Je n'ai ni métier ni talent particulier, et la façon dont j'arrive à rester en vie relève principalement de la magie.
Si vous voulez mon avis, tout est parti en couilles avec la seconde guerre mondiale. Et ça ne s’applique pas qu’au monde des arts. Même les cigarettes n’ont plus le même goût. Le tamal. Le chili. Le café. Tout est plastique. Les radis ne paraissent plus aussi âpres. Vous écalez un œuf et, inévitablement, le blanc reste accroché à la coquille. Les côtelettes de porc sont toutes roses et grasses. Les gens se contentent d’acheter de nouvelles voitures et c’est tout. Leur vie se résume à quatre roues. Les villes n’allument qu’un tiers de leurs lampadaires pour économiser l’électricité. Les policiers distribuent des contraventions sans raison. Les poivrots reçoivent des amendes aux montants astronomiques, et quiconque ayant bu un verre est considéré comme un alcoolique. Les chiens doivent être tenus en laisse, les chiens doivent être vaccinés. Il faut une licence de pêche pour attraper un grunion à mains nues, et les bandes dessinées sont considérées nocives pour les gamins. Les hommes regardent les matches de boxe depuis leurs fauteuils, les hommes n’ayant aucune idée de ce qu’est un combat, et quand une décision leur plaît pas, ils protestent en écrivant aux journaux des lettres de réclamations misérables et indignées.
Et la littérature : il n’y a rien : aucune vie.
Les politiciens et les journaux parlent beaucoup de liberté mais du moment que tu commences à l’exercer, que ce soit dans la Vie ou dans le monde de l’Art, tu es bon pour la prison, la moquerie ou l’incompréhension.
Si c’est ça l’écriture, si c’est ça la poésie, je demande qu’on m’inocule de ce pas des parasites dans la tête : j’ai gagné 47$ en 20 ans d’écriture et je pense que ces 2$ de revenus par an (sans compter les timbres, le papier, les enveloppes, les rubans, les divorces et les machines à écrire) me dispensent de subir cette dinguerie particulière et si je dois tenir la main de ces dieux en cartons pour promouvoir une rime édentée, j’aime autant voir mes mains pleines de kystes et me réfugier au paradis des refus.
C'est très bien de tout démolir si ta colère requiert du courage mais si c'est juste de la démolition pour l'amour de la démolition, bon, c'est ce qui se produit déjà tous les jours dans nos vies, ça arrive sur les autoroutes, dans les allées et venues du quotidien, dans les salles d'attente.
Si j'écrivais seulement et continuellement sur la "lumière" et ne mentionnais jamais le reste, alors en tant qu'artiste je suis un menteur.
Trinquons à la chance en espérant que les dames aiment encore nos âmes ridées et nos cuisses desséchées, o, comme c'est poétique. Merde.
Parfois je tombe sur des interviews d'écrivains qui parlent de leurs méthodes de travail et j'ai l'impression que ces gens poncent des meubles.
Et je n'ai pas beaucoup aimé la vie ; dans l'ensemble ça a été un jeu très vicieux. Né pour mourir, un compte à rebours au-dessus de la tête, nous ne sommes rien que des quilles de bowling, mon ami [...]
Je veux vraiment pas être un écrivain, professionnel, je veux écrire ce que j'ai envie d'écrire. Le reste, c'est du temps perdu.