va trouver elle-même le chemin, et de façon magistrale.

Jeanne Benameur nous fait un récit flamboyant, tout en nuance, ciselé, elle joue avec les mots, comme d'un instrument de musique, et nous fait explorer tout ce que l'on peut associer au mot « demeurée », attardée mentale, mais aussi demeurer dans l'instant présent, où demeure-t-on ?

Son écriture enchante, tant elle est belle, tant les mots sont précis, forts, tant elle fait irradier l'amour dans une situation difficile. Elle parle une langue nouvelle, remaniée et pousse la réflexion vers ce qu'est l'intelligence, et où sont les limites de l'apprentissage pour la développer, pour aller vers l'intelligence du coeur. Chaque mot est important. du travail d'orfèvre. J'aime les auteurs qui manient ainsi la langue, qui se la réapproprie presque. J'ai eu envie de recopier des phrases entières, (et presque tout le livre…)

C'est un récit court, à peine 84 pages, mais d'une telle intensité que j'en suis restée figée, ébahie, et avec une sensation de plénitude, comme si l'on avait mise sous perfusion, chaque mot fait son chemin … un titre vient à l'esprit tandis que j'écris : « Les nourritures terrestres » de Gide. Jeanne Benameur m'a nourrie affectivement, littérairement aussi.

C'est le deuxième roman de Jeanne Benameur que je lis (je l'ai découverte avec « Profanes » qui a également laissé une empreinte particulière en moi). Et c'est un nouveau coup de foudre. Je vais suivre cette auteure de très près et essayer de lire tous ses textes. J'ai hâte de retrouver sa petite musique. Et bien entendu: coup de coeur.

Note : 9,5/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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Je viens de refermer ce petit livre( 84 pages) bouleversant.
L'auteur,à l'aide d'une écriture poétique, chaque mot est ciselé,on a envie de transcrire la moitié de l'ouvrage tellement l'art de l'écriture est poussé à son paroxysme.


La Varienne: une femme dite (simple ), engrossée par un homme ivre,employée chez des riches voisins a eu une petite fille: Luce.
Elles vivent soudées, dans leur petite maison,à l'écart,.
La Varienne s'occupe de sa fille à sa manière ,aimante mais fort silencieuse.
Elles s'aiment,Elles se suffisent.
Mais vient le temps de l'école.
L'institutrice ,bonne et animée de passion pédagogique va tout tenter pour intéresser la petite fille à l'écriture et à la lecture.
Elle va se heurter à un mur lorsqu'il s'agira d'apprendre à lire à Luce.
Celle- ci refusera de revenir à l'école ,elle tombera malade......
Mademoiselle Solange ne le supporte pas, se noie dans la dépression, jusqu'à sa mort ( accidentelle).
Ce petit récit est d'une grande intensité émotionnelle ,d'une beauté inestimable,d'une intelligence rare....
Je l'ai lu d'une traite,( connu grâce à Babelio).
Il y a longtemps que je n'avais ressenti une telle émotion.
Les phrases sont courtes, enlevées,poétiques,comme une caresse.
Ce livre est sublime!Vive la lecture qui procure de telles joies!!!!!
Lisez - le.
Je n'ai pas trouvé de mots assez forts pour le décrire.



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LES DEMEURÉES - Jeanne Benameur - Roman - Éditions Folio - Lu en novembre 2023.

NOIR, pas sombre ou gris, noir est ce roman.

Triste, marquant, je me suis sentie tellement privilégiée face à cette maman démunie de qui personne ne s'est jamais soucié et que les villageois appellent l'Abrutie, La Demeurée, La Varienne, aucun prénom.

Et puis, la petite, qui par hérédité est aussi nommée la demeurée, la fille de la Varienne, née d'on ne sait quel père et qui porte le si joli prénom de Luce, lancé comme un cri par la maman lors de sa naissance, c'était une évidence, qu'elle s'appelle Luce la petite que tout le monde lui disait "de faire partir"

Luce est tout ce qu'elle a de plus précieux, sa petite lumière.
elles ne sont pas deux, elles sont une.

La Varienne et Luce vivent "dans une maison de rien", Luce à cinq ans, sa mère fait le ménage chez "Madame" , une dame bien née elle.
Elles vivent chichement, se parlent peu, on dirait que les mots sont de trop. Tout est dans leurs yeux, dans leurs gestes.

"Rien que le silence qui pétrit le sang et la chair" pge 12

Elles ne fréquentent personne, elles dorment dans le même lit. Ainsi vivotent-elles cahin-caha, solitaires mais solidaires.
"Luce a un trésor, une toute petite dent, très blanche, lisse. Elle la caresse longuement. Sa main serre jusqu'à la douleur"

Et puis, il y a Mademoiselle Solange, la douce institutrice, l'école est obligatoire et Luce doit s'y rendre. Un déchirement pour la mère et pour Luce.

"La Varienne n'a pas regardé Luce partir. C'est brusquement , une fois la porte fermée, qu'elle s'est levée. Elle a suivi sa petite, comme font les chiens dont on ne veut pas, de loin...
Les deux bras ballants, devant l'édifice qui avait dévoré sa petite, plantée devant la grille close, jusqu'à ce que Mademoiselle Solange vienne lui dire : il faut partir maintenant"

Luce ne participe pas, ne parle pas, n'écrit pas, elle est ailleurs, mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, elle enregistre tout, presque à son insu, jusqu' au jour où Mademoiselle Solange lui apprend à écrire son nom de famille. Depuis ce jour-là, la petite n'est plus allée à l'école, elle est tombée malade.

"Mademoiselle Solange voit la place vide de Luce et elle se demande ce qu'elle a bien pu dire pour que l'enfant s'enfuie. Elle n'arrive plus à trouver la paix. Quand ses élèves repartent, le soir, elle a maintenant du mal à quitter la classe. Quelque chose la retient.
Devant le tableau, elle demeure.
Qu'a-t-elle dit ? Qu'a-t-elle fait ?" pge 49

Et Mademoiselle Solange dépérit, tombe malade de ne pouvoir aider Luce, elle se met mentalement dans la tête de Luce, dans sa solitude, elle se sent Luce. Un nouveau professeur vient la remplacer.

Il y aurait encore tant à dire sur ce livre, mais je vais m'arrêter là, car la suite n'est pas non plus joyeuse, on a le coeur bien lourd.

Mais paradoxalement, c'est beau, je ne sais plus qui a écrit "les livres les plus beaux sont les livres les plus tristes", ou quelque chose comme ça.

Et bien c'est vrai. C'est beau parce que l'écriture de Jeanne Benameur est superbe, juste les mots qu'il faut, ni trop, ni trop peu, ses mots parlent, ses mots crient, ses mots pleurent, ses mots brillent, ses mots éclatent et ne forment qu' ÉMOTION.

Luce veut dire lumière, alors, juste pour vous dire que malgré la noirceur il y a une petite lueur qui brille pour Luce.

Vous dire que le roman Les Demeurées de Jeanne Benameur m' a marquée, c'est peu, je ne suis pas prête d'oublier La Varienne, Luce et Mademoiselle Solange, cette lecture m'a remuée au plus profond .
Je mettrais bien le livre tout entier en citations. Il n'y a rien à ôter, rien à ajouter. 81 pages, un petit livre mais géant de par ce qu'il dégage.

Ah si, la couverture, qui illustre si bien l'histoire.




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Les demeurées, on les nomme tout d'abord les abruties.
C'est une mère et sa fille, à la lisière d'un village, à la lisière du monde des autres.
Chaque jour d'elles n'est rien, c'est comme une absence, rien ne s'apprend, rien ne s'éprend, l'émotion semble éloignée de leurs pas.
Elles vivent sans les mots entre elles, elles ont d'autres chemins pour venir l'une à l'autre, se comprendre dans le silence qui tient lieu de leur univers. Entre quatre murs.
Elles sont dans un autre monde qui les ignore peut-être aussi.
La mère, on l'appelle La Varienne, on ne saura jamais pourquoi on la nomme ainsi. Sa fille, c'est Luce.
On pourrait croire qu'elles s'ignorent. On pourrait presque le croire.
Tout a lieu entre elles dans le silence, le désastre du réel qu'elles ne savent pas prendre dans leurs mains, dans leurs gestes comme il faut.
À la place des mots, il y a des gestes. Comme une louve avec ses petits, des gestes pour protéger, des gestes pour aimer. Pour la protéger du monde du dehors.
« Demeurée, c'est l'autre nom pour l'abrutie qu'elle est. »
Et puis Luce doit aller à l'école.
À l'école, les rires des autres enfants la condamnent par avance au silence. Aussi l'institutrice Mademoiselle Solange ne l'interroge plus. C'est plus tard après la classe que cette maîtresse d'école vient s'asseoir près d'elle, tenter de percer ce silence malgré l'impatience qu'a la petite de vouloir rentrer si vite chez elle, s'engouffrer dans un autre silence là-bas. Là-bas, demeurée près du silence de sa mère...
Enfermées, invulnérables.
Demeurées.
Demeurées dans leur silence.
« Luce n'apprend rien. Luce ne retient rien. »
L'institutrice voudrait aider Luce à apprendre, voudrait l'aider avec l'attention et la douceur qu'il faut pour venir jusqu'à Luce, venir au bord de son monde, être apprivoisée par l'enfant.
Une douceur sans limite étreint Solange la maîtresse d'école lorsqu'elle se retrouve devant le regard des enfants de sa classe, l'étreint depuis qu'elle fait ce métier, sa passion.
Apprendre est une joie. Fut toujours une joie. Pourquoi aujourd'hui douterait-elle de cette joie ?
« Elle mènera cette enfant au seuil du monde, par les mots. »
Dans la cour de récréation, Luce ne se mêle pas aux jeux des autres enfants. Ses yeux, ses pensées peut-être qui sait, se mêlent à la cime haute de l'arbre de la cour.
Comment inverser cette fatalité qui dit ici au village que l'enfant d'une demeurée est une demeurée. ? Comment conjurer le sort ?
Demeurées, craintives du monde extérieur.
C'est aussi le récit de cette institutrice dont le monde qu'elle pensait si bien connaître se fissure sous ses pieds. Se rendre compte qu'elle ne peut rien, se sentir ainsi démunie, c'est comme un échec, comme un désarroi, un chagrin... Alors Solange a mal. Alors Solange vacille.
J'ai relu aujourd'hui ce court roman de Jeanne Benameur qui tient en quatre-vingt-quatre pages. Je me souviens de l'avoir lu il y a très longtemps, c'est la porte par laquelle je suis entré dans l'univers de cette autrice si inspirante. Je ne me souvenais pas de cette fin. Je n'en dirai rien ici.
L'écriture offre un texte sobre, à l'épure, dans un récit sensible et généreux où les phrases, poétiques, sont ciselées comme dans le travail d'un orfèvre. Elles vont à l'essentiel.
Demeurées dans l'amour.
Un livre poignant, où les mots appris deviennent vivants.
J'ai été touché au coeur à la relecture de ce livre fort beau.
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On m'avait dit : « Lis ça, tu vas adorer ! » On m'avait dit : « Il faut le lire d'une traite, en apnée. »Par contre on ne m'avait pas dit à quel point ce tout petit texte est bouleversant. On ne m'avait pas dit qu'il allait me prendre aux tripes. C'est toute la littérature que j'aime. Une écriture minuscule, faite de phrases courtes, ciselées et imparables. Tout est gratté jusqu'à l'os, pas un mot de trop. le genre d'ouvrage qui me conforte dans l'idée qu'il n'y a pas de plus belle activité que la lecture.
Simplement sublime.
Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Un chef-d'oeuvre de sensibilité et de poésie, tout en pudeur et en délicatesse !

En peu de pages, l'auteure nous conte l'amour unique entre une mère et sa fille, une mère considérée comme une « demeurée » aux yeux des gens du village.
Pas de mots entre elles, mais des regards, des gestes de protection.
Et puis quand arrive le temps de l'école, cela se passe mal. La petite ne supporte pas le regard de douleur de sa mère lorsqu'elle la quitte. L'institutrice, Mademoiselle Solange, s'en mêlera, et c'est là que tout basculera…en bien et en mal.


J'ai adoré m'aventurer dans cette petite maison, et suivre sur la pointe des pieds cet amour démesuré.
J'ai compati devant les efforts de l'institutrice, qui aime son métier et qui voudrait tant que cette enfant apprenne à lire. « Apprendre, c'est la joie », lui a dit son professeur. Pourquoi son élève n'est-elle pas heureuse d'apprendre ?
Cette question m'a tracassée, et me tracasse encore, quand je regarde ma propre expérience : combien d'élèves sont-ils encore heureux d'aller à l'école ? Comment les « inciter » à la joie ?
C'est le temps des vacances, je vais en profiter pour y réfléchir.


« Les demeurées » est un roman minuscule, mais immense par la fenêtre qu'il ouvre sur l'apprentissage et le respect de la différence.
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Voici un très court roman, presque une nouvelle d'une autrice que je souhaitais découvrir depuis quelques temps déjà suite à de nombreuses critiques élogieuses.
Les premières lignes et déjà l'autrice m'emporte :

« Des mots charriés dans les veines. Les sons se hissent, trébuchent, tombent derrière la lèvre. Abrutie. Les eaux usées glissent du seau, éclaboussent. La conscience est pauvre. La main s'essuie au tablier de toile grossière. Abrutie. Les mots n'ont pas lieu d'être. Ils sont. »

*
Le point de départ de cette histoire est assez simple : une mère, La Varienne, et sa fille Luce vivent en retrait d'un petit village. Ce qui les isole des autres, c'est leur différence, car La Varienne est l'idiote du village.
Une attardée, une demeurée, une abrutie.

« Elle va, le regard qui bute sur le monde. »

Et comme sa mère est idiote, Luce ne peut être qu'une attardée, une demeurée, une abrutie. Forcément !
Lorsque la petite Luce devra prendre le chemin de l'école, leur quotidien et leur façon de vivre vont être totalement bouleversés. A jamais !

« Plus rien dans la maison ne va tenir sa place… La réalité cède. le désastre a lieu en silence, tranquillement. »

Pour la petite Luce, l'école est un monde nouveau et brutal qui l'agresse de mots, de présences, de jeux et de cris d'enfants. Malgré son regard bienveillant et tendre, malgré l'évolution de sa pratique pédagogique pour s'adapter au mieux à cet enfant atypique, mutique et sauvage, Mademoiselle Solange, l'institutrice, bute sur la volonté farouche de la fillette à rester ignorante : Luce refuse obstinément de comprendre, d'apprendre, de parler, de communiquer.
Chaque soir, le long du chemin qui la ramène chez elle, les mots et les leçons de la maîtresse s'effacent, les pages d'écriture retrouvent leur blancheur.
Le monde des mots se referme pour s'ouvrir sur le monde non-verbal de sa mère, et le langage des sens, du regard, du toucher et des silences l'enveloppe et la réconforte.

« Sur le chemin déjà elle égrène les mots qui ont réussi à occuper une place dans sa tête. Il faut garder le vide… Elle chante sur le chemin. Les mots s'accrochent aux branches des arbres. Les mots tombent dans la boue et s'enfonceront bien loin, sous les roues, sous les pas pesants qui colleront à la terre bien noire. Il faut. »

La Varienne, quant à elle, est perdue sans sa fille. Attendant son retour de l'école, elle laisse filtrer ses émotions, sa solitude, son isolement, sa peur instinctive de la perdre. Sa souffrance m'a rattrapée, elle m'a profondément émue. Je l'ai trouvé belle et touchante dans sa détresse.

*
Cette histoire se noue autour de ces trois personnages féminins : cette maîtresse passionnée qui aimerait comprendre pourquoi la petite Luce n'entre ni dans le moule de l'école, ni dans les apprentissages, qui aimerait l'aider à s'épanouir, à devenir élève pour faire tomber les préjugés et les idées reçues sur le handicap et son caractère héréditaire ; la petite Luce, sensible et apeurée par l'école, inquiète que les cahiers d'écolier la séparent irrémédiablement de sa mère ; et la Varienne, pudique dans ses sentiments, déchirée par l'obligation de laisser partir son enfant à l'école.

*
La beauté de ce roman réside dans le lien entre cette mère et sa fille. Elles sont deux et sont pourtant indivisibles. L'autrice, d'une plume tendre et légère, d'une subtile délicatesse, entrelace ces deux êtres dans une bulle qui les sépare du monde extérieur.
Une bulle où l'univers familier, la maison rassurent et protègent. Une bulle faite de silences mais où les émotions et les sentiments prennent une dimension aussi vibrante que lumineuse. Une bulle qui rend les mots inutiles, superflus tant les regards et les gestes se suffisent à eux-mêmes. Une bulle où la présence de l'autre suffit, mais où la distance et l'absence déroulent leurs souffrances. Une bulle faite d'un amour viscéral, instinctif, immense, fusionnel, indéfectible.

« Elle entre dans le coeur de sa mère, pénètre dans les régions lointaines, confusément familières. Elle n'est plus seule, détachée, grandie sur ses deux pieds. A nouveau le petit corps roule au fond du grand, invulnérable et transporté. »

Et cette bulle éclate, l'école et la maîtresse dressant un mur invisible entre deux mondes qui s'opposent.

*
A travers une narration délicate, épurée et poétique, Jeanne Benameur explore les thèmes de la différence et de l'acceptation, de l'exclusion et du rejet, de la solitude et de l'amour mère-fille. Elle nous invite à réfléchir sur la notion de normalité et aborde, avec douceur et finesse, le regard que l'on pose sur le handicap et plus généralement sur les autres.
Un regard qui peut suffire à fragiliser, blesser ou isoler.

*
Pour conclure, le roman de Jeanne Benameur est d'une sensibilité de chaque instant. L'autrice a trouvé les mots pour décrire, avec simplicité et justesse, le silence et la pudeur infinie des sentiments qui lient une mère et son enfant. Bien souvent, on ne dit jamais assez aux gens combien on les aime. Mais ici, les mots sont inutiles.
Un roman de 8O pages seulement, petit par la taille, grand par la beauté de l'écriture et la profondeur des émotions. Je vous invite à le découvrir.

*****
Un petit clin d'oeil et un grand merci à Bernard (@berni_29) pour cette lecture qui ne pouvait que me toucher.
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J'ai lu ce livre en apnée, happée à la fois par la plume de l'auteure et l'évocation de ces deux héroïnes que sont la Varienne et sa fille Luce : Les Demeurées dont le titre éponyme donne toute la dimension à la fois tragique et stigmatisante. Ces deux femmes vivent dans le récit à la frontière du réel et du fantasmatique.
En effet, on pourrait tout d'abord se croire dans un conte noir avec le caractère très dérangeant de la scène inaugurale qui nous présente La Varienne, une femme, déficiente intellectuelle, mutique , vivant dans une totale exclusion sociale avec sa fille Luce, non moins muette et enfermée dans le cercle restreint de la cabane qu'elles occupent, à la lisière d'une forêt, à l'écart du village. Jeanne Benameur nous brosse des portraits dont la noirceur est non seulement liée au contenu mais aussi à la façon dont elle joue avec les mots qui se cognent, se répètent dans une psalmodie cacophonique, avec une force entêtée autour de deux leitmotivs : demeurée, abrutie...
Mais heureusement le cheminement de cette fable poétique est celui de la noirceur vers la lumière. L'intrigue va se nouer autour des mots et d'un personnage - qui fait son entrée en scène, le jour où Lucie va devoir aller à l'école - Mlle Solange, l'institutrice, à la fois mauvaise fée et ange salvateur.
Mauvaise fée, car elle va rompre sans le vouloir le rapport fusionnel dans
lequel vivaient La Varienne et sa petite Luce en faisant découvrir à cette dernière grâce à l'écriture de son prénom au tableau de la classe , qu'elle a une existence propre, une identité qui n'appartient qu'à elle , ce qui, dans un premier temps, va être un véritable choc traumatique pour la petite qui va sombrer dans une sorte de torpeur très proche de la mort...
Ange salvateur, Mlle Solange l'est aussi indirectement car l'on va assister au retour miraculeux à la vie de Luce, grâce à la mélopée lancinante que va chanter La Vareille au chevet de sa fille. Une scène magnifique toute en tension et en émotion, qui par sa gravité solennelle confine au sacré...
Ce moment est charnière dans le roman car à partir de là, mère et fille vont naître au monde des émotions et des sentiments. Elles vont découvrir les larmes, la peur de perdre l'autre mais aussi l'attachement et le plaisir qui lui est lié.
Les mots sont donc, de façon directe ou indirecte des acteurs de premier plan. Et, dans ce récit à caractère magique, ils courent, ils volent, ils résistent et chantonnent dans la tête de la petite Luce. Ils sont une sorte de Graal vers lequel elle tend sans en être vraiment consciente. Ils sont aussi au coeur d'un autre drame qui fera de Mlle Solange une victime sacrificielle.
J'ai rarement lu un roman qui mette en valeur le pouvoir du langage avec autant de subtilité et de force poétique.
Ce qui court aussi en filigrane dans tout le roman à travers l'évocation récurrente du chant, c'est le pouvoir de tout ce qui se situe au- delà des mots et devant lequel il faut parfois s'incliner, faute de commettre une sorte de sacrilège. C'est sans doute ce qui explique le sort tragique de Mlle Solange : gardienne du "temple des mots" elle n'a pas su voir leurs limites...
J'aime beaucoup Jeanne Benameur et parmi les romans que j'ai lus celui-ci est un de ceux qui m'a le plus marquée
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Voici, pour moi, un livre étrange, qui sort de l'ordinaire (de mon ordinaire ?).
Un livre très court, moins de 100 pages. Un livre qui m'a beaucoup plu par son côté poétique. Cette écriture rend plus facile ce qui est dit. Car l'histoire est à la fois dure et tendre. Une mère qualifiée d'"abrutie" (la "demeurée" du titre) par son village, illettrée, sa fille qu'on associe à la mère, une institutrice qui veut changer cet état de fait. Et l'amour entre la mère et la fille, fait de non-dits, faits de rapprochements...
Un livre très beau qui m'a fait un peu peur aussi. Pourquoi ? je serais bien en peine de le justifier.... Pour cet amour exclusif, excluant ? Pour la tristesse qui accompagne chaque personnage, qui enveloppe cette histoire pourtant porteuse d'espoir ?
Un récit subtil qui m'a permis de découvrir l'autrice. Une découverte faite grâce à la critique de Nastie92 (merci Nathalie !). Je sais déjà que je vais aller étudier la bibliographie de cette autrice !
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Demeurées dans la nuit.
Demeurées derrière leur mur protecteur, de survie, le mur qui garde, le mur qui casse, silence, fermeture, dedans à l'abri, dehors en rupture, on les appelle demeurées, et on les oublie, et on s'éloigne des demeurées.
Les mots doivent être enseignés, c'est obligatoire, mais Solange, l'institutrice, trouve les portes fermées, la mère et la fille demeurent derrière, dans le silence, avec les gestes, les signes et la nuit, celle qui apaise et qui conforte, qui les rend fortes, force en va-et-vient de l'une à l'autre, qui donne et qui reçoit.
Elles demeurent, résistent à l'intrusion du monde qui s'impose avec sa cohorte de mots bruyants, envahissants et dangereux.
Elles demeurent sur leur chemin de vie, la mère La Varienne et sa petite Luce, elles tissent leur monde, elles tissent leur nid, et le fil de la vie, aux couleurs multiples et larmes silencieuses, suit, entraîne et accomplit.
Le chemin est long et les pas sont lents, lourds et méfiants. Elles demeurent et elles avancent, jusqu'au miracle, la rencontre avec l'envie, l'envie d'écrire un nom, "une force juste née, terrible."
"Les mots ont beau avoir été lancés de toutes forces jusqu'en haut des arbres. Les mots ont beau avoir été piétinés sur le chemin, ils sont là. Ils ont fait leur nid dans sa tête.
Maintenant ils reviennent, furtivement appelés par le fil et l'aiguille.
Aujourd'hui, les mots sont là, dans sa tête à elle.
Ça ne fait pas de bruit."
Demeurées dans l'amour, avec sa force et sa solitude, demeurée dans la mémoire et dans le coeur, son nom écrit avec le fil, l'aiguille et l'envie, quand apprendre devient une joie.
Jeanne Benameur, écriture délicate et vibrante, fine dentelle-épure née d'une interrogation profonde et discrète, tout en retenue, de la nuit mystérieuse et dense de l'être.
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