Il s'agit d'une minisérie en 5 épisodes, initialement parue en 2010/2011, écrite par
Brian Michael Bendis et illustrée par
Alex Maleev.
Dans une ruelle, Scarlet Rue est en train de faire suffoquer un flic. Elle s'assure qu'il est mort et lui fait les poches. Elle récupère 700 dollars et commence à s'adresser directement au lecteur pour lui expliquer la situation. Elle frappe un petit voyou qui volait un vélo attaché sur le trottoir et en même temps elle se lance dans un bref résumé de sa vie (3 pages) jusqu'au moment où elle et ses copains ont été victimes d'une vérification policière d'identité abusive qui se termine vraiment mal. L'histoire raconte comment Scarlet décide quoi faire de sa vie après et comment elle en arrive à tuer de sang froid un fonctionnaire de police.
En 2010, ça fait plusieurs années que Bendis débite des histoires de superhéros au kilomètre avec une qualité éminemment variable, tout en continuant de développer la série "Powers" avec
Michael Avon Oeming. Depuis Daredevil, il développe également des séries avec un autre collaborateur proche :
Alex Maleev (par exemple Spider-Woman, ou Moon Knight). "Scarlet" est donc un projet spécialement conçu pour Maleev.
Brian Michael Bendis utilise donc un procédé narratif dont il n'est pas coutumier : Scarlet s'adresse directement au lecteur, comme à un confident précieux. Effectivement il est sérieux et il fait tout pour que son personnage existe aux yeux des lecteurs. Et ça marche. Scarlet Rue devient une jeune femme qui avait avec un sacré caractère et qui a été confrontée trop jeune à un abus de pouvoir ordinaire et monstrueux. Il devient impossible de la confondre avec une jeune adulte anonyme ou générique. Bendis intègre également des références actuelles (en 2010) aux codes des jeunes (utilisation de textos, port de gros casques audio autour du cou comme un accessoire de mode, organisation d'un flashmob, etc.).
En plus d'un personnage attachant, Bendis met la jeunesse de Scarlet en avant comme un atout majeur dans cette société corrompue. La soif d'absolu qui se manifeste à ce moment de la vie oblige les adultes indécis à se positionner par rapport à cette corruption. Ils ne peuvent plus accepter le compromis quotidien, les actes de Scarlet leur imposent de prendre parti qu'il s'agisse d'angela Going (une autre policière) ou Nathan Daemonakos (un agent du FBI). Bendis resserre son récit sur une période temporelle assez courte : du moment où la vie de Scarlet bascule du fait de cet abus de pouvoir jusqu'au moment où elle devient un symbole. Il n'y a pas de résolution miraculeuse à la fin. Mais cette fin ouverte n'appelle pas forcément une suite, Bendis a vraiment orienté son récit sur la thématique de la naissance de cette figure publique. Je n'ai pas ressenti de manque au fait que Scarlet ne révolutionne pas tout.
Et puis il y a les illustrations d'
Alex Maleev. Dans un premier temps, le lecteur qui connaît déjà son travail se dit qu'il a juste repris les techniques employées sur la série Spider-Woman. Maleev utilise beaucoup la photographie comme fond d'image. Il a employé un modèle (dénommée Iva) pour poser pour Scarlet. Il a effectué de nombreux reportages à Portland pour les différents lieux où se déroule chaque scène. Pour chaque image, le lecteur finit par se dire que le résultat est proche des portraits sérigraphiés créés par
Andy Warhol. Effectivement Maleev effectue un travail de plus en plus élaboré sur les photographies qu'il utilise. Il ne s'agit plus d'un simple raccourci pour disposer rapidement de décors réalistes ; il s'agit d'un travail de recomposition d'élimination du superflu, de choix des éléments structurants et d'ajout de textures supplémentaires qui transforment cette base de roman-photo en une oeuvre picturale très originale. Chaque case prise une à une devient une belle image et une vision d'artiste qui a retravaillé la réalité pour la transformer conformément à sa façon de la percevoir. L'ajout de textures parfois à peine perceptibles (sur le mur à la première page de l'épisode 2) fait apparaître une autre réalité derrière la surface abîmée du mur. Dans les pages 2 & 3 de l'épisode 2, le visage répété 12 fois de Scarlet devient plus qu'un simple hommage aux portraits d'
Elizabeth Taylor de
Warhol, ils forment également une mosaïque hypnotique dans laquelle la couleur induit un mouvement sur des images statiques. En fait chaque page devient une aventure picturale d'où peuvent émerger des images évoquant des symboles issus de la culture populaire, ou de banales scènes de la vie ordinaire qui acquièrent un sens lourd de conséquence. le banal (Scarlet croise sa mère qui lui colle une gifle) redevient exceptionnel et presque merveilleux.
Évidemment tout n'est pas parfait : Scarlet devient une tireuse d'élite pour une scène où elle devient un sniper (scène choc un peu facile), Bendis s'emmêle dans le prénom de l'agent Daemonakos (une fois James, puis une autre fois Nathan) et la fin peut laisser insatisfait (en fonction de ce que vous attendez du récit). Mais j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette jeune femme dont la vie a un impact politique significatif et dont les actes bousculent les adultes endormis dans leurs compromis.
Brian Michael Bendis prouve qu'il a encore des choses à dire dans une narration adulte pleine de rouerie (avant tout de l'action pour contenter le lecteur, et un peu de réflexion pour nourrir l'intrigue) et Maleev perfectionne son style pour atteindre des résultats artistiques inattendus.