C'est en hiver que les jours rallongent est un BEAU livre sur Auschwitz. A priori c'est un mot qui ne peut pas s'appliquer à ces symboles de l'horreur que sont les camps de concentration, mais c'est justement le talent de l'auteur. Il réussit à raconter les abominations du quotidien des camps d'une manière assez détachée, sans s'apitoyer sur son sort, et même avec de l'humour. C'est absolument remarquable, et c'est ce qui fait que ce livre n'est pas un livre de plus sur les camps mais bien un ouvrage à part qu'il faut lire. Il écrit par exemple que les nazis fêtant Noël, ce sont les bourreaux célébrant la naissance d'un Juif alors qu'ils massacrent ses descendants tous les jours. Contradiction des nazis, ces "rejetons d'un pays dégénéré qui fut un modèle de culture".
Même les séquences les plus difficiles sont racontées de cette manière : lorsqu'il est tabassé par un kapo, il dit "le tout accompagné d'un répertoire dans lequel il est question de mon cul, de ma mère, de la façon dont j'ai été conçu et d'autres formidables injures". Mettre de l'auto-dérision dans un épisode aussi dramatique démontre une force de caractère hors du commun.
Le récit commence à bord du bateau qui le ramène d'Odessa en France, après la fin de la guerre. Ensuite on alterne les retours au camp, les séquences d'avant son arrestation, et le long parcours (plus de 6 mois) entre la libération d'Auschwitz et son retour en France. Car de nombreux prisonniers ont perdu la vie après leur sortie du camp, certains d'avoir trop mangé car leur estomac ne supportait plus rien, d'autres parce qu'ils étaient trop faibles tout simplement. Ils étaient physiquement libres, mais leur esprit ne l'était pas, ne pouvait pas l'être après ce qu'ils avaient vécu. Et puis il y avait les malheureux prisonniers russes, envoyés au goulag après leur retour au pays car d'après Staline "si ces hommes avaient survécu au traitement infligé par les nazis, c'est qu'ils avaient collaboré".
L'auteur raconte que les intellectuels survivaient moins bien car "se poser des questions sans réponses, s'apitoyer sur son sort vous ouvrait une trappe sous les pieds dont on ne sortait que mort". On ne réfléchit pas, on survit comme on peut, lui-même ne se voit "qu'en transit entre ma vie passée et ma mort". C'est après qu'on se rappelle et qu'on réfléchit ("la mémoire sans réflexion ne sert à rien. Avoir fait partie du cheptel à abattre dans un abattoir industriel pour humains oblige après coup à s'interroger sur bourreaux et victimes").
Joseph Bialot parle des nombreux survivants qui se sont suicidés après leur libération car ils ne pouvaient partager ce qu'ils avaient vécu. Comment raconter l'indicible à des gens qui célébraient la fin de la guerre ? Certains essaient d'oublier, mais "L'inconscient n'efface jamais rien. Il l'enterre. Mais les cadavres invisibles existent toujours. Et alors, bonne nuit les cauchemars". Personne n'est libéré d'Auschwitz, les survivants sont hantés à jamais.
Après la guerre, la mère de Joseph lui souhaitera son anniversaire deux fois par un : en août, le jour de sa naissance, et le 27 janvier, date de la libération d'Auschwitz, qu'elle voit comme la deuxième naissance de son fils.