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La thèse du livre c'est que le temps de notre cerveau à réfléchir est l'objet d'un marché que se disputent différentes plates-formes comme Facebook, porntube, ou autre. Il y a un marché cognitif. le temps de notre cerveau est un produit qui peut se monnayer en publicités et autres. Tout au long du livre, L'auteur déroule une série d'exemples à foison. le nombre d'anecdotes (« oh tiens ça me fait penser à une autre étude, vous connaissez? ») est impressionnant et serait intéressant si ça ne brouillait pas tant le discours et si ça ne cachait pas un manque de profondeur.

Il dénonce la perte de temps qu on passe en idioties sur internet par exemple, mais il ne se rend pas compte qu'il pose finalement un jugement implicite sur la qualité de ce temps, sur une base productive de développement personnel. Comme si lui même était pris dans le modèle capitaliste qu'il tente de dénoncer. Comme si le loisir ou la distraction étaient futiles et inutiles à l'humain.

Il étaie sa thèse simpliste en long et en large mais ne la développe pas assez: que faire de notre temps alors? Comment redéfinir le loisir? Quelle conséquence? Quel futur? Etc.. il en reste à des conséquences simples et des exemples.

Son regard est également biaisé, très générationnel. Comme si tout dans les réseaux sociaux était mauvais. Sa these aurait gagné à regarder les bons côtés des réseaux sociaux pour la connaissance elle même.

Bref, c'est un peu comme un policier dont on connaît le meurtrier des le début mais le reste du livre n'apporte que peu de développement. L'auteur étaie sa culture mais ça manque de raisonnement.

C'est un livre d'anecdotes en sciences humaines, avec les ornements pédants de la culture. Un corps qui reste informe parce que construit sur les connaissances des autres mais dépourvu de squelette adulte. L'auteur a également écrit « cabinet de curiosités sociales » qui est également un assemblage désarticulé d'idées de surface.
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La réduction de la durée hebdomadaire du travail, la disponibilité immédiate des ressources de première nécessité, les progrès des transports, l'augmentation de l'espérance de vie active sont à l'origine, au moins dans nos pays, d'une libération massive du temps de cerveau disponible, « un trésor inestimable » démultiplié par l'augmentation de la population. En parallèle, la puissance des ordinateurs et le volume d'information disponible sur le Net ont bouleversé l'offre cognitive pour le meilleur — arts, sciences, information — et pour le pire — jeux programmés pour l'addiction, pornographie (plus d'un tiers des vidéos consommées sur internet), désinformation.

« Apocalypse cognitive » décrit l'invasion du temps de cerveau disponible par les écrans, et par les contenus offerts sans limites dans la main même de nos contemporains. Chez l'enfant et l'adolescent, la conséquence immédiatement mesurable est la réduction du temps de sommeil ; les données transversales montrent que la dépendance aux écrans est liée aux catégories socioculturelles, les catégories défavorisées étant les plus vulnérables ce qui est de nature à accroitre les inégalités (précisons que des études prospectives sont en cours pour en mesurer l'effet sur la performance scolaire, l'adaptation sociale et la santé mentale des jeunes adultes). À tout âge, les contenus offerts par les réseaux sociaux sont largement régis par la peur, la pensée paresseuse, le narcissisme, la soumission au circuit de récompense. La peur : notre espèce est programmée pour réagir vite et intensément à la peur — l'antique réaction d'attaque défense bien connue des physiologistes —, d'où « les embouteillages de la crainte » dans une « cacophonie cognitive » qui concerne aussi bien le gluten, les vaccins, les antennes relais que tout simplement « les autres », doublée d'une propension aux réactions de colère. La pensée paresseuse a toujours existé — que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre — mais le Net permet de la mesurer : 59 % des personnes qui partagent des articles sur les réseaux sociaux n'ont lu que les titres et rien de leurs contenus ; en 2013, l'utilisation d'armes chimiques par Bachar el Assad contre sa propre population a attiré 1533 tweets par minute quand les Vidéo Music Awards, contemporains, en attiraient 306 100 par minute ; lors des élections de 2017, 38 % des requêtes des internautes portaient sur la vie privée des candidats contre 21 % sur leur position politique ; les internautes mentent sur leurs dons aux oeuvres et sur les émissions qu'ils regardent, etc. le narcissisme : la recherche des likes induit « une boucle sans fin de validation sociale », un partage d'opinions non vérifiées, un enfermement cognitif renforcé par les biais de confirmation que les algorithmes entretiennent. La désinformation : Bronner avait analysé le succès des contrevérités dans « La démocratie des crédules » (2014), succès massivement renforcé depuis par le populisme politique (Trump et ses 20 tweets par jour, Bolsonaro, Salvini, Grillo), et maintenant par le populisme scientifique (Raoult et sa « molécule d'opposition ») : un sondage IFOP a été mené en avril 2020 pour savoir si l'hydroxychloroquine était bel et bien efficace pour traiter la Covid-19 !

Nous sommes vulnérables à la pensée paresseuse, au mensonge ou à la démagogie cognitive pour de multiples raisons. Vérifier les sources ou dissocier corrélation et causalité demande un recul critique, une formation, un effort. Les préjugés sont puissants. La défiance vis-à-vis des experts est courante, alimentée par la présomption de paternalisme et honorée par la référence fautive à l'aphorisme de Thomas Jefferson : « la vérité se défend seule », ce qui peut être vrai à l'échelle séculaire, mais surement faux dans l'actualité. Les GAFA ont intérêt à nous maintenir dans leurs réseaux (« Lorsque tu regardes ton écran, ton écran te regarde », p 78) et partant leurs algorithmes, conçus pour renforcer nos convictions individuelles ou celles de nos suiveurs, fonctionnent comme des chambres d'écho. Enfin les réflexes de peur et les informations égocentrées stimulent nos réseaux adrénergiques d'attaque-défense et le circuit dopaminergique de récompense.
Bronner s'appuie largement sur des observations neurobiologiques, anatomiques ou comportementales, sans toujours rappeler qu'elles dérivent généralement de modèles animaux, mais c'est une approche neuve et pertinente. Sa lecture est salutaire parce qu'elle rappelle la faiblesse de nos jugements, l'indigence de nos gouts, les séductions de la paresse. Un message pessimiste qui expose à l'accusation bien contemporaine d'élitisme, même si l'auteur prend garde à toujours mentionner « nos » jugements, « nos » gouts, « notre » paresse.
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Gérald Bronner nous fait la brillante démonstration de tout ce qui entrave notre capacité à penser par nous même, ce fameux « temps de cerveau disponible » si cher aux publicitaires. « C'est dans ce temps de cerveau que se trouve potentiellement des chefs d'oeuvre ou de grandes découvertes scientifiques » comme il nous le fait savoir à la page 63
Ce livre nous dresse la liste de toutes les sollicitations face auxquelles notre cerveau doit composer, entre en compétition, afin de retrouver cette liberté de penser, de créer. On y parle de plaisir immédiat, de néo-populisme, de narcissisme.
C'est une véritable mutation que vivent nos sociétés sans cesse sollicitées par des breaking news, des alertes, des notifications. Par des informations qui créent le sentiment de vivre l'événement, celui qu'il ne faut pas rater. Notre cerveau est ainsi constamment en alerte. Or, ce ne sont pas des évènements, mais de simples informations que nous livrent notamment les chaînes d'informations continues. Car elles aussi sont sous l'emprise de la rentabilité. Et dans le fond, c'est par l'excès de libéralisme que nos cerveaux sont constamment sollicités. À tel point que nous n'avons plus le temps de nous ennuyer. Cet ennui si vital pour la création, l'innovation, la réflexion.
Il y a, selon la thèse développée par Gérald Bronner, deux mondes qui se font face. L'un réel et l'autre virtuel. Or, parce que notre univers virtuel n'est pas encore discipliné et donc règlementé, nous assistons à une multitude de travers, d'erreurs qu'il nous faut rectifier au plus vite. Il en va ainsi des forums qui nous ramènent à nos comportements les plus vils. Ceux-ci ne sont plus que des exutoires sans lois ni règles face à une indignation toujours plus virulente et face auquel chacun doit avoir son avis à donner au risque d'être ostracisé. Gérald Bronner nous donne l'exemple de la célèbre hydroxichloroquine. Face aux soi-disant bienfaits de cette molécule nous avons assisté à une véritable dictature, celle du plus grand nombre qui s'est imposée face aux plus grands médecins et spécialistes.
Enfin, on y apprend, par des chiffres, des expériences approuvées, des études sérieuses que la stratégie des publicistes est de nous offrir un plaisir immédiat, instantané qui n'a de valeur que pour l'instant présent. Aucun publiciste ou marketer ne nous offre un plaisir plus susceptible, plus profond que la simple satisfaction instantanée. Ce bonheur qui ne peut être prévisible que sur le long terme et dont on ne peut pas ou on ne veut pas, par impatience, percevoir les contours.
Ce livre est une réelle réflexion sur cette révolution à laquelle nous assistons. Et il insiste sur le fait que l' « apocalypse » n'est pas cette fin du monde prédite par les récits bibliques mais un avenir qu'il faut entrevoir.
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C'est un livre très dense. Un développement minutieux et original. Difficile de faire une fiche de lecture.

En fait, il faut surtout retenir l'idée principal de ce livre, son fil conducteur.

Nous avons tous un "capital cognitif" constitué par notre "temps de disponibilité du cerveau". Prenez les 24 heures de votre journée, enlevez les temps de travail, de transport, des corvées, de sommeil, et vous aurez le nombre d'heures ou minutes auxquels vous pouvez dédier à vos activités cognitives, à votre développement intellectuel, aux moments de réflexion.

Si vous pouvez utiliser ce capital temps comme vous voulez, des tiers essayent d'en prendre possession en attirant votre attention, vidant ainsi votre capital.

Avec ce fil conducteur, Gérald Bronner analyse aussi exhaustivement que possible les tactiques utilisées pour récupérer votre temps de cerveau disponible.

Ça peut être les réseaux sociaux où vous voyez, en permanence, des publicités et que, au passage, on récupère vos données personnels qui seront utilisés par ailleurs. Les publicités qui vous inciteront à acheter tel ou tel produit, les néo-populistes, les fake news, etc, etc...

A une époque où l'information est, ou devrait être facilement accessible, on se trouve dans une situation de saturation où notre temps de cerveau disponible se trouve épuisé. Il nous alerte sur les dangers de cette situation.

Il ne propose pas vraiment de solutions et il est conscient de la difficulté. Par exemple, difficile de trouver une solution aux "fake news" sans limiter la liberté d'expression.

Gérald Bronner, je le classe un peu comme un "touche à tout" puisque dans ses livres, et pas juste celui-ci, il aborde des aspects aussi bien sociologiques que psychologiques et neurologiques.

Ce livre est très dense très documenté avec une énorme quantité de références. C'est plus qu'un essai. Pour bien le lire, il faut prendre son temps. Même s'il s'agit d'un livre que se lit facilement, il faut se donner le temps de la réflexion tout au long de la lecture.
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Apocalypse cognitive de Gerald Bronner se lit avec facilité : propos clairs appuyés par des études sociologiques et statistiques, idée que la réalité est plus complexe que ce que les idéologues nous renvoient. Toutefois le titre choisi prête à confusion : il ne s'agit pas de déclinisme cognitif mais cambriolage de notre temps de cerveau disponible essentiellement par les écrans et les réseaux sociaux. le déferlement d'informations diverses aurait un effet addictif sur notre "cerveau ancestral" avide de plaisir immédiat dans un contexte de concurrence généralisée des objets de contemplation mentale.... La lutte pour la saine alimentation de notre temps de cerveau ne fait que commencer. Neurones de tous cerveaux, libérez-vous !
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Un essai stimulant, richement étayé, et illustré par des exemples attrayants. Une conclusion qui s'en tient à un niveau assez élevé de généralité : on aimerait être guidé un peu plus… de quoi s'agit-il ?

On constate un temps de cerveau libéré inédit dans l'histoire de l'humanité. C'est un fait et un trésor politiques. Or notre attention est cambriolée, dans le sens où elle s'appuie moins sur la qualité des informations circulant sur le marché cognitif que sur la satisfaction mentale qu'elles apportent.

Le marché cognitif est dérégulé. Il s'appuie sur une éditorialisation libre du monde (chacun édite son monde, ses mondes…). Mais cette hypermodernité du marché cognitif va de pair avec un fonctionnement ancestral de notre cerveau dans lequel ce dernier s'abandonne à des boucles addictives. Or qu'est-ce qui retient notre attention ? Les invariants de notre espèce : la peur, le sexe, la colère, la conflictualité, la surprise (le possible incertain). Comment ? En utilisant l'incomplétude cognitive (« Vous voulez découvrir à quoi – telle personnalité – ressemble aujourd'hui ? Vous le saurez si… ») provoquée par la frustration, et les informations égocentrées (« Faites-vous partie des signes astrologiques concernés par le vieillissement? »).

Ce marché cognitif dérégulé révèle (c'est le sens d' « apocalypse ») ces invariants de notre espèce : il montre une image anthropologique réaliste – non naïve – de l'homme. Cette image s'oppose aux modèles de sociétés utopiques qui supprimeraient toutes les incertitudes de nos vies. Cette anthropologie réaliste s'oppose aussi aux théories pleines d'espoir, mais aveugles, d'un homme qui serait dénaturé : théories qui font de toute chose l'effet d'une construction sociale (« c'est la faute du contexte ») servant les intérêts d'un capitalisme hypermoderne.

Comment ne pas sombrer dans notre médiocrité collective ? En prenant conscience que le marché cognitif fait revenir au premier plan l'homme préhistorique. En organisant « les conditions pour chacun de sa déclaration d'indépendance mentale » (p.350). En travaillant la capacité à différer des plaisirs immédiats. En domestiquant « l'empire immense de nos intuitions erronées » (p. 350).
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Un livre, au degré fort, à savourer, en verre et contre tout, à petites gorgées, pour éviter de "s'étouffer" ( il n'y aurait "plus rien à faire"), et en reprendre sans modération...
Une météo annonciatrice d'un temps apocalyptique, dont on peut craindre que le futur ne se conjuguerait plus au conditionnel.
Peu de choses à ajouter aux très bonnes critiques explicatives déjà faites .Nos civilisations sont mortelles ;l'Histoire nous le montre, les poètes( Paul Valéry) le chantent, qui ont toujours raison. Reste un triple questionnement:
-L'accélération démentielle de la technologie ( je me revois, à 14 ans, bricoler mon poste à galène) ne risque t'elle pas d'abattre ce plafond civilisationnel?
-Les solutions proposées me paraissent relever, au pire, d'un voeu pieux, au mieux, d'une hauteur sous (faux)plafond civilisationnel fonction du point sur la planète .Peut-être une forme de séisme salvatrice?
-A quoi bon? Puisque l'humanité est promise à la disparition .Là, il faut être ferme dans la réponse: combattre avec détermination cette réalité virtuelle, et bien d'autres réalités plus ou moins hypothétiques, voire mensongères, en nous extirpant de ces doutes engluant, qui suintent actuellement de toute part.
C'est comme dire: à quoi bon tenter de vivre, puisque nous devons de toute façon mourir.
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C'est le second ouvrage de Gérald Bronner que je lis, après Déchéance de la rationalité, et à nouveau, son essai étaye bien les enjeux, qu'il décrit et argumente pour alerter sur les enjeux et les risques d'un marché cognitifs dérégulé.
Par apocalypse, il faut entendre le sens étymologique comme l'auteur vous l'expliqueras en cours de lecture et non le sens biblique.
Les mécanismes cérébraux qui sont exploités par les outils numériques d'aujourd'hui accaparent notre attention à un point tel que l'auteur estime qu'un formidable gâchis attentionnel est à l'oeuvre et que des "armées de génies méconnus" ne seront jamais découverts, tant l'attention captée par les réseaux sociaux et autres outils numériques ou applications phagocytent notre attention.
Les crises que nous vivons, telles que la crise environnementale ou sanitaire ne peuvent être pleinement appréhendées et dépassées collectivement, aspirés par ces freins et biais cognitifs dont nous sommes les victimes.
Il en va d'un enjeu civilisationnel et de pouvoir dépasser ce plafond qu'aucune autre civilisation déchue n'avait pu dépasser par le passée.
Et seul ce dépassement là, nous permettra d'un jour espérer élargir notre horizon aux autres mondes extrasolaires.
Une très belle réflexion où la rationalité prime sur les croyances, ce qui est fort utile en ces temps de pseudos-vérités dont beaucoup s'arroge le sentiment d'avoir compris ce que les autres n'ont soi-disant pas compris. Mais quand on appréhende que désormais 90 % de l'information disponible dans ce monde date de moins de deux ans... On perçoit bien le manque de recul et la tyrannie de l'instantanéité qui est à l'oeuvre.
Je recommande cette lecture qui ne peut que faire du bien pour préserver un peu de rationalité et de hauteur de vue distanciée dans les débats actuels qui n'en sont le plus souvent pas.
Il me revient à l'esprit en fermant ce livre un extrait de Terre des hommes d'Antoine de Saint-Exupéry : "Ce qui me tourmente, ce n'est point cette misère, dans laquelle, après tout on s'installe aussi bien que dans la paresse . Des générations d'Orientaux vivent dans la crasse et s'y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun des hommes, Mozart assassiné. " Entrait qui tendrait à montrer que les racines de ce que l'auteur dénonce, existaient déjà bien avant l'avènement du numérique.
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Cinq étoiles ce n'est pas suffisant pour congratuler cet ouvrage d'utilité publique. Voici quelques temps que je le voyais en tête de gondole au Furet du nord et j'hésitais. Puis, j'ai sauté le pas.
Notre auteur débute son ouvrage sur notre temps de cerveau disponible. Ce temps de cerveau disponible a cru, notamment au cours du siècle écoulé, par le développement du progrès technique et donc de la robotisation de la société que ce soit sur le plan de la production industrielle mais aussi sur le plan de la vie domestique. Bilan, nous avons donc 5 heures par jour pour créer et faire sauter notre plafond civilisationnel. Mais voilà, encore faut-il que ce temps disponible soit utilisé à bon escient. L'amas d'informations à notre disposition notamment avec l'explosion des Data rend difficile le traitement des idées, leur hiérarchisation et ce d'autant plus que désormais nous sommes tous amenés à produire de l'information. LA tribune est libre. Notre cerveau penche désormais en faveur du gain rapide (adrénaline) plutôt que celui basé sur le plus long terme, celui de la pleine conscience et de l'analyse (sérotonine), en bref un cerveau quelque part préhistorique. Notre auteur reste toutefois optimiste. Il alerte sur les dérives et les risques mais ne veut pas sombrer dans le catastrophisme.
Cette critique est incomplète, tant l'ouvrage épouse un champ immense avec une précision au scalpel ... Ce bouquin foisonne de données empiriques, sociologiques, neuroscientifiques.
j'ai notamment gardé trace de ces éléments dans les citations.
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C'est la profonde inquiétude que je ressentais vis-à-vis des nouvelles technologies numériques qui m'a poussé à ouvrir ce livre. J'y cherchais des réponses, et ma quête fut couronnée de succès.

Je fais partie d'une génération qui a grandi entourée d'écrans, de moteurs de recherche, de vidéos YouTube et de réseaux sociaux. Malgré un certain manque de recul dû à ma courte expérience de la vie, j'ai pu constater une angoissante évolution de la société, mais surtout des individus, en profondeur. J'observais d'abord, par expérience personnelle, un phénomène d'addiction relié à ces nouvelles technologies : addiction au stimuli permanent, au divertissement gratuit, mais aussi à la reconnaissance sociale et à l'attention offert par les réseaux sociaux. Puis, progressivement, je remarquais une disparition progressive de l'ennui, de l'attente, de la longueur, de la contemplation, de la rêverie. Rares étaient les discussions épargnées par la consultation d'un smartphone ; absents étaient les instants méditatifs où l'esprit se laissait porter par le courant des pensées sans rencontrer aucune perturbation extérieure. Ces écrans gagnaient du terrain, infiltrant chaque moment de la vie, du lever au coucher, de l'activité à la passivité, des regroupements familiaux au repos solitaire.

« Au moindre temps mort : temps de transport, salle d'attente, marche dans la rue, nous jetons un coup d'oeil sur nos portables. Tandis que nos amis nous parlent, lorsque nous sommes en réunion ou plus généralement durant notre temps de travail, ces outils s'invitent sans cesse à la table de notre temps de cerveau disponible. » (p.81)

« Il est essentiel de préserver dans notre vie mentale des moments de lenteur et d'ennui. Notre créativité, qui constitue le domaine cognitif où nous surpassons non seulement toutes les autres espèces mais encore les intelligences artificielles, a besoin de pouvoir régulièrement s'extraire des cycles addictifs de plaisirs immédiats. C'est à partir de cette créativité que l'humanité a fait émerger ses plus belles oeuvres, dans le domaine artistique, technologique ou scientifique. Toute amputation de ce temps de rêverie à explorer le possible est une perte de chances pour l'humanité. » (p.339)

L'abandon de mon smartphone a été la première étape de la lutte. Substitué par un magnifique téléphone à clapet rouge écarlate, il ne me manque point du tout. La deuxième étape est la compréhension des mécanismes de la « captologie » et de ses effets sur l'individu et sur les relations sociales. C'est à cela que l'ouvrage de Gérald Bronner m'a servi.
Toutes mes intuitions anxieuses ont pu être traduites en connaissance, en chiffres et statistiques, en compte-rendu d'expériences neurologiques, en faits sociologiques. Ainsi, j'ai pu retenir certaines données alarmantes : une diminution de 23 min de sommeil entre 1986 et 2010, le temps consacré à la lecture a diminué en France de 1/3 depuis 1986, la consultation d'un smartphone est un facteur impliqué dans 1 collision mortelle sur 10… L'auteur propose aussi certains témoignages éclairants, comme celui-ci :

« En juin 2019, Tristan Harris, un ancien ingénieur de Google, a décrit en détail, devant le Sénat américain qui l'auditionnait, les tactiques cognitives utilisées par ces géants du Web pour cambrioler l'attention de nos contemporains : stimulation des réseaux dopaminergiques (par les likes, les notifications divers), enchaînement des vidéos qui, lorsqu'elles ne sont pas vues en entier , créent un sentiment d'incomplétude cognitive, incitation à faire défiler sans fin un fil d'actualité, incitations à la peur de manquer une information cruciale…. Tout est organisé pour nous faire prendre le vide ou le pas grand-chose pour un évènement. » (p.199)

Ma soif de connaissance sur ce domaine, dont l'auteur nous apprend qu'elle stimule les mêmes aires corticales que l'appétit de nourriture, était donc pour le moment satisfaite. Mais Gérald Bronner va plus loin. En fait, la thèse de son ouvrage ne porte même pas sur la dangerosité des écrans ou des nouvelles technologies : elle porte sur les données que ces dernières nous permettent d'obtenir. La problématique du livre se concentre donc sur le phénomène contemporain de l'Apocalypse cognitive.

« le monde contemporain, tel qu'il se dévoile par la dérégulation du marché cognitif, offre une révélation fondamentale – c'est-à-dire une apocalypsis – pour comprendre notre situation et ce qu'il risque de nous arriver. Cette dérégulation a pour conséquence de fluidifier sur bien des sujets la rencontre entre une offre et une demande, et ce, en particulier sur le marché cognitif. Cette coïncidence entre l'une et l'autre ne fait apparaître ni plus ni moins que les grands invariants de l'espèce. La révélation est donc celle de ce que j'appelle une anthropologie non naïve, ou, si l'on veut, réaliste. le fait que notre cerveau soit attentif à toute information égocentrée, agonistique, liée à la sexualité ou à la peur, par exemple, dessine la silhouette d'une Homo sapiens bien réel. La dérégulation du marché cognitif fait aboutir en acte ce qui n'existait que sous la forme d'une potentialité. » (p.191)

Les écrans ne sont donc pas le Mal : ils sont seulement des outils stimulants les facettes les plus archaïques et les moins vertueuses de notre humanité. Besoin d'attention, soif d'inédit, appétence pour le conflit, intérêt pour le danger, inclination pour le sexe, horreur du silence du monde et propension envers les stimuli visuels… Ces réflexes inscrits dans notre ADN sortent de leur caverne face au monde numérique et télévisuel, et les individus sont irrésistiblement attirés par l'offre exceptionnel de divertissement et d'informations permettant de combler leur temps de cerveau disponible.

Car c'est bien ça l'enjeu du monde contemporain : le temps de cerveau disponible. Celui-ci a connu une augmentation drastique depuis la baisse du temps de travail professionnel et domestique et la hausse de l'espérance de vie. Selon l'auteur, il est un trésor inestimable :

« le cerveau est l'outil le plus complexe de l'univers connu et sa plus grande disponibilité ouvre tous les possibles. En effet, c'est dans ce temps de cerveau que se trouvent potentiellement des chefs-d'oeuvre ou de grandes découvertes scientifiques. C'est cette libération qui ouvre à la contemplation intellectuelle. Elle est donc la condition nécessaire au progrès humain tel qu'on l'imaginait au cours des siècles précédents. » (p.63)

Mais son potentiel immense est gâché par du contenu audiovisuel médiocre et abrutissant. le défi de demain est donc de mieux l'investir pour rendre les individus meilleurs et se rapprocher du Bien commun.

Avant de mettre un point final à cette longue critique, je me dois d'exprimer quelques réserves. D'abord sur le projet de société de l'auteur. Beaucoup trop internationaliste et anti-nationaliste à mon goût, d'abord. Ensuite, l'auteur dit souhaiter une régulation du marché cognitif et de l'utilisation du temps de cerveau disponible en évitant absolument les mesures liberticides. Cela me parait contradictoire, la régulation, le contrôle et la censure (mesures qu'on pourrait considérer comme liberticides pour les utilisateurs) étant nécessaires pour réduire les addictions et la médiocrité culturelle. Ensuite, j'ai trouvé l'auteur parfois condescendant et/ou injuste envers certaines idéologies auxquelles il semble opposé. Ainsi, Bronner voit les idées de l'effondrement civilisationnel ou de la corruption des élites comme des « récits mortifères » irrationnels dont la caractéristique principale serait la « détestation implicite de la rationalité ». Je ne suis pas d'accord avec ce constat, considérant au contraire que ces idées méritent qu'on s'y attarde.

Cet ouvrage demeure malgré cela d'une importance capitale, et mérite une ample promotion (je ferai évidemment ma part du boulot auprès de mes proches).
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