Un démon cornu laisse pendre une langue démesurée ; un squelette brandit son épée pour pratiquer une auto-décapitation tandis qu'un autre protège un confrère enlinceulé à l'aide d'une ombrelle rose ; les ruines d'une église sont éclairées par la pleine lune ; une farandole de démons voisine avec une grande parade de squelettes, sorcières et animaux crachant du feu ainsi qu'avec de nombreuses têtes esseulées et de crânes ailés… Les visions macabres ne manquent pas dans le catalogue de l'exposition « Fantasmagorie » du
Musée Alsacien de Strasbourg.
Le spectateur d'aujourd'hui considérera probablement plus comiques qu'horrifiques ces scènes et personnages peints sur des plaques de verre destinées à être insérées dans une lanterne magique améliorée, le fantascope, qui permettait de projeter ces images. Il percevra dans leur dessin quelque chose de presque enfantin, mais cela ne l'empêchera pas d'apprécier la finesse de leurs coloris, leur imaginaire macabre, ou d'y déceler emprunts et inspirations, ici à une gravure de Goya, là aux ruines d'un peintre romantique, Friedrich peut-être, ou d'y reconnaître des monstres et spectres qui auraient trouvé leur place chez Füssli ou dans un roman gothique.
Si ce catalogue, un joli ouvrage relié d'une centaine de pages, fait la part belle à ces images de plaques peintes, il comprend également trois essais retraçant l'histoire de ces spectacles que l'on nommait fantasmagories. Sont présentés ceux qui les mirent habilement en scène de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe en sachant tirer parti (et profit) du goût de leur époque pour l'ésotérisme : les fantasmagores, au premier rang desquels on trouve le Belge Robertson. Les techniques qu'ils utilisèrent et leurs évolutions, basées sur les découvertes scientifiques du temps en matière d'optique, permirent notamment le développement du travelling et du fondu enchaîné, faisant des fantasmagories un jalon essentiel dans l'histoire de ce qui deviendra le cinéma.
Aux visions générées par les fantascopes et à celles produites par les mégascopes, appareils permettant la projection d'images d'objets opaques, s'ajoutait un travail impressionnant visant à mettre en place une atmosphère lugubre. La musique étrange de l'harmonica de verre, les apparitions d'acteurs déguisés, l'usage de ventriloques, de bruitages, de fumées transformaient ces spectacles en expériences immersives et à n'en pas douter terrifiantes. Devant les gravures de fantasmagories, l'imagination fonctionne à plein et il est tentant de se projeter dans la salle, parmi le public apeuré. Les premiers de ces spectacles furent présentés comme des opérations de nécromancie et je ne peux m'empêcher d'envier les spectateurs qui y adhérèrent, les naïfs qui crurent que sous leurs yeux on invoquait les morts. L'expérience devait être d'une intensité difficilement concevable.
(Illustrations et visite virtuelle de l'exposition sur le blog)
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