Bel itinéraire dans un pays secret, la Xaintrie.
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Extrait de l'introduction de Samuel Gibiat
À s'en tenir à la manchette d'un article délibérément provocateur de Jean-Paul Kauffmann, «La Xaintrie, un pays (presque) imaginaire !» l'organisation de journées d'études sur cette entité des confins du Limousin et de l'Auvergne pouvait apparaître comme une gageure, voire une imposture. C'est pourtant le défi que les Archives départementales du Cantal et de la Corrèze se sont proposé de relever dans le cadre d'un colloque pluridisciplinaire qui avait pour objet de questionner l'identité polymorphe de ce pays de marges, suivant des approches à la fois diachroniques et synchroniques. En un temps d'incertitudes face à la mondialisation et de tentations de repli identitaire ou de décroissance, cette entité résistante par-delà les siècles, anachronique sans doute au regard d'observateurs extérieurs du XXIe siècle, méritait, nous semble-t-il, de devenir le centre d'intérêt exclusif d'une manifestation scientifique et culturelle. L'importante adhésion des acteurs de terrain et des habitants à ces trois jours de rencontres et d'échanges paraît l'avoir confirmé.
L'étymologie même du terme de Xaintrie, déformation moderne de l'originel Saintrie, présent dans les chartes du XIIIe siècle (terra de Santria), est longtemps demeurée obscure. L'hypothèse la plus récente, argumentée par le linguiste Jean Coste, clôt probablement le débat : Saintrie serait un dérivé de l'ancien français chaintre qui désigne une borne ou limite, et dans le contexte une zone frontière, c'est-à-dire un espace plus ou moins diffus et étendu de transition entre deux entités sociopolitiques majeures, puisque le concept de frontière linéaire n'est qu'un artefact de l'époque contemporaine. Encore conviendrait-il de s'interroger sur la signification et la périodisation de l'apparition des «sous-pays» de Xaintrie blanche et de Xaintrie noire.
Dans la filiation des interrogations de Marc Bloch sur «l'espace, produit de la société», l'historiographie - et particulièrement celle de l'époque médiévale - s'est beaucoup attachée, ces dernières années, à cerner le concept polysémique de territoire, suivant son environnement sémantique, son champ d'application et la temporalité de son usage. Dans son introduction à de récentes journées d'étude sur la territorialité, Stéphane Boissellier trace les lignes de ce glissement de l'épistémologie de l'histoire depuis l'espace, apanage initial du géographe, vers les territoires, en tant qu'expressions complexes des processus sociaux et culturels au Moyen Âge.
Au coeur de son emblématique Identité de la France, Fernand Braudel a insisté sur le localisme qui pèse de façon prégnante et durable sur les mentalités et l'organisation des sociétés médiévales. La Xaintrie, territoire demeuré d'essence rurale, au patrimoine vernaculaire préservé, s'inscrit naturellement dans cette interrogation autour d'une identité locale à la fois résistante et diffuse qui s'exerce en tension entre centralité villageoise et attractions périphériques. Ce faisant, le questionnement tourne également autour de l'acception géographique traditionnelle de pays, cette «réalité qui existe en dehors ou plutôt à côté des structures institutionnelles» et «qui ne participe pas de la même logique».