Il fut un président qui fit de la pomme un slogan de campagne. Ce n’est pas rien. Heureusement, pour le bien de tous, les présidents passent et leurs slogans avec eux. Mais la pomme, elle, reste. Et c’est bien d’elle qu’il s’agit dans ce livre qui lui est amoureusement dédié par la trublionne des cuisines Keda Black.
La Normande de naissance et de cœur que je suis restée (malgré mon lâche et déchirant abandon de la Basse-Normandie il y a bientôt quinze ans) ne pouvait passer à côté d’une si belle occasion de lui rendre hommage.
Sachez (et je parle sans parti pris puisque mes veines sont baignées pour moitié de sang breton) que lorsque de nos jours, dans beaucoup de régions de France on vous vante les mérites du cidre breton, comme le seul véritable et authentique, ça me fait doucement rigoler. C’est presque comme si l’on vous garantissait l’authenticité d’un camembert des Pays de la Loire ou du Nord-Pas de Calais.
Non, je ne vais pas vous faire un long plaidoyer argumentatif, rassurez-vous, je vais juste vous donner un chiffre (qui en l’occurrence est un nombre) : dans le seul Pays d’Auge, c’est-à-dire un infime trognon de la Normandie puisqu’il couvre, grosso modo, un tiers seulement du département du Calvados, dans ce seul Pays d’Auge donc, au XIXème siècle, on répertoriait non pas 10, non pas 50, non pas 100, non pas 500 mais près de 600 variétés différentes de pommes.
Non, vous ne rêvez pas, 600 variétés de pommes différentes dans le seul Pays d’Auge. Donc la patrie du cidre, sachez-le, n’en déplaise à quelques Bretons de mauvaise foi, c’est bel et bien la Normandie. Une région qui a voué un culte et un savoir-faire à la pomme comme la Bourgogne ou le Bordelais ont voué un culte à la vigne. Mais les Normands ne savent pas vraiment se vendre et ne sont guère les champions de la publicité, domaine où je veux bien reconnaître une forme de supériorité locale à la Bretagne.
Oui, 600 variétés de pommes, dont beaucoup ont disparu ou c’est tout comme. Grâce au gui, aux tempêtes, aux tronçonneuses et à cette manie du XXème siècle de croire qu’il savait tout mieux que les dix siècles qui l’avaient précédé, qui avaient mis sur pied, amélioré et pérennisé un système qui avait fait ses preuves depuis mille ans.
Oui, quand je retourne en Normandie, souvent mon cœur se pince quand je vois ces immenses surfaces dédiées au dieu Productivité, un dieu qui est fâché de longue date avec les dieux Qualité et Goût. Ces immenses surfaces où ont disparu les pâturages traditionnels plantés de pommiers à hautes tiges sous lesquels les vaches paissaient. Ces nouvelles surfaces plantées de pommiers à basses tiges, peuplées de mini-tracteurs et de bombonnes de traitement insecticide, ruisselantes de pommes toutes bien calibrées, jaunes comme des mirabelles et insipides comme des hosties, deux ou trois variétés, pas plus, des variétés… anglaises ! Ouille ! Que j’ai mal à ma Normandie et à son ancestral savoir-faire en matière de pomme !
Eh oui, une pomme — une vraie pomme j’entends — ça a du goût (parfois tonique même), ça dépasse rarement les 5 cm de diamètre, ce n’est jamais brillant, encore moins symétrique et c’est souvent véreux et bourré d’imperfections. Une vraie pomme, comme n’importe quel fruit originaire des régions tempérées du globe, ça a une saisonnalité et ça ne se rencontre pas toute l’année. C’est aussi le pourquoi des 600 variétés du Pays d’Auge.
Cela permettait d’étaler la floraison sur la plus longue période possible au printemps pour arriver à passer au travers des dévastatrices gelées tardives pour les pommiers en fleurs et aussi d’étaler la maturité de juillet pour les pommes dites « pommes de juillet » jusqu’à la variété dite « Noël des champs » et dont le nom parle de lui-même.
D’ailleurs, j’en terminerai dans cette longue digression, en stipulant que le mot argotique ou patoisant pour désigner le cidre dans le Pays d’Auge est le mot « bedan », l’une des stars locales parmi les 600 variétés répertoriées et qui était réputée pour la saveur qu’elle donnait au cidre. (Les noms des variétés m'ont toujours réjouie : mettais, domaine, moulin à vent, binet rouge, saint-martin, doux joseph, peau de chien, argile, clos renaux, fréquin rouge, judor, rambault, douce moën etc.)
C’est ce qu’exprime, mais de façon moins longue et moins pénible Keda Black, qui centre très intelligemment son ouvrage sur les variétés. Bien sûr ce sont les variétés actuelles qu’on trouve le plus fréquemment sur le marché, les Golden Delicious, les Granny-Smith et autre Jonagold ou Boskoop, des hérésies de la nature toutes nées sur des terres anglo-saxonnes ou des Pays-Bas, mais bon, il faut faire avec ce qu’on a…
L’auteur nous délivre donc des recettes variées sucrées (surtout), salées (un peu) autour de la pomme (beaucoup) ou du cidre (un peu). Pour une même variété de pomme, on vous donne des recettes où elle est utilisée de façon optimale (saveur, tenue à la cuisson, etc.) et par quelle variété elle peut éventuellement être remplacée. Je suis vraiment enthousiasmée par cette tentative pour redonner ses lettres de noblesse à un fruit qu’on ne célèbre pas — ou trop peu — à sa juste valeur.
Ce sont donc des recettes assez ambitieuses. Qui dit " ambitieuses " dit " pas spécialement adaptées aux débutant(e)s ". Un livre qui vous réussira donc d'autant mieux que vous aurez une petite expérience en pâtisserie. C’est à la fois la force et la faiblesse, selon moi, de ce livre. Des recettes plutôt élaborées qui donnent des résultats excellents mais qui sont du coup assez longues et qui nécessitent une certaine logistique. On n’a rien sans rien me direz-vous.
Assurément vous pourrez surprendre positivement vos hôtes avec ces (environ) soixante-dix recettes, (j’en ai déjà essayé quelques-unes qui m’ont satisfaite) mais dites-vous simplement que ce n’est pas de la cuisine pour gens pressés. Hormis ce petit bémol qui peut s’avérer gênant avec le rythme de la vie actuelle, je n’ai que du bien à dire de ce livre objet très beau, très réussi esthétiquement et graphiquement, avec des illustrations et des photographies de qualité.
Je remercie donc vivement les éditions Marabout ainsi que l’opération Masse Critique de Babelio qui m’ont permis de découvrir ce succulent ouvrage. Mais ce n’est bien évidemment qu’un tout petit avis, haut comme trois pommes, c’est-à-dire, très peu de chose.
P. S. : excusez-moi, ça me prend de temps en temps de faire ma Jean-Pierre Coffe normande, la dernière fois, c’était pour les fromages de Pierre Androuët…
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Les pommes, on en trouve tellement facilement qu'on en oublierait presque qu'elles viennent du pommier, non ? Et comme il y en a tout le temps, on ne les attends même plus comme on le fait pour les pêches, les abricots ou les figues. On les juge plus ou moins acides, juteuses ou farineuses, on les croque pour se donner bonne conscience ou l'on masque leur saveur souvent un peu fade dans le caramel d'une Tatin ou sous le croustillant d'un crumble. Alors peut-être faut-il davantage les attendre, les chasser, les choisir avec amour, les cuisiner attentivement et les croquer sans arrière-pensée ?
Ce livre, dans un geste quasi schizophrénique, tente de guider le lecteur parmi les variétés qu'on trouve le plus couramment — parce que c'est la réalité actuelle du marché — tout en lui intimant d'arrêter d'acheter n'importe quoi n'importe où ! Il faut, pour le goût, pour la santé, pour le pays, se tourner vers les circuits locaux et acheter de la pomme produite localement et à petite échelle. La variété sur laquelle on tombera sera peut-être inconnue au bataillon mais en faisant confiance à son palais, on trouvera quelle recette ira bien. Et au mois de juin, il n'y en aura probablement plus, même de celles qui se gardent longtemps et alors là, on mangera des cerises.
INTRODUCTION.
GRANNY-SMITH : La Granny est censée être le fruit du hasard et des efforts horticoles d'une grand-mère australienne, Mary Smith, qui chercha à obtenir dans son jardin une pomme comestible à partir des pousses nées d'un tas pourrissant de pommes aigres d'origine française.
C'était il y a 150 ans. Aujourd'hui la Granny est l'autre symbole, avec la Golden, de la production agricole intensive, avec sa peau vert pomme bien cirée, son calibre boosté, et sa grande capacité de conservation.