J'entends ici par société, « la bonne société, c'est-à-dire cette classe de personnes privilégiées qui vivent dans l'oisiveté et le raffinement, et dont l'une des fonctions est de s'adonner au « ramage littéraire », voire, de nos jours [ou aux dix-septième et dix-huitième siècles], scienti-philosophique », — celle enfin dont M. Julien Benda, critique audacieux et pénétrant,
philosophe muni d'une érudition rare, esprit de qualité s'il en fut, et penseur très excitant, vient d'étudier les volontés esthétiques dans son Belphégor. Celle-là ne se borne pas à la lecture des épais romans qui forment depuis des siècles la pâture du « grand public », comme le prouve le succès du livre de M. Benda lui-même. Elle a des goûts littéraires et artistiques ; du moins elle en proclame ; et si son influence sur les artistes est moins puissante que celle d'un Louis XIV, elle existe pourtant, comme ne peut manquer d'exister l'influence de la clientèle sur la production.
L'histoire du succès de vente des divers auteurs nous offrirait un tableau des goûts du « grand public » ; l'histoire de leur succès d'estime nous permettrait de nous faire une idée des opinions esthétiques de la bonne société. A vrai dire, cette histoire-ci paraîtrait plus intéressante que celle-là, car nul doute que la première ne dût sembler monotone.