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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Si mai 1945 voit se profiler la fin de la guerre, ce n'était pour autant pas encore la paix. Les restrictions de toute sorte pèsent encore sur le quotidien, les gens sont usés, certains continuent de mourir. Les prisonniers de guerre et les déportés ne sont pas encore revenus, les règlements de compte s'annoncent, et lorsque les jeeps américaines s'engagent su les routes pour rejoindre les dernières poches du front, elles croisent des pyjamas sur la route. Des pyjamas rayés qui, de manière effroyable, renferment des corps vidés de leur chair, des « corps aux angles aigus ». Parmi eux, miraculeusement, il y a un « tas humain » qui sera ramassé après avoir donné des signes de vie.
Parlant français, cet inconnu à la mémoire blanche, sans identité, et auquel on a attribue le nom d'Alex entreprend une fois pris en charge par les autorités françaises un autre combat : celui de redevenir humain avec une enveloppe charnelle, une identité, un passé, des émotions…

C'est ce cheminement d'un amnésique vers le retour à la vie, ou plutôt vers la reconquête de sa vie que raconte Joseph Bialot dans La station Saint-Martin est fermée au public. Car après avoir vraisemblablement connu la famine, les brimades, la violence, la cruauté, l'angoisse incessante qui vrille l'estomac dans les camps, Alex a oublié ce qu'était être humain.
Il ressemble à un spectre, il appartient à cette foule d'invisibles que la guerre a réduits à l'état animal. Dés lors, avec une langue grave et une distance intuitive, on suit le récit d'un homme qui se laisse guider par ses sensations une fois qu'il rejoint Paris. Puis au fur et à mesure qu'il tente de ranimer sa mémoire, Alex se rend compte que le « qui suis-je ? » est douloureux, même s'il n'est plus la menace d'un kapo ou d'un SS.
C'est un roman pudique, de dimension et d'intensité modestes, peut être parce qu'Alex ne peut aller au-delà de la simple sensation et que les émotions ont longtemps demeuré comme anesthésiées. Toutefois, ce court récit dans lequel on pourrait certainement y déceler une part autobiographique quand on sait que Joseph Bialot est un ancien déporté, parvient à captiver le lecteur
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Avec La station Saint-Martin est fermée au public, Joseph Bialot façonne une DeLorean littéraire.

En effet, bien que le titre et la couverture de l'ouvrage augurent une dominante spatiale, cette fiction est avant tout soumise au prisme du temps, comme le laisse présager la photographie en noir et blanc de Jean-Pierre Couderc.

Assez significativement, le verbe de la station Saint-Martin est fermée au public s'avère d'ailleurs à la forme passive du présent de l'indicatif et préfigure en cela la posture initiale du héros soit celle d'un homme qui ne connait pas de passé – amnésie oblige – et qui endure un présent nébuleux. Il lui faudra donc lutter pour recouvrer son passé et ainsi triompher de ce présent qui l'accable.

Dans ce court récit, Joseph Bialot relate plus précisément la prise en charge d'un homme laissé pour mort par les Allemands et miraculeusement retrouvé par des soldats américains – qui l'appelleront Alex – à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Amnésique, il s'efforce tant bien que mal d'explorer les méandres de sa mémoire afin de "réintégrer sa peau, [de] se retrouver à l'aise". À travers la restauration d'un passé concentrationnaire, c'est donc la reconstruction mentale et identitaire qu'évoque l'auteur.

À mi chemin entre le témoignage et la fiction, La station Saint-Martin est fermée au public nous immerge, à travers des bribes de souvenirs, dans la misère et la pestilence concentrationnaire. Cette oeuvre hybride évoque également la profonde absurdité du mécanisme nazi : de l'odieux hasard avec lequel les allemands choisissent quel déporté tuer – ils utilisent le principe du loto – au métier de médecin du camp, chargé finalement de maintenir en vie des hommes voués à la mort.

Si Joseph Bialot insiste donc sur le caractère éminemment ubuesque de l'univers concentrationnaire, il délivre également bon nombre d'informations pratiques : il évoque notamment les différents tickets d'alimentation et le rationnement sous toutes ces formes (nourriture, gaz etc). Les notes de bas de page sont également précieuses : j'y ai ainsi appris quel était le surnom d'Isle Koch, la femme du chef de camp de Buchenwald ("la chienne de Buchenwald"), que le Grand Rex était un Soldatenkino durant l'Occupation, c'est-à-dire un cinéma exclusivement réquisitionné pour divertir la Wehrmacht ou encore qu'à Auschwitz, "nombre de Polonais aryens affichaient une grande admiration pour Rina Ketty" et plus spécifiquement pour sa chanson J'attendrai.

J'ai également grandement apprécié la réflexion duale sur l'espace et le temps. Dans La station Saint-Martin est fermée au public, il semble en effet que les lieux soient vecteurs de souvenirs – et donc en l'occurrence pour Alex, notre héros, de traumas – que seuls le temps permet d'apaiser. Espace et instant sont donc complémentaires ici et contribuent au travail de guérison. J'aurais toutefois aimé que certaines thématiques soient plus approfondies comme ce passage où il appréhende, à travers un de ses personnages, les mots comme un possible antidote à la barbarie – idée qui m'a d'ailleurs rappelé le très joli L'Ecriture ou la vie de Jorge Semprun – ou encore celui où il décrit le modèle allemand.

"Les nazis ont inversé l'ordre social et moral" écrit-il. "Au Lager, le pays du négatif, tu n'existes que si tu as quelqu'un au-dessous de toi, quelqu'un à haïr, à commander, à humilier, un être à détruire, à pressurer, à faire sangloter. C'est ça, aussi, le fascisme. le Kapokommando ne trouve de consistance que dans cette échelle de valeurs : il le droit de vie et de mort sur son Unterkapo, son Vorarbeiter, son Pipel et, bien sûr, sur tout crevard de base, le déporté lambda." L'expression "pays du négatif" par exemple, que je trouve extrêmement intéressante, aurait mérité plus d'explications.

De même, dans un autre registre, pour le personnage de Clotilde qui se trouve tiraillée entre le souvenir de son défunt – et vénéré – père et les exactions qui lui sont reprochées. Un récit plus long aurait permis d'explorer davantage sa psychologie et ainsi peut-être d'égaler la richesse réflexive du film Lore qui traite un sujet similaire. Les quelques cent-quarante pages me semblent également trop ténues pour aborder pleinement la résurgence progressive de la mémoire – d'autant que les souvenirs reviennent de manière chronologique ce qui me semble improbable et donc peu crédible – et aboutissent à une fin un brin trop abrupte à mon sens.

En résumé, une oeuvre pudique et lucide qui retranscrit à merveille l'expérience post-concentrationnaire mais qui aurait toutefois gagné à être plus longue tant les idées évoquées ou survolées laisse présager une grande richesse.

Ce témoignage fictionnel a été reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique. Je remercie donc Babelio et les éditions Libretto de m'avoir fait découvrir Joseph Bialot.

Plus de détails (mes rubriques "n'hésitez pas si ; fuyez si ; le petit plus ; le conseil (in)utile, en savoir plus sur l'auteur") en cliquant sur le lien ci-dessous.
Lien : http://blopblopblopblopblopb..
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Plus qu'un roman, il s'agit d'un récit, celui du retour d'un survivant des camps de la mort. Ces témoignages sont toujours touchants et celui-ci ne l'est pas moins que ceux de Levi ou de Kertész; un peu moins lourd peut-être puisque la rédemption du revenant se fait au gré d'une histoire d'amour. On se laisse happer par le destin du malheureux amnésique: moins de deux soirées mont suffi pour passer à travers l'histoire. C'est sans doute que l'écriture est efficace... et cependant, décevante, comme si le talent des Levi et autre Kertész n'était pas au rendez-vous
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