« le point de départ de ce roman est la mort de
Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980. L'hypothèse est qu'il s'agit d'un assassinat. Dans les milieux intellectuels et politiques de l'époque, tout le monde est suspect... » (4ème de couverture).
Jacques Bayard, commissaire de police est chargé de l'enquête et s'adjoint l'aide cérébrale de Simon Herzog, jeune universitaire spécialisé en sémiologie (science dont l'objet est l'étude de la vie des signes au sein de la vie sociale. Cf Petit Larousse) dont
Barthes est un éminent spécialiste.
Maintenant, attachez vos ceintures, nous atterrissons en 1980. J'ai rencontré et passé un bon moment avec Foucault,
Sollers et Kristeva,
Derrida, BHL (et oui déjà !),
Umberto Ecco... J'ai même assisté à des réunions dans le cabinet de Giscard en compagnie de Ponia d'Ornano, ou chez Jack avec Mitterrand et le jeune Fabius… Enfin bref, tout ce qui compte pour réfléchir et/ou gouverner à cette époque. C'est tellement bien documenté que je me suis vraiment retrouvée dans ces années 80.
Que font ces hommes politiques dans un livre sur la 7ème fonction du langage ? Et bien, il semblerait, selon des sources très bien informées, que cette 7ème fonction du langage soit la raison de l'assassinat de
Roland Barthes et que ce serait une arme hautement efficace ? Qui tient les tenants et les aboutissants de cette fonction, tient le pouvoir, ni plus, ni moins !
Au milieu de tous ces littéraires et philosophes connus, Jacques Bayard, détonne et peine à suivre. Imaginez un ancien d'Algérie au milieu de ces intellos, étudiants chevelus, barbus, fumeurs, buveurs… N'oubliez pas, nous sommes dans les années 80, licencieux et permissif. J'ai aimé cet éléphant qui, chargé par les plus hautes instances, essaie vaille que vaille de comprendre et d'assimiler ce milieu, de continuer son enquête et ne pas s'y noyer. Je pense bien qu'à certains moments, il s'est noyé dans la luxure… Mais bon, c'est l'époque qui veut ça ma brav'dame.
Laurent Binet a écrit un livre foisonnant, thriller-western instructif, marrant, ironique, érotico-sportif qui nous promène de l'université de Vincennes aux USA en passant par Venise…, le tout en compagnie de polonais et leur fameux parapluie sous la houlette de
Julia Kristeva, de japonais… Il se moque, sans méchanceté ( ?), du monde littéraire, universitaire, politique de leurs vanités, leurs arrogances, de leurs querelles, leurs impostures.
Les littéraires de tout poil ont dû se délecter avec ce livre, mais les non-initiés ramer (j'en fais partie) pour essayer de comprendre cette 7ème fonction du langage, la sémiologie et tutti quanti. Cela ne m'empêche pas d'avoir beaucoup aimé ce livre. Bien sûr, je ne l'ai pas lu en une nuit, il m'a fallu du temps pour lire et comprendre (ai-je vraiment compris ?) certains passages hautement intellectuels. Qu'à cela ne tienne, je me suis prise au jeu de cette enquête pipée, puisque l'auteur avoue, dès le début, en tirer les ficelles.
Grâce à la lecture de ce livre, je sais que si je rencontre un intellectuel avec deux doigts en moins, c'est qu'il est membre du Logos Club et qu'il aura été trop gourmand face à un adversaire plus érudit ou plus coriace. D'ailleurs un moment d'anthologie que la partie qui se joue entre Eco et
Sollers ! Je sais également que Mitterrand a été plus malin que Giscard et aurait peut-être trouvé la 7ème fonction du langage, c'est ce que pense Herzog en écoutant le face à face historique qui a amené son élection.
J'ai aimé la véracité des faits « historiques » comme les pages sur l'Italie des brigades rouges, de l'attentat de la gare de Bologne… A partir de cet arrière-plan véridique,
Laurent Binet brode, coud, coupe pour arriver à un livre quelque peu iconoclaste et irrévérencieux envers ces grands intellectuels. le style vivant, proche de l'oralité à certains moments contraste avec la « french theory ».
Bref, un livre très documenté, stylé, intelligent, iconoclaste avec des rebondissements inattendus et une fin volcanique. Une sorte de relecture du « Nom de la rose ». Je pense que
Laurent Binet a beaucoup d'admiration pour Eco,
Barthes, Foucault et autres Jacobson qui représentait l'élite de la pensé française, cette fameuse « french theory ». Beaucoup de regrets que cette élite n'existe plus et que nos «philosophes » actuels soient plus dans le paraître que dans l'être. Un livre à relire pour y trouver d'autres ouvertures, une lecture jouissive.
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