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sur 762 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Pour les nostalgiques du timbre : un polar épistolaire.
On se calme les philatélistes à double vitrage, je sais qu'en 1557 à Florence, on ne léchait pas encore le timbre-poste comme un sorbet citron, et que c'est à dada que les correspondances partaient en recommandé avec un trait d'arbalète comme accusé de réception.
Laurent Binet, rarement épargné par la critique, a le mérite d'explorer des genres littéraires différents et même d'en inventer certains. Il avait ainsi imaginé dans « Civilizations », des Incas envahissant l'Europe suite à une panne de GPS de Christophe Colomb, il avait rendu presque trépidante la campagne de François Hollande en 2012, ce qui relevait de l'exploit, dans « Rien ne se passe comme prévu », coécrit un « dictionnaire amoureux du tennis » et comploté autour de la mort de Roland Barthes dans « La septième fonction du langage ». Ma préférence va à son « HHhH » qui retrace l'histoire de deux parachutistes chargés d'assassiner en 1942, Reinhard Heydrich, dont le CV mentionnait la planification de la solution finale et la direction de la Gestapo.
Dans Perspective(s), un peintre, Pontormo, est retrouvé en petite forme, dans la mesure où il est mort, un ciseau planté dans le coeur devant la fresque monumentale qu'il réalisait sur commande du duc de Florence. Comme ce dernier est un Médicis, famille portée sur la conspiration, les vases et l'herboristerie, il charge Giorgio Vasari, premier historien d'art, peintre, architecte, écrivain et sorte de Machiavel Toscan du pinceau de trouver un coupable.
Ce crime va permettre à une vingtaine de personnages plus ou moins illustres, de correspondre discrètement sur l'enquête, de répandre des rumeurs, de comploter, de pleurer sur leur sort, de suspecter tout le monde, de s'allier au gré des circonstances et des opportunités politiques. Sans le savoir, ils inventaient les groupes Whatsapp !
Parmi eux, excusez du peu : une Catherine de Médicis qui n'a pas l'esprit de famille et un Michel-Ange fatigué de lever la tête et le doigt et dont l'âge change les perspectives.
Au-delà de l'intrigue, originale et bien ficelée, Laurent Binet oppose habilement les pouvoirs temporels et spirituels à travers la représentation du nu dans les peintures religieuses. ll s'intéresse aussi à la politique, à la condition féminine de l'époque et à ces artistes officiels, intermittents de l'audace, dont la créativité était bridée par des clients qui étaient vraiment des rois ou des commerciaux zélés de Dieu.
Le roman est foisonnant, documenté et très habile dans la construction, mais j'ai trouvé certains passages un peu ennuyeux et redondant.
Mon principal reproche à l'auteur est de n'avoir pas fait le choix de distinguer les personnages dans l'écriture. Pourquoi choisir le roman épistolaire si tous les protagonistes s'expriment de la même façon ? Reine, voleur, nonne ou peintre, partagent ici la même rhétorique soignée. Correspondance de clones.
Néanmoins, j'ai trouvé cette lecture divertissante et sans atteindre la magie perverse des « Liaisons dangereuses », cette histoire m'a donné envie de revoir Florence et d'envoyer des cartes postales.
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Le peintre Pontormo a été tué, ce qui, pour un thriller, n'a rien d'original. Dans la Florence de Cosimo de Médicis, d'ailleurs, tout le monde s'en fout.
Pour la forme, et sans perspective de résolution, ce dernier charge Vasari, le père de l'histoire de l'art, d'élucider, non pas le meurtre mais le lieu où se trouve un dernier tableau du peintre : Cupidon et Vénus, déjà peint par Michel-Ange, donc presque recopié (je sais, c'est pas beau de copier) sauf le petit pied de Cupidon ce gredin, juste sur le sexe de Vénus. Et, surtout, la tête de Marie de Médicis, peinte sur la gorge de Vénus dont elle n'a rien à envier, de toute façon, côté s'envoyer en l'air. Non, non, cette Marie délurée n'est pas celle qui fut reine de France, c'est la fille de Cosimo, ou Cosme 1er, duc de Florence.
Scandale en vue, puisque l'inquisition a mis fin aux années de licence où les nus ne choquaient pas. Les lettres s'échangent bon train, entre les peintres, Michel-Ange et Vasari, qui reproche à Pontormo de ne pas tenir compte de la perspective. Eh oui, la perspective, découverte pas Brunelleschi, l'architecte du génial dôme de Santa Maria del Fiore de Florence, peint par Vasari.
Vasari en rajoute une couche : la fresque endommagée avant le meurtre était atroce. Il ne se réjouit pas du tout de la mort de ce mauvais peintre, n'est-ce pas, il note, tout simplement, d'ailleurs, c'est son job.
Maria, dont la tête remplace celle de Vénus, écrit à sa tante Catherine de Médicis, reine de France, pour lui dévoiler ce qui l'est de toute façon. Cette dernière, obligée (si tant est que beaucoup de femmes choisissent) de vivre en polygamie avec Diane de Poitiers, délaissée par son époux le roi Henri II en faveur de sa « putain » (dixit la reine), et par ailleurs voulant affaiblir son cousin Cosme, demande à Piero Strozzi, son autre cousin, de s'emparer du tableau… pour le diffuser à partir de Venise dans toute l'Italie.
Car elle hait ce Cosme qui prétend s'emparer de la Toscane, faisant ainsi de l'ombre au pouvoir de Philippe II d'Espagne, fils de Charles Quint, et de Henri II de France, fils de François 1er.

La mort de ce mauvais peintre n'est pas seulement sans intérêt : elle apparait aussi comme plus que souhaitable, y compris par les âmes pieuses : les soeurs du couvent San Vincenzo se réjouissent de la mort du sodomite, et de plus protestant. Nous, lecteurs, comprenons bien que ces deux tares rendent gloire à l'assassin (que personne ne recherche) et, subsidiairement, à Dieu. Éléonore de Tolède, épouse de Cosme, prude comme une espagnole, puisqu'elle l'est, écrit au pape «  la mort providentielle, (de Pontorno) certes advenue dans des circonstances regrettables »
Circonstances regrettables ! Sa fille ! si le tableau honteux apparaissait, le mariage de Maria avec le fils du duc de Ferrare pourrait être remis en cause. Elle sait parfaitement que ce rejeton a très mauvaise réputation, « castrat doublé d'une brute » reconnait-elle, mais il faut vendre.
Pour Catherine de Médicis, le sort donné à cette idiote constitue une aubaine, et subtilement elle lui présente la condition des femmes à la manière islamiste : « Vous souffrirez en silence les caprices de votre maitre, ses emportements et ses infidélités, et si dieu le veut, il vous traitera bien, quoique ce qu'on me dit du caractère du jeune prince ne m'incline pas trop en faveur de cette hypothèse. »
En termes clairs, faites des folies de votre corps au lieu de vous enterrer dans le mariage. Ce que Maria, fera, se précipitant dans une histoire d'amour avec un page, jusqu'à être enceinte.
Autre scandale en vue.
Et Vasari commente : « Quant à la fille, je crois comprendre que le trésor de sa virginité n'est plus à prendre, ce qui, en un sens, lui ôte un poids, en même temps qu'une partie de sa valeur. »

Si ce roman, sous forme de lettres cyniques écrites de l'un à l'autre, se bornait à nous donner un aperçu de la vie à Florence, à nous faire sourire devant les ragots et les hypocrisies multiples, à nous faire peur avec les trois puissances prêtes à entrer en guerre pour le pouvoir, sans compter le pape pro inquisition « ennemi juré des protestant, des juifs, des artistes et des livres » qui se rapproche de l'Espagne, et retient Michel-Ange prisonnier à Rome pour terminer la chapelle Sixtine, je crois que nous n'aurions compris qu'un dixième du message de Laurent Binet.
Car l'auteur, avec une connaissance parfaite de la Florence de 1557, évoque le concile tenu à Trente , où il s'agissait de se dédouaner des thèses de Luther, la crue de l'Arno, l'importance de la perspective, qui, pour Michel-Ange, en donnant de la profondeur, ouvre les portes de l'infini, ce qu'aucun prêtre ne peut prétendre. On peut « voir au-delà » grâce à la perspective.
N'oublions pas le « s » du titre, les points de vue différents à la faveur d'un meurtre, sur la religion protestante, sur l'art en général, et sur Florence après la fin du Moyen-âge.
Et l'humour toujours présent.
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Voiler les nus, ah la belle affaire ! Depuis qu'un certain moine est passé par là, même Michel-Ange craint qu'on rhabille ses nus de la Chapelle Sixtine, pire qu'on détruise son oeuvre pour plaire au pape et à la duchesse de Médicis. N'a-t-on pas assassiné le Pontormo pour sa fresque de l'église San Lorenzo avec ses nudités jugées choquantes, à moins que ce soit pour le portrait de Marie de Médicis la représentant dans une pose lascive et dénudée ? D'ailleurs qui a tué le vieux peintre ? Vasari, chargé de l'enquête par Cosme de Médicis, parviendra-t-il à démêler cette sombre affaire ? Certains diraient, et ils ne se tromperaient pas, que c'est difficile à dire...

Que de « Perspectives » ouvertes sur la vie florentine de la Renaissance, avec ses acteurs majeurs, politiques autant qu'artistes et religieux, qui tentent, parfois avec succès, de servir leurs ambitions. Parmi eux des hommes de grand talent doivent batailler pour survivre, et finalement y parviennent puisque l'histoire a retenu leur nom à travers les siècles, et le retiendra probablement pendant longtemps encore. Une idée, parmi d'autres, que semble-t-il Laurent Binet, par le biais d'une correspondance presque digne de celle que nous proposa Choderlos de Laclos, voulait faire passer. C'est en tous cas avec une certaine ironie et adresse que ses « Perspectives » nous rappellent que fort heureusement, à Florence comme ailleurs, les pouvoirs temporel et séculier, malgré toutes leurs tentatives, ont souvent échoué à empêcher la pérennité des oeuvres d'art et du beau.
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Meurtre à Florence !

Le nom de Laurent Binet et la forme du polar historique épistolaire m'ont fait de l'oeil. Je me suis laissé tenter et je ne l'ai pas regretté : j'ai passé un excellent moment !

Les missives échangées par les membres de la famille Médicis, les artistes Vasari, Michel-Ange et Bronzino, leurs proches, des soeurs adeptes des idées de Savonarole et même le pape Paul IV entremêlent plusieurs fils d'intrigue à partir d'un drame : le peintre Pontorno est retrouvé mort dans la chapelle de San Lorenzo où il travaillait depuis onze ans à une fresque qui devait rivaliser avec la Sixtine. Chargé par Cosimo de Médicis d'éclaircir l'affaire et de gérer les répercussions, Giorgio Vasari va avoir fort à faire. Car en ce milieu du XVIe siècle, Florence est la ville de toutes les passions…

« Messire Strozzi m'a un peu expliqué votre affaire : il s'agit donc d'aller dérober un tableau au coeur même de la Seigneurie, dans la propre garde-robe du Duc, là où celui-ci passe plusieurs heures par jour, au milieu d'une foule de gens et de gardes, puis de sortir le tableau du Palais et de lui faire franchir en secret les portes de Florence pour l'expédier à Venise ? C'est parfait. »

La forme épistolaire est très réussie, on ne s'ennuie pas une seule seconde et on s'y croirait. Les lettres sont tour à tour désespérées ou directrices, naïves ou ironiques, flagorneuses ou excédées. Tout en suivant le développement de l'enquête, on plonge dans une époque tourmentée où les génies ornaient les murs des églises, les Médicis se débattaient à la fois avec des opposants républicains et des exilés fidèles aux Français tandis que le pape orchestrait son inquisition contre les milieux artistiques.

J'ai adoré reconnaître les hauts-lieux de Florence que je connais bien car nous y avons vécu un an. Ce roman m'a donné envie de rechercher plusieurs peintures de la Renaissance.

Ludique, réjouissant : une première bonne pioche dans la rentrée littéraire !
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Projetons-nous au seizième siècle à la cour de Florence. Les Médicis règnent sur la Toscane alors que la renaissance italienne voit naître ses plus beaux chefs d'oeuvre artistiques.
Or une affaire sordide secoue la cour : un peintre est assassiné alors qu'il travaillait sur les fresques d'une chapelle. de plus un tableau a disparu : c'est moins la valeur potentielle que ce qu'il représentait qui emplit d'effroi Cosimo et Eléonore de Médicis : le portrait sulfureux d'une femme nue dont le visage évoque sans équivoque leur fille Maria.

L'enquête est par conséquent rapidement lancée pour retrouver l'assassin et le portrait .

Outre l'intérêt du cadre qui nous plonge au cour de cette période riche de l'histoire italienne, politique et artistique, Laurent Binet nous propose le format épistolaire, originale pour le genre polar.


Cela ne facilite sans doute pas l'assimilation des personnages, qui, pour aider le lecteur à s'y retrouver sont présentés au début du roman. On a malgré tout l'avantage de ce procédé, avec les points de vue alternatifs de chaque rédacteur. L'action ne manque pas, et même l'humour pointe au détour d'une réflexion ou d'un retournement de situation.

Très intéressant sur le plan historique, très romanesque, ce roman montre la capacité extraordinaire de Laurent Binet de renouveler son talent d'écrivain.

Merci à Netgalley et aux éditions Grasset

288 pages Grasset 16 août 2023
#Perspectives #NetGalleyFrance
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Très jolies perspectives.

Voici un roman pas banal. Un bon polar bien tourné mais très particulier.
Dans sa forme d'abord : nous somme devant un roman épistolaire. Il n'est composé que de lettres que les protagonistes s'envoient. Ce n'est pas une bilatérale... Non, ça part tous azimuts. On suppose que certaines lettres sont reçues, d'autres pas, certaines arrivent en retard... On croise deux courriers et l'on se rend compte de la duplicité d'un intervenant. On y décèle des joyaux de politique et de diplomatie.
Dans son décor : Laurent Binet a choisi la Toscane du XVIème, plus exactement 1557 pour y placer son intrigue. le Pontormo est mort assassiné ! Mais par qui ? On soupçonne des bonnes-soeurs, son élève il Bronzino, Michelange, ... Oui nous sommes dans le milieu artistique Florentin. On y croise aussi Vasari, Cellini.
Une double intrigue vient se greffer à la première, dans l'atelier du Pontormo, on retrouve la peinture d'une femme nue... avec la tête de la fille de Cosme de Toscane, Maria de Medicis. Qui a peint ce tableau et pourquoi? Cette peinture va se révéler hautement politique et la posséder aurait pu changer le destin de la France.

J'ai franchement bien aimé ce bouquin et certainement pour sa foulitude de détails. Je suis allée en vérifier quelques une sur Wiki et franchement l'auteur a bien réussi à plaquer sa trame romanesque sur L Histoire, la pure, la vraie.
Je déplore par contre une fin un peu bâclée, un peu trop rapide, comme si l'auteur en avait eu un peu marre de son roman et avait eu envie de finir plus vite (si maintenant c'est pour aller se manger un antispasti dans une trattoria en terrasse avec un bon verre de Montepulciano, je lui pardonne)





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« Essayez donc de découvrir qui je suis d'après mes mots et mes couleurs. »
Orhan Pamuk

La rentrée littéraire est l'occasion de retrouver ses auteurs préférés, de découvrir de nouveaux talents, de dénicher de belles pépites et peut-être de lire les prochains romans primés avant tout le battage médiatique suscité par les prix littéraires.
Parmi le tsunami de livres qui arrivent sur les étalages des libraires, le choix est bien souvent cornélien. Mais quand on aime l'art, il est impensable d'ignorer le nouveau roman de Laurent Binet tout de jaune vêtu, avec sur la couverture, deux tableaux imbriqués d'Alessandro Allori, peintre italien de la Renaissance, où le portrait de Marie de Médicis qui vient habilement remplacer celui de Venus.

Je connaissais déjà Laurent Binet après « Civilizations ». C'est donc confiante que j'ai ouvert ce roman à la fois enquête policière, roman historique et échanges épistolaires, me réjouissant par avance de ce moment de lecture.

*
Une préface précédant le début du roman proprement dit, fait entrer de manière ingénieuse le lecteur dans la correspondance qui va suivre : un homme, de nos jours, en voyage en Toscane, achète chez un antiquaire un lot de lettres anciennes datant du XVIe siècle. Cet ensemble de lettres, une fois traduite, dévoile les dessous d'un meurtre vieux de 500 ans.

L'époque est passionnante.
L'auteur nous emmène en Italie dans le milieu de la peinture et des intrigues de cour à la fin du XVIe siècle, en des temps troubles où les cités-états sont en conflits pour des droits héréditaires. Par des jeux d'alliances et de contre-alliances, de dupes et de dissimilation, les grands monarques s'affrontent : Cosimo de Médicis duc de Florence, Catherine de Médicis alors reine de France, le jeune Philippe II devenu roi d'Espagne suite à l'abdication de son père Charles Quint, sans oublier le pape Paul IV, désireux de lutter contre la débauche et l'hérésie ambiantes.

« Florence, décidément, n'est plus qu'une pomme pourrie, qui mérite de se faire cueillir par la France ou par l'Espagne. Regarde ce pauvre Duc prêt à toutes les bassesses pour plaire au pape et à l'empereur, dans l'espoir qu'on lui jette une couronne comme on jetterait un os à ces chiens qui rôdent sous les tables pendant les banquets. Qui aura assez pitié de lui pour l'arracher à cette chimère grotesque ? »

*
Le roman s'ouvre sur un meurtre.
Nous sommes à Florence en 1557.
Alors que la ville se prépare aux festivités du Carnaval, le très talentueux peintre Pontormo est assassiné dans la chapelle de San Lorenzo où il travaillait à une fresque murale depuis onze ans. Celle-ci a été partiellement dégradée.

Alors qu'Agnolo Bronzini est chargé d'achever l'oeuvre commencée par son maître défunt, Giorgio Vasari, peintre, architecte, écrivain et homme de confiance du Duc, est chargé par celui-ci de retrouver le meurtrier. Mais l'enquête va se complexifier lorsqu'est retrouvé au domicile de la victime, la reproduction d'un tableau de Michel-Ange, Vénus et Cupidon, auquel a été substitué au visage de la déesse, celui de Maria de Médicis, la fille ainée du Duc.

« La satire n'est-elle pas l'arme des faibles pour ridiculiser les grands ? Et puisque ce Duc n'est rien qu'un maquereau, il méritait bien qu'on peigne sa fille en putain. »

Dans un contexte politique et idéologique très tendu avec un retour à une forme d'intégrisme religieux, ce tableau montrant la jeune fille nue, dans une position inconvenante voire même obscène, a de quoi choquer ou attirer les moqueries. En effet, la représentation du corps humain dans sa nudité est perçue désormais comme un outrage fait à Dieu. Les artistes n'ont plus toute la liberté pour exprimer leur art.

« Les temps sont durs pour l'art. »
Michel-Ange

La situation demande donc de la discrétion, du tact, un sens politique suffisamment aigu pour gérer le scandale, surtout si le tableau devait malencontreusement tomber en de mauvaises mains.
Giorgio Vasari va demander de l'aide à vieux et sage Michel-Ange, alors engagé sur le chantier de la Basique Saint-Pierre à Rome. S'ensuit une correspondance entre les deux hommes, enrichie par d'autres lettres de personnes ayant un lien avec l'enquête. Les regards se multiplient, se croisent avec une efficacité redoutable et laissent voir la complexité et l'importance de l'affaire qui touche à la fois à la politique, à la religion, et aux bonnes moeurs de l'époque.

« En politique comme en toute chose, la première règle est toujours : ne pas se faire prendre. Et la deuxième : frapper vite, et par surprise. »

*
Le choix d'un récit épistolaire permet aussi de creuser dans la psychologie des personnages, de percer leur personnalité et d'être au coeur des rivalités, des tensions, des jalousies et des soupçons.
Ainsi, à travers une centaine de lettres, se dessinent les motivations de chacun, et la vingtaine de correspondants devient suspect : de la reine de France au simple broyeur de couleurs de Pontormo, des proches de l'artiste au Duc de Florence, des nostalgiques de Savonarole au pape Paul IV, tous ont un intérêt dans l'assassinat de Pontormo.
Plus l'enquête progresse, plus les fausses pistes et les rebondissements s'enchaînent, plus les suspects s'accumulent et le mystère s'épaissit.

*
Ce que j'ai particulièrement apprécié, c'est l'approche épistolaire de l'auteur qui mélange fiction et réalités historiques. Tous les protagonistes de ce récit ont réellement existé. Pontormo est bien mort en 1557 à Florence, en Italie. Il était l'un des représentants du Maniérisme, un courant artistique qui recherchait l'émotion à travers les expressions du visage et le mouvement des corps. Mais son art est désormais désapprouvé car jugé indécent.

On sent que Laurent Binet a fait de nombreuses recherches pour composer une fresque politique, idéologique, sociétale, artistique et religieuse de cette époque incroyable.
Le récit mêle habilement complots politiques, histoire de l'Art, retour à une fermeté de l'église et à l'Inquisition en réaction à la montée du protestantisme.
Sous la surface de chaque lettre, j'ai senti que l'auteur jouait sur la polysémie du mot Perpective(s), l'utilisant à la fois dans sa forme au singulier et au pluriel. Ainsi, le titre renvoie aux points de vue multiples des correspondants, mais également aux lois de la perspective découvertes par Brunelleschi.

*
Laurent Binet a une écriture très agréable, fluide, précise qui contribue à créer une ambiance et un décor réalistes. L'utilisation d'échanges épistolaires suffit à brosser les contours d'une époque, à nous la rendre claire et palpable. C'est donc un récit instructif sans pour autant que l'intrigue soit gâchée par trop de détails inutiles.

A la lecture de ce roman, j'ai pensé au grand classique de Pierre Choderlos de Laclos, « Les liaisons dangereuses », d'une part, en raison de son genre épistolaire, d'autre part car l'auteur s'attache à peindre la société et la nature humaine.
Cela offre l'occasion d'une réflexion sociale sur la condition des artistes et les ouvriers d'art de cette époque ; sur celle des femmes également, avec Maria de Médicis, enjeu de pouvoir ; sur l'intégrisme religieux ; sur l'art, l'idée de la beauté et l'influence de l'Eglise.

*
Au final, j'ai vraiment passé un très bon moment de lecture. Cela peut paraître intrigant de mêler polar historique et format épistolaire, mais pour moi, c'est une grande réussite.
A découvrir.
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Nul doute que Perspective (s) constitue un exploit littéraire. L'histoire avance au gré de lettres écrites par plusieurs personnes, dans un style que l'on reconnaît comme celui des siècles passés. Mais est-ce que le roman policier de Laurent Binet a fait le bonheur de la lectrice que je suis ? Pas tout à fait.

L'histoire se déroule à Florence en 1557 à la fin de la Renaissance italienne.

Le peintre Jacopo Da Pontormo a été assassiné dans la basilique San Lorenzo, alors qu'il peignait les fresques de la chapelle majeure. Cosimo de Médicis, duc de Florence, charge Giorgio Vasari, peintre lui-même, de retrouver le meurtrier.

Un tableau représentant une Vénus nue, dont le visage a été peint à partir de celui de Maria de Médicis, fille du duc de Florence, est retrouvé. de quoi ravir la tante de cette dernière, Catherine de Médicis, reine de France qui compte bien profiter de cette opportunité pour causer un scandale dont le duc ne se remettra pas. Mieux encore, Maria est tombée amoureuse d'un homme que son rang lui interdit d'épouser. Catherine se frotte les mains et encourage la jeune fille.

Perspective (s) est un roman policier, mais assez peu convaincant. Certes, le coupable est l'un des plus improbables, mais aucun indice ne permet au lecteur de se lancer sur une piste, fausse de préférence, ou de se dire ensuite, mais oui, bien sûr.

L'écriture des siècles passés est respectée. J'en admire l'exploit, mais les préambules, formules de politesse, les compliments hypocrites ou encore les plaintes des uns et des autres nuisent au rythme, la lecture manque de vie. Chaque lettre, bien que faisant avancer l'histoire, n'apprend pas grand-chose.

Lien : https://dequoilire.com/persp..
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Ecrire un roman policier n'apparaît pas trop compliqué. du moins en apparence. Il suffit de voir les innombrables séries télévisées qui inondent nos écrans tous les soirs. Un meurtre, un ou plusieurs enquêteurs, une série de coupable idéal, des fausses pistes, et un final pour démasquer l'assassin : tels sont les ingrédients principaux d'un bon polar.

Mais écrire un polar épistolaire ne paraît si simple. Et s'il se passe en plus en 1557, en Italie, dans la République de Florence, ça se corse. C'est pourtant le défi auquel s'est lancé Laurent Binet dans ce "Perspective(s).

Un peintre est mort assassiné - point de départ de tout polar – et ses fresques ont été en parties recouvertes par une main extérieure. Vasari, l'homme de main de Cosimo de Médicis, est désigné pour enquêter : on coche la case enquêteur. Et pour couronner le tout, il va s'adjoindre l'expertise de Michel-Ange à Rome – excusez du peu.

Au travers des courriers que Vasari écrit à tous ses interlocuteurs, on va suivre plusieurs fausses pistes, soupçonner plusieurs peintres prestigieux – à tort bien évidemment.

En parallèle, on découvre le fond historique dans lequel s'inscrit ce polar : Cosimo de Médicis s'oppose à sa cousine Catherine, Reine de France, et à son ennemi traditionnel Pietro Strozzi. La propre fille de Cosimo refuse le mariage auquel son père la destine et s'enfuit avec un page direction la France. Deux moniales s'écrivent à propos de tableaux que l'une peint et l'autre admire, tout en se revendiquant du regretté Savonarole. le Pape ne veut plus voir de nus représentés et voudrait recouvrir ceux de la chapelle Sixtine.

Et puis il y a Florence. Pour qui connaît un peu la ville et son patrimoine, on reconnaît les lieux emblématiques et ses chefs d'oeuvre de la Renaissance.
C'est très distrayant, il faut s'accrocher un peu pour suivre qui écrit à qui pour ne pas perdre le fil, jusqu'au rebondissement final et à la découverte de l'assassin du départ. Avec au passage une leçon sur la perspective en peinture – ce qui ne gâche rien – et on comprendra la parenthèse qui signale le pluriel dans le titre.

J'avais été un peu rebutée par HHhH, mais la lecture de ce « Perspective(s) » m'a bien plu et m'a emportée en Italie le temps d'une enquête policière en 1557, et ce n'est déjà pas si mal.
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Sur la couverture, le C de Perspec-tive(s) cerne un sein affriolant tandis que le tiret en souligne le téton . C'est la « Vénus et Cupidon » de Pontormo, oeuvre parfaitement licencieuse exécutée à partir d'un dessin de Michel-Ange. , que la typographie du titre à la fois révèle et contrarie par sa netteté fort peu maniériste. Sur le visage de Vénus, le détail d'un autre tableau, qui remplace les traits de la déesse par ceux de Maria de Médicis. Celle-ci, selon l'auteur peu fiable Edgcumbe Staley, aurait été tuée par son propre père, furieux de lui découvrir un amant. Il n'en fallait pas plus à Laurent Binet, toujours à la recherche du pitch qui lui permettra d'égaler le grand Umberto Ecco dans le Nom de la rose pour décider d'écrire un roman policier historique. Mais ce ne sont pas les errements de la foi qui justifieront ici l'irruption du crime dans l'Histoire: la vraie religion, dans la Florence du XVI° siècle, c'est la peinture, avec ses chapelles (forcément), ses clans, ses adorateurs du visible, ses contempteurs du réalisme. Michel-Ange, vieillard de 82 ans, est moins ange que Dieu vivant (à moins que la ferveur dont on l'entoure ne soit surtout le signe de sa relégation dans le passé des arts), et ses fils spirituels rêvent d'avoir sa bénédiction avant de le remplacer (Je soupçonne Binet d'avoir beaucoup pensé à Ecco et à lui-même en décrivant Michel-Ange comme ce vieux maître insurpassable auquel se heurtent tous les peintres plus récents).
Alors, bien sûr, Binet campe parfaitement sa Florence du XVI° siècle en collant au plus près des faits et légendes rapportées (comme le prouve son utilisation du livre d'Edgcumbe Staley). Mais meilleur roman historique, quelle blague! Si le visage de Maria est posé sur celui de la Vénus, c'est grâce à un trombone qu'il y est fixé. Et puis, le nom de l'auteur surplombe si précisément ce visage, qu'il est difficile de ne pas penser que ce Binet appelle trop la binette pour être honnête.
Binet s'amuse donc, et même s'il s'agit de peinture, c'est aussi la littérature qu'il met en perspective. Ça référence à tout va, et cela dès la préface, qui est un pastiche des réflexions De Stendhal sur Rome, Naples et Florence. D'ailleurs cette préface est signée d'un B. qui vaut sans doute autant pour Henri Brulard que pour Laurent Binet. Ensuite, le choix d'un roman épistolaire fait irrésistiblement penser aux Liaisons dangereuses avec une marquise de Merteuil montée en grade, puisque reine de France, qui met en place des complots nettement plus ambitieux que ceux de la malheureuse héroïne De Laclos. Mais la pièce De Musset hante également le livre de Binet. Philippe Strozzi en est un des principaux protagonistes, ainsi que Côme de Médicis, le « planteur de choux » accessoirement duc de Florence, et Lorenzaccio est souvent cité. D'ailleurs n'y a-t-il rien de plus proche d'un roman épistolaire qu'un drame romantique? Même foisonnement des personnages, même sauts dans le temps et dans l'espace, même éclatement de l'intrigue. Scoronconcolo, le bretteur avec lequel Lorenzaccio s'entraîne, apparaît dans le roman de Binet et la scène où Bandinelli insulte Cellini décalque parfaitement celle où Lorenzaccio doit s'évanouir pour faire croire à sa lâcheté. Quant à Maria de Médicis dont le visage, tel un masque, est superposé à celui de Vénus, elle deviendra ce corps qui au départ n'est pas le sien: Lorenzaccio a cessé de jouer son rôle de débauché car, débauché, il l'est vraiment, comme Maria devient la proie de Cupidon, le tableau incorporant le rajout qui bientôt ne se distingue plus du sujet principal.
Bref, on peut disserter pendant des heures sur le talent de Binet qui se joue des perspectives en multipliant les points de vue et qui écrit à partir De Musset et De Laclos comme Pontormo a peint sa Vénus à partir d'un dessin de Michel-Ange.
Mais, une fois refermé ce roman brillant, drôle et astucieux, qu'en reste-t-il? Ben, pas grand chose. Que le temps efface tout, que les z'hommes sont pas sympas avec les femmes, ni les Grands avec les petites gens, et que la peinture à l'eau c'est bien plus difficile que la peinture à l'huile.
Tout ça pour tout, me suis-je dit, en replaçant le livre sur mes étagères, prenant bien soin de placer à hauteur d'yeux sa belle couverture érotique et toc.
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