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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Non, il ne saurait être trop question de la Shoah et de la barbarie nazie.
Ou ce serait se blaser de l'horreur.
Ce serait réduire à une masse informe, à une statistique, des individus, des familles, des histoires.

Non, on ne sait pas tout. Et même, on ne sait rien.

"Il y a, dans l'histoire des camps, "quelque chose", présent chez les survivants, qui ne peut être ni défini ni décrit en termes humains. La mort vécue ne peut pas se raconter, pas plus qu'on ne peut regarder le soleil en face ou rester indéfiniment sous l'eau. Auschwitz ne peut pas être "mis en mots", ni en images, ni en sons. (...)
Alain Resnais, dans Nuit et Brouillard, ne dévoilait que les conséquences physiques de l'extermination, jamais le quotidien qui a conduit à "Ça". Idem pour ce correspondant de guerre auprès des Alliés, réalisateur d'un étonnant document sur la libération de Bergen-Belsen, entièrement tourné dans un plan-séquence bouleversant.
La caméra voit, elle ne ressent pas. Elle ne peut pas montrer le gouffre qui s'ouvre en chaque individu lorsque, lucide, il commence à vivre son propre deuil. Ce n'est pas la peur de la mort qui est en cause, mais la "chose" indescriptible, l'instant indicible où s'effondrent toutes les structures morales, religieuses ou autres que chacun a construites durant son existence. C'est l'écroulement de son vécu qu'il est impossible de traduire, ce moment où chaque déporté plonge dans... QUOI ? (...)
A Auschwitz, chaque individu perdait brutalement tout le vernis "civilisateur" accumulé sur lui depuis des millénaires et résumait, à lui seul, toute l'histoire de l'espèce depuis l'apparition du premier homme sur la terre. Au camp, chaque petit bonhomme se présentait nu sous un microscope géant, dévoilant, grossies un million de fois, la bassesse et la grandeur contenues dans l'être humain."

Joseph Bialot tente donc l'exercice périlleux du témoignage de l'indescriptible, d'une expérience qu'on ne pourra pas même approcher.
Mais nous devons quand même essayer, comme ces survivants essaient de nous transmettre.
Car nous le leur devons, nous le devons à L Histoire, à l'Humanité.
Nous devons toujours nous rappeler, nous interroger et nous méfier de ce que l'être humain est capable de faire.
Nous souvenir que l'impensable a été et est encore possible.
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Hasard des lectures, je prends ce livre juste après avoir lu celui de Marie Chaix sur son père collabo ! Même époque mais changement d'ambiance. Là où certains profitaient au maximum de la situation politique, c'est la déportation pour des millions d'autres.

Il est toujours difficile de faire un compte-rendu des livres sur les camps de concentration. Quand on a lu Primo Levi, on "sait". Ce que Bialot nous décrit, on le "reconnaît". Et pourtant c'est unique parce que c'est son histoire, son arrestation, son arrivée à Auschwitz, son expérience de l'entraide, de la traitrise, de la souffrance, de la mort, de l'inhumain surtout, puis la libération des camps et le retour en France.

Joseph Bialot est surtout connu comme auteur de romans policiers (une vingtaine). Il a attendu plus de cinquante ans avant de pouvoir témoigner sur cette période et son livre se termine sur un hommage à tous ceux qui n'ont pas réussi à "re-vivre" au retour des camps et se sont donnés cette mort qu'ils avaient évitée au Lager. Parmi les plus connus, Primo Levi, Bruno Bettelheim, la mère de Art Spiegelman, mais aussi tous les autres.
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Août 1943, Joseph est arrêté par la gestapo et déporté à Auschwitz. Il n'en ressortira qu'en janvier 1945. Libre mais meurtri à jamais.
La libération, celle à laquelle on ne croit plus, arrive un jour. Mais elle dure des semaines, des mois, pendant lesquels on craint pour sa vie encore et encore, on fuit, on va de droite et de gauche dans l'espoir de pouvoir bientôt rentrer chez soi, si toutefois un "chez soi" existe encore.

Tout est souvenir : l'arrestation, l'arrivée au camp, le labeur, la camaraderie, l'importance des chaussures, la tendresse qui fait tenir, la cigarette tant désirée.
A travers cette mémoire si vive, il ressuscite les morts, fait reparaître les disparus et rend hommage à ses compagnons.
Ce récit est beau, humain, poétique et sans aucun pathos pour décrire toute l'horreur que cette période représente. le style de l'auteur est magnifique, il utilise l'humour et de belles métaphores pour décrire l'innommable.

Ce fut une lecture troublante et émouvante et je vous conseille vivement de découvrir ce bel hommage rendu à tous ces êtres détruits à jamais.

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En préambule au récit, Joseph Bialot exprime, comme le font dans leurs témoignages tous les survivants de l'holocauste, l'impossibilité de partager cette expérience de "mort vécue" que représente le camp de concentration. Il a tenté de l'évoquer à travers des romans, avant d'en conclure, des décennies après sa déportation, que dire réclame du premier degré, "au niveau du coup de poing dans la gueule", et qu'il s'agit d'ailleurs de montrer, plutôt que de dire, sans chercher d'explication.
Engagé dans la résistance, il est arrêté en août 1944 par la gestapo, torturé puis déporté. Il a vingt et un an, "l'âge où le rêve devrait dominer". Sa jeunesse le dote d'une audace qui l'incite à prendre des risques sans doute inconscients, mais qui l'aidera aussi à s'adapter et à survivre. En janvier 1945, alors que les nazis, fuyant l'Armée Rouge, embarquent avec eux les détenus d'Auschwitz encore valides, leur imposant ce que l'on désignera de manière aussi funeste que significatif les Marches de la mort, Joseph Bialot fait partie de ceux qui, malades et alités à l'infirmerie, restent au camp. Il finit par gagner, avec deux de ses camarades, Varsovie, puis Odessa, d'où il embarque sur un paquebot en mai 1945, pour rentrer chez lui.

Son témoignage alterne entre la description du quotidien du camp et ses souvenirs du séjour à Varsovie ou de son retour en France.

Il évoque Auschwitz dans toute son absurdité brutale et inimaginable, l'humiliation et le reniement de l'humanité que formalise dès l'arrivée cette tonte qui fait qu'on ne se reconnait plus dans le regard de l'autre. On y fait aussi l'expérience de la peur au sens le plus réel, le plus strict du terme du terme. On y perçoit les relations entre les hommes sous un angle insoupçonné, celui de l'absence de loi, si ce n'est celle de la matraque. Auschwitz, c'est le délire et le chaos total, "la connerie humaine élevée en mode de vie", un "pays du non-droit, du sans dieu, du sans âme, du sans pitié", qui efface tout ce que vous étiez avant et vous remodèle ("c'est à Auschwitz que j'ai été élevé"). On y meurt, enfin, à multiples reprises, perdant sa réalité par bribes, "comme une planche qu'on rabote, copeau après copeau, copain près copain". La mort définitive, quant à elle, survient de manière arbitraire et devient banale : "un homme qui tombe, ça fait "flac" quand ça heurte le sol, seulement "flac". Une gifle sans écho".

C'est le règne de la survie, de la débrouille. On se prostitue pour un bout de pain, on risque sa vie pour une paire de chaussures… Il s'agit de tenir, physiquement mais aussi psychologiquement, en se forçant à se souvenir de soi et des autres, malgré l'incontestable domination de la faim, qui fait oublier tout le reste, y compris ce que vous êtes ou ceux que vous aimez.

Joseph Bialot nous immerge dans l'inhumaine et cauchemardesque laideur du camp, royaume de la merde, des maladies, des cris et des plaintes incessantes, mais il en extirpe aussi certains moments de grâce restés dans sa mémoire : l'improbable beauté lumineuse d'une femme, l'acharnement des communistes à rester combatifs et à garder leur esprit collectif -les seuls selon l'auteur, qui suppose qu'ils le doivent à leur formation idéologique et à leur discipline, les manifestations soudaines de solidarité pour aider un camarade…

C'est néanmoins un désespoir profond quant à l'humanité qu'a laissé à Joseph Bialot l'expérience de sa déportation, qui s'est juré en quittant le camp de ne plus jamais militer, et de laisser les idéalistes sauver le monde. La marque laissée par Auschwitz ne s'effacera jamais, un infime stimulus -une odeur, un visage, une couleur- et il y repart, tout comme ses nuits, trente ans après, continuent d'être hantées de cauchemars.

Alors oui, "C'est en hiver que les jours rallongent" est bien, la plupart du temps, "au niveau du coup de poing dans la gueule", porté par un style efficace, voire sec et en même temps il nous surprend par ses pointes de poésie et d'humour. Un humour certes macabre, sombrement ironique, recourant à des images déroutantes -comme lorsqu'il décrit par exemple les détails d'un tabassage en le rapprochant des gestes d'un chef-d 'orchestre dirigeant un concert- mais qui par sa simple présence distingue ce récit des autres témoignages que j'ai lus sur les camps de concentration en lui conférant une tonalité singulière, et traduit sans doute chez l'auteur l'inconsciente nécessité, malgré tout, de prendre une certaine distance.

Quant à la poésie, en voici un extrait qui, en plus de conclure mon billet, l'illustrera bien plus efficacement que mes mots :

" … lorsque le ciel pleure d'humiliation d'avoir à coiffer un pareil pays, lorsque la terre en dégueule de honte sa boue liquide, lorsque les pierres et les arbres en frémissent de rage et d'impuissance. Les seuls encore capables de gémir".

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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