La carte postale, nouveau roman d'
Anne Berest, a bouleversé mon été (et je l'espère, bouleversera la rentrée littéraire !) tant sa narration m'a happée dans le récit dramatique d'une famille. Autour des quatre prénoms Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques,
Anne Berest reconstitue l'histoire errante de sa famille maternelle décimée lors de la seconde guerre mondiale En procédant comme une enquête généalogique, elle redonne à ses parents leurs identités et s'inscrit dans une filiation retrouvée.
Au moment où elle se prépare à accoucher,
Anne Berest se rappelle
la carte postale énigmatique reçue en janvier 2003 mais dont la photographie date d'au moins dix ans. A l'époque, la famille s'est interrogée sur son expéditeur puis ne trouvant pas de réponse, la carte fut oubliée dans un coin. Mais, avant de reprendre l'enquête sur la carte, Léila, sa mère, décide de raconter l'enquête généalogique qu'elle a menée pour tenter de redonner un passé à sa famille.
Car ces prénoms sont ceux de ses grand-parents et de ses jeunes grand-oncle et grande-tante disparus en déportation. Ainsi, c'est l'histoire d'un antisémitisme européen qui nous est relaté poussant une famille russe de 1919 à s'exiler à travers le monde. Après une période en Israël, Ephraïm et Emma choisissent la France pour apporter une terre à leur famille. Seulement, les mesures antisémites et les lois scélérates de Vichy auront raison de ces juifs étrangers qui furent pourchassés et subiront, les premiers l'épuration ethnique que la population française a à la fois encouragé mais aussi, avec les justes, protégé.
Seule survivante, Myriam, grand-mère d'
Anne Berest, a tout fait pour essayer d'oublier, quitte à ne plus pouvoir rien en dire, de ce passé trop lourd à partager. Alors, elle s'est interdit de raconter provoquant la colère de sa fille. Celle-ci s'est heurtée à ce mutisme ne pouvant se construire sans recoller les morceaux d'une vie fracassée. Ce qu'elle a fait et qu'elle transmet à sa propre fille au moment où elle va être mère.
Seulement, là où la mère ne peut aller plus loin,
Anne Berest reprend le fil de sa filiation en s'interrogeant sur cette carte, son expéditeur, la situation de son envoi et l'intention de cet anonyme qui marque à jamais la mémoire de ces aïeuls effacés de l'Histoire. A partir de cette recherche, c'est aussi l'histoire de la judéité en Europe mais aussi le sillon que creuse encore aujourd'hui un antisémitisme toujours actif.
La carte postale est le récit nécessaire d'un passé qui ne doit s'oublier ! Mais, au lieu d'une simplification trop réductrice que l'émotion convoque souvent, la fiction ici explique le contexte, la situation, la lente maturation d'une idéologie des meurtres de masse pour supprimer de façon subjective une partie de la population. Elle pointe aussi la responsabilité d'un État français qui est devenu plus diligent que les demandeurs nazis en organisant rafles et camps pour servir à l'ennemi sa rétribution mortuaire !
Mais,
Anne Berest transforme le statut de victime, tant à l'oeuvre dans notre société contemporaine, en acceptation où ceux qui sont morts sont présents à jamais dans le quotidien de ceux qui ne pourront les oublier. Car,
Anne Berest démontre la présence de nos morts, leur permanence à vivre à partir du moment où leurs mémoires, leurs combats, leurs souffrances ont été captés au mieux par leur descendance, au pire par d'autres. Aucun mort ne doit être oublié, sinon c'est pire que de perdre la vie, c'est perdre une certaine partie de son identité d'humain !
Incapable de prévoir le parcours de ce roman écrit avec justesse et intelligence mais surtout sans pathos. Ici,
Anne Berest raconte comment un mot qui représente une religion pas pratiquée, pas honorée, va bouleverser cinq générations jusqu'à ôter la vie à certains ! Car le révolutionnaire Ephraïm qui avait effacé de sa vie l'asservissement à son dogme religieux d'origine sera quand-même rattrapé comme le dira son arrière-arrière petite fille, car ici, on n'aime pas beaucoup les juifs !
Chronique avec photos ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2021/08/18/anne-berest/