Il se trouve que j'ai quelques connaissances sur la guerre 14. Bien loin de celles d'un historien, mais disons que pour un amateur, je me débrouille. Aussi, quand j'ai lu le pitch de ce bouquin, je me suis demandé comment l'auteur avait fait pour qu'un fantassin puisse mener une enquête au front sans que ça paraisse invraisemblable.
Eh bien en fait, c'est assez simple : il n'y parvient pas.
Outre le fait que la narration a la platitude d'un produit de grande série, et que les dialogues sont sans relief, ce roman se distingue surtout comme étant un tissu d'invraisemblances et d'anachronismes, et une longue série de deus ex machina qui m'ont fait de trop nombreuses fois lever les yeux au ciel.
Célestin déserte de son poste en première ligne (fin 14) pour aller apporter un cadavre à l'arrière et menacer de mort un médecin major. Ce dernier, pas rancunier pour un sou, lui fait un certificat médical complaisant pour lui permettre de mener sa petite enquête (personnelle) loin du front. Fin 14, donc, où la notion même de permission était une lointaine chimère.
Plus grave, Célestin, déjà miraculé deux fois, décide d'en rajouter une couche et de se faire accompagner par son propre camarade pour se dénoncer lui-même pour désertion et passer en conseil de guerre... mais tout va bien, car les gendarmes s'en foutent (!)
Et tout ce traficotage, dans quel but ? Approcher un armurier, pour qu'il lui dise si la balle du meurtre est française ou allemande. Car Célestin, biffin de première ligne, ne sait pas reconnaître les balles françaises, ce qui est bien normal, puisqu'il en tire lui-même en moyenne une bonne dizaine par jour (!)
L'armurier ne lui en tient pourtant pas rigueur, et attention, c'est pas n'importe quel armurier ! le gars, il teste déjà un fusil-mitrailleur à l'automne 14 (le premier sera mis en service fin 1916 de mémoire). Et il est capable de savoir si deux balles ont été tirées par le même fusil, c'est dire si c'est un balisticien en avance sur son temps. Faut dire que tout le bouquin est en avance sur son temps, vu qu'on aura le droit à une attaque au gaz et à plusieurs attaques à la grenade, toujours fin 14.
Entre-temps, un remake de la scène de la mine copié-collé des Croix de bois de
Dorgelès (mais en beaucoup moins bien écrit, évidemment). Un hommage ? Un peu grossier, quand même.
"Le monde est petit" doit être un adage cher à
Thierry Bourcy, car son héros croise toujours des gens qui se connaissent les uns les autres, ou revoit ensuite de façon déterminante des personnages qu'il a déjà croisés auparavant de façon inopinée et apparemment sans importance. Vous avez dit vieilles ficelles ? de cette grosseur là, vous pouvez sans craindre vous y suspendre pour descendre une montagne en rappel.
Célestin a également le don surhumain de surprendre les conversations privées et compromettantes, d'assister par chance aux scènes embarrassantes pour les tiers (genre, quand il va pisser, ou se promener dans les bois), ou de recevoir des indices tombés du ciel... et à la fin, quand l'auteur en a marre (heureusement, moi aussi, et depuis longtemps !), il fait en sorte de croiser un gars qui lui dit : "tiens, j'ai croisé ton meurtrier y a pas cent mètres !"
Mais malheur, le maudit a un vélo !
Qu'à cela ne tienne, le copain de Célestin, lui, il a un avion, hé hé. Alors, qui c'est qu'a la plus grosse, gamin ?
En fait, tout ça fait penser à un
Tex Avery.
Et ce qui laisse songeur, c'est que l'auteur étale sa bibliographie en préface :
Dorgelès, Barbusse, Miquel,
Audoin-Rouzeau et j'en passe... so, the question is : à quoi pensait-il en lisant ces vénérables ouvrages, pour arriver à un produit fini où il se tamponne à ce point le coquillard de son sujet ?
Franchement, non. Il faut être un minimum sérieux quand on écrit un roman historique.
Quand on écrit un roman tout court, d'ailleurs.