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3,9

sur 309 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le titre est une énigme. Comment imaginer que les femmes ne puissent pas avoir d'histoire ? On pourrait supposer que ces histoires seraient tellement insignifiantes, sans importance qu'il faudrait les négliger, les ignorer. Sous prétexte que les femmes seraient dévolues à vivre toute leur existence dans l'ombre d'un père, d'un frère ou d'un mari, elles ne pourraient pas écrire leur propre légende. C'est là toute l'ironie que développe Amy Jo Burns dans son livre, le paradoxe, en racontant tout au long de son roman l'une des plus grandes histoires universelles que puisse vivre un individu, une histoire d'amitié à la vie, à la mort.
Le texte peut au début déstabiliser car il donne une impression de confusion et la narration est hachée, mais rapidement on entre dans le vif du sujet. Dans un coin perdu d'Amérique du Nord, au coeur de la Virginie-Occidentale, deux amies inséparables, Ivy et Ruby, grandissent et meurent au milieu d'une nature sauvage, dans une contrée minière où les hommes noient leur quotidien dans la drogue et le « moonshine » (whisky de contrebande).
L'atmosphère est pesante, grise comme une pluie d'automne, étrange mélange de magie noire, croyances et superstitions. Les gens sont presque arriérés, dans la survivance, la débrouillardise et les instincts primaires. Ils n'ont pas le luxe d'avoir des attentions, des bonnes manières ou de bons sentiments. La rudesse de leur existence ne le leur autorise pas. La seule lumière dans ce récit est cette amitié sans faille entre Ruby et Ivy, cette promesse qu'elles se sont faites…
Mais il y a aussi cette phrase de Wren qui éclaire : « Je ne voulais pas être une histoire, je voulais vivre. » car on porte son histoire quand on y a écrit le mot « Fin » et qu'une histoire est souvent embellie d'illusions et de mensonges arrangés.
« Les femmes n'ont pas d'Histoire » est une très belle histoire de femmes pour qui penserait encore aujourd'hui qu'elles n'en ont pas.
Traduction d'Héloïse Esquié.
Editions Sonatine, 297 pages.
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Cette toute jeune fille, aux vêtements recyclés, à la grande tresse démodée, et au regard brulant, vit à distance d'une petite ville de Virginie occidentale, dont les sources ont été polluées par l'industrie chimique qui fait vivre et mourir ceux qu'elle emploie. Dans la masure familiale, mais peut-on parler de famille, la mère voudrait lui parler, la mettre en garde, pour lui éviter le même destin misérable que le sien, épouser un homme que l'alcool détruira corps et âme jusqu'à en faire un monstre. Cet être hors norme s'est construit sur un coup de foudre. Pas de ceux qui font vibrer les amoureux, non, un vrai foudroiement, qui a blanchi un de ses yeux. Son art de manipuler les serpents a fait le reste : l''homme rassemble les fidèles autour de lui pour répandre la bonne parole, celle du livre sacré.
L'activité n'est cependant pas assez lucrative pour assurer la subsistance de la famille , d'autant qu'une bonne partie des gains finance l'alcool de maïs clandestin distillé dans les collines.

S'ils vivent hors du temps, quelques indices montrent que l'histoire se déroule bien de nos jours. La technologie n'a pas atteint les cabanons isolés, mais les ordinateurs et les téléphones existent à deux pas.

Le décor, les personnages, l'intrigue centrée autour de la personnalité de ce gourou, tout m'a plu. le destin de ces femmes, conscientes d'être des esclaves, mais incapables de s'extraire de leur geôle, avec de génération en génération l'espoir que leur propres filles s'en sortiront est à la fois révoltant et émouvant.

C'est une Amérique que l'on entrevoit guère que dans la littérature, trop politiquement incorrecte, et pourtant elle existe, encore et toujours. Alors merci à ce roman de sortir ces destins brisés de l'anonymat général.


#Lesfemmesnontpasdhistoire #NetGalleyFrance

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Quand le patriarcat brise les destins féminins
*
J'ai lu quelques romans se situant dans la région où se passe cette histoire. Les Appalaches, cette partie montagneuse qui traverse le Sud des Etats-Unis. Par exemple, Ron Rash en a fait son lieu d'écriture favori.
Cet endroit sauvage, brut, un mode de vie rural et aussi d'isolement.
C'est là que vit la jeune héroine, ainsi que sa mère, son père et sa tante d'adoption. L'adolescente, fille d'un manipulateur de serpents (une croyance religieuse bien ancrée et très singulière) essaie tant bien que mal de vivre sa vie de recluse. Entourée de femmes fortes mais résignées (la mère et sa meilleure amie), elle nous conte son désir d'émancipation, de liberté au-delà de ces montagnes hostiles.
Et puis la construction du récit nous ramène à une autre narratrice, la meilleure amie de sa mère au temps de ses premiers amours. Et puis encore un ami prétendant , un autre point de vue.
*
Dans un style très fluide, le récit se déroule parfaitement sous plusieurs trames temporelles, avec beaucoup de sincérité et surtout d'émotions. Plusieurs fois, j'ai eu les larmes aux yeux. Les personnages sont touchants, très nuancés, imparfaits et torturés.

L'atmosphère sombre est très bien retranscrite. J'ai ressenti pleinement chaque sentiment des protagonistes et pour cela , il faut un certain talent de conteuse. Il est certain que je lirais son prochain roman.

Comme de bien entendu, les éditions Sonatine nous ont encore une fois gâtés et déniché une nouvelle romancière américaine spécialisée dans cette ruralité des laissés-pour-compte (notamment avec les excellents David Joy et Michael Farris Smith)
*
Merci au Picabo River Bookclub pour la sélection.
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Les femmes qui vivent dans les montagnes des Appalaches, dans la rust belt ont une vie bien particulière. Elles vivent sous l'emprise et dans l'ombre des hommes, père et mari. Elles n'ont aucun droit. A travers ce roman, on suit la vie de Ruby, Wren sa fille et Ivy son amie. Elles vivent dans des cabanes délabrées, sans électricité, isolées dans la montagne, loin de la ville la plus proche. Les hommes sont alcooliques, sans emploi pour la plupart, fabriquant de wisky de contrebande, récupérateurs de ferraille. le mari de Ruby est prêcheur,. Les femmes vivent avec deux siècles de retard, sous le joug des hommes et de la religion imposée par les hommes, évidemment qui les contraint et les corséte. Les femmes doivent porter des robes longues pour ne pas dévoiler leurs jambes, qu 'elles cousent elles même. Elles passent des mains du père au mari, et vivront une vie prédestinée à s'extenuer aux tâches ménagères et à faire des enfants.
Ce récit m' a effarée. Je savais que les habitants des Appalaches étaient isolés, en marge de la société mais en lisant ce roman, on réalise l 'ampleur du problème, une région abandonnée par l' État, peu d'infrastructures, écoles ou hôpitaux, des habitants analphabètes, alcooliques, des enfants déscolarisés. L'Etat a belle et bien oublié toute cette partie du pays.
Amy Jo Durns signe un premier roman percutant, elle s'érige dans la lignée de Ron Rash et David Joy pour parler de cette région oubliée, rayée de la carte, en déshérence. Elle nous captive avec cette histoire passionnante où on s'attache au sort de ces femmes si émouvantes.
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Ce que j'ai ressenti:

Je suis née femme aussi, et il me faudra raconter ce ressenti mieux que personne, pour que cette histoire de femmes-là, reste. Reste avec peut-être un goût de moonshine sur les lèvres, mais au pire avec la saveur suave du secret partagé entre filles…Parce que naître femme, des fois, empêche les histoires de s'écrire, surtout si ces mêmes femmes rêvent de libertés et d'évasions…Amy Jo Burns nous offre un roman noir superbe, où l'échappatoire est un voeu qui flamboie dans le coeur de ces dames…Et en tant que femme, ce récit d'émotions au féminin, a réussi à m'hypnotiser…

Alors pour commencer cette histoire, il faut que je vous replace le décor: la région des Appalaches, ses montagnes, l'isolement et la désolation… Et puis, il y avait des hommes et des dimanches. Des hommes égarés, imbibés, qui recherchaient Dieu un peu partout, dans les bois ou à l'Eglise, dans un fond de verre ou dans l'Oeil-Blanc, mais quand même des hommes déchirés et convaincus de leurs suprématies sur la nature et les femmes…Et des dimanches qui revenaient, inlassablement…

Et puis, il y a eu le feu, le pain, le buisson ardent, la guérison miraculeuse, et même des serpents. La foi est au coeur de leurs vies, mais le désarroi aussi….Et toujours, les hommes qui veulent que les femmes ne leur fasse surtout pas trop d'histoires, sinon ils deviendront vite fous…Je n'en dirai pas plus, je laisse les confessions et les murmures des fantômes faire leurs chemins jusqu'à vous…

Amy Jo Burns nous distribue une histoire chorale intense enivrante, où les destins se tortillent, les yeux se blessent et les luttes sont multiples…Elle a l'art de raconter, le coeur de la déchéance des laissés-pour comptes tout en laissant passer une certaine lumière de bienveillance…Si certains hommes peuvent saisir des serpents, il semblerait que les femmes manipulent les chants d'amours malheureux, mieux que personne…Mais même dans un monde de ténèbres et de solitudes, il en ressortira toujours, une histoire…

Il faut que je vous dise…Laissez-vous charmer par celle-ci…
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Dans la même veine que Betty, ce roman raconte les femmes des Appalaches, leur force muselée, leur corps et leur coeur au service des hommes là où leur âme voudraient s'évader. le père de Wren est un prêcheur dangereux aux paroles plus étincelantes que les écailles des serpents qu'il manie pour ravir les foules et se rapprocher de Dieu. de la même manière, il est parvenu à capturer Ruby, son épouse, et Wren, à les hypnotiser, jusqu'à ce que les secrets enflent et éclatent... (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/03/03/les-femmes-nont-pas-dhistoire-amy-jo-burns/)
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Dans les montagnes de la Virginie-Occidentale, les hommes distillent encore leur whisky, poison presque moins nocif que les eaux polluées par les mines de charbon, et les femmes passent de leur père à leur mari. « J'ai pas tellement d'occasions de boire, mais j'ai un tas de raisons de le faire. » (p. 134) Wren, la fille du prédicateur et manipulateur de serpents, veut échapper à cette vie, lire des livres et voir au-delà de sa maison cachée dans les bois. Quand son père réalise un miracle en sauvant une femme du feu, tout se précipite et plus rien ne sera comme avant. « Son accident avait ouvert en grand mon monde désert. Il m'avait rendue téméraire. Vivante. »(p. 52) le récit explore alors l'amitié indéfectible de Ruby et Ivy, résolue à ne pas subir le destin de leurs mères dans cette région perdue. « Les hommes de la montagne tenaient la barre de leur propre histoire, et les femmes leur tenaient lieu de rames. » (p. 12) Des secrets lovés dans le passé se déploient soudainement et les crocs de la vengeance ont des conséquences terribles sur les vivants.

Entre Betty et My Absolute Darling, ce roman dresse le portrait d'une jeune femme qui combat son destin en l'embrassant pleinement. « Nous, les femmes, on est pas aussi libres que vous de faire ce qui nous chante. Pour vous autres, ça va tellement de soi que ça m'écoeure. » (p. 12) La relation profonde entre Ruby et Ivy est l'illustration même de la sororité : chacune sait les frayeurs de l'autre, ses fautes et ses failles, mais reste loyale en dépit de tout. « Dans un monde d'hommes méchants, nous nous sommes battues pour être bonnes l'une envers l'autre. » (p. 154) L'histoire est racontée par Wren, adolescente à un point de bascule. Son propos est sincère, sans concession et généreux : tous les protagonistes seront cités, même les moins glorieux, même les plus honteux. En se délestant de son récit, Wren se donne la chance de poursuivre sa vie. « La vérité s'aigrit si elle s'attarde trop longtemps dans nos bouches. Les histoires, comme les bouteilles de moonshine, sont faites pour être distribuées. » (p. 10)

Je tiens sans doute là mon premier coup de coeur de l'année. La plume est forte et très évocatrice. « Par-delà ces collines, les miens sont connus pour le mordant de leur gnôle et la pauvreté de leur coeur. » (p. 8) Et, surtout, les personnages féminins sont puissants, inoubliables.
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Typiquement le genre de roman que j'aime !
Virginie-Occidentale, à une heure d'une ville minière, deux femmes piégées par les montagnes et le temps, jurent de se protéger à tout prix - et une jeune fille défie son père pour survivre.

Wren, 15 ans, vit dans une cabane de montagne des Appalaches, isolée avec ses parents. Ils n'ont pas de voiture, pas de boîte aux lettres, pas de visiteurs, à l'exception de la meilleure amie de sa mère, Ivy. le père de Wren est un pasteur charismatique, manipulateur de serpent, une pratique pentecôtiste qui lui confère une forte emprise sur sa communauté et sa famille. Tous les dimanches il prononce des sermons dans une station-service abandonnée. Un été, le père de Wren réalise un miracle qui va rapidement se transformer en tragédie. Alors que l'ordre de son monde commence à se déliter, Wren doit découvrir la vérité sur la mystérieuse légende de son père, l'histoire déchirante de sa mère et le lien complexe qui l'unit à Ivy.

L'autrice a trouvé une très bonne histoire à nous raconter. Une histoire qui s'installe petit à petit, sans brusquer le lecteur mais en captant son attention immédiatement. D'abord parce qu'on plonge dans des côtés méconnus de l'Amérique, des résidus qui semblent venir d'une autre époque. Ensuite parce que l'on sent bien que quelque chose ne tourne pas rond. On perçoit les croyances toxiques, l'isolement des femmes, on veut savoir ! Les voix des protagonistes alternent pour nous délivrer des fragments de secrets cachés derrière deux générations de chagrin.

Sans jamais sombrer dans l'écueil de la sensiblerie à outrance ou le misérabilisme, Amy Jo Burns réussit un premier roman tendu sur des femmes au coeur d'un pays d'hommes. Une très belle découverte, un vrai beau roman noir américain.

Traduit par Héloïse Esquié.
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Trap, dans les Appalaches. C'est dans une petite ferme reculée de cette localité que vivent Briar, un prêcheur, sa femme Ruby et leur fille Wren. Un peu plus loin, Ivy, la meilleure amie de Ruby, vit auprès de son mari et de leurs fils. Wren et sa mère sont totalement isolées du monde, de par la décision de Briar. Pour quelles raisons cet homme vit-il ainsi isolé auprès de sa famille ?

C'est un roman très puissant que j'ai découvert ici. Je ne m'attendais pas à un récit aussi fort, que ce soit au niveau des personnages comme au niveau de l'intrigue. Pourtant, le début m'a paru compliqué à aborder, l'auteure prenant vraiment le temps de camper le décor et d'esquisser ses personnages avec brio.

Ce roman met en avant des personnages forts. J'ai beaucoup apprécié le changement temporel que propose l'auteure vers le quart de son récit. Avec des retours en arrière, le passé des personnages prendra forme, et les secrets pourront s'éclaircir.

Ce récit, c'est avant tout une histoire de femmes. J'ai apprécié avoir des personnages féminins forts, qui doivent se battre pour s'émanciper. Les personnages de Ruby et Ivy sont bouleversants, et Wren n'est pas en reste.

La plume de l'auteure est très élégante. J'ai apprécié le style percutant, qui permet de créer un roman d'atmosphère. Les chapitres sont de taille moyenne et le roman est divisé en plusieurs parties, abordant chacune une époque dans le quotidien des personnages.

Un roman très profond, servi par une belle plume. Une histoire bouleversante. À découvrir sans hésiter.
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Même si l'ensemble du pays n'est pas en reste, c'est dans la région des Appalaches que l'on trouvera cette Amérique de la marge que dépeint de nombreux auteurs issus de la dizaine d'Etats qu'englobe cette immense chaîne montagneuse. La plupart de ces romanciers ont la particularité d'emprunter les codes du roman noir afin d'évoquer les ravages de la drogue et de l'alcool qui pèsent sur ces étendues sauvages où la population subit les affres d'une déshérence économique sans fin tandis que les quelques industries lourdes restantes achèvent de polluer les sols et cours d'eau de la région. du côté de la Georgie, on découvrira avec Bull Mountain (Actes Sud 2016) de Brian Panowich, la confrontation entre deux frères, l'un shérif et l'autre trafiquant de drogue, que tout oppose. En Caroline du Sud, c'est Ron Rash qui dresse un portrait social sans fard évoluant dans un environnement somptueux qu'il dépeint à la perfection tout comme David Joy qui nous entraîne dans sa région de la Caroline du Nord avec des récits conjuguant noirceur et verve poétique dans un époustouflant mélange des genres. Il en va de même pour Chris Offutt qui nous invite à découvrir le Kentucky au détour de romans où la tragédie s'inscrit dans le cadre d'une nature indomptée à couper le souffle. Des récits âpres, imprégnés d'une violence sourde qui éclate soudainement en vous empoignant le coeur et les tripes avec, à la clé, ces terribles confrontations entre des hommes rudes que la vie n'a pas épargné. Toujours dans les Appalaches, native de Pennsylvanie, c'est pourtant dans l'état voisin de la Virginie-Occidentale qu'Amy Jo Burns choisit de planter le décor de son premier roman traduit en français, Les Femmes N'ont Pas D'histoire, titre que le récit va démentir, en mettant en scène, sur fond d'alcool de contrebande et de religion, des femmes admirables évoluant dans un environnement brutal où les hommes déchus règnent en maitre au sein de cette région désolée de la Rust Belt.

Du côté de Trap, en Virginie-Occidentale, Wren a entendu beaucoup d'histoires au sujet de son père, Briar Bird, un manipulateur de serpents prêchant la parole de Dieu dans une station-service désaffectée. Elle en sait beaucoup moins sur sa mère Ruby dont l'histoire s'est effacée derrière celle de son mari charismatique. Mais à la suite d'un drame qui touche Ivy, la meilleure amie de Ruby, la jeune fille va découvrir ce qui se cache derrière les légendes de la région et entendre la voix de ces femmes qui se sont tues depuis trop longtemps. Une quête d'émancipation, Wren va mettre ainsi à jour les secrets qui lient Ruby à Ivy et découvrir les dissensions qui opposent Briar Bird à Flynn Sherrod le fabriquant de moonshine, ce whisky de contrebande qu'il distille dans la montagne. Dans cette région reculée des Appalaches, il est difficile de tracer son propre destin, surtout lorsque l'on est une femme qui veut s'affirmer au sein de cette communauté d'hommes déchus.

Les Femmes N'ont Pas D'histoire nous donne l'occasion de découvrir la voix des femmes au sein de ces régions désolées des Appalaches. Ravages de la drogue et de l'alcool, chômage endémique, mines de charbon désaffectées dont les rejets imprègnent les terres et les rivières, Amy Jo Burn dépeint avec une grande justesse les difficultés auxquelles Ruby et Ivy doivent faire face en tentant d'élever leurs enfants tant bien que mal. Au cours de la lecture de ce texte, on saluera l'équilibre qui rejaillit de l'ensemble d'un récit ne cédant jamais à la caricature ou au pamphlet pour laisser place à une intrigue où la beauté sauvage de la région se conjugue avec les aléas de la vie de personnages simples mais extrêmement attachants à l'instar de Flynn Sherrod, ce moonshiner taiseux dont Wren va découvrir l'histoire en lien avec sa famille. Débutant avec le témoignage de cette jeune fille en quête d'émancipation, qui dépeint les contours de sa famille vivant dans une cabane vétuste soigneusement éloignée de la ville, comme si son père voulait entretenir dans cet éloignement l'aura de sa légende qui fascine encore ses fidèles. Pour compléter le tableau, on adoptera le point de vue de Ruby et d'Ivy, de leur serment de jeunesse qui n'aboutira pas et de leurs mariages respectifs qui sonnent le glas du renoncement. Il faudra adopter également le point de vue de Flynn Sherrod qui va achever de lever les contours de la légende de Briar Bird s'estompant peu à peu pour laisser place à un homme profondément attaché à sa femme Ruby qui devient, avec ses serpents, son unique possession que nul autre que lui ne devrait approcher pas même sa fille Wren.

Derrière cette somme de secrets et de non-dits, au-delà de cette volonté d'émancipation pour échapper à cet environnement brutal, Amy Jo Burns décline la rudesse d'une vie simple oscillant entre attachement des lieux et crainte de cette absence d'avenir au gré d'un texte abouti et sensible qui nous permet d'entrevoir la dure réalité de la condition des femmes à l'exemple de ce droit de cuissage qu'avait les cadres des entreprises minières sur les épouses ou les filles des mineurs lorsque ceux-ci ne pouvaient pas travailler suite à un accident, en échange de provisions pour nourrir la famille. le paradoxe réside dans la forte personnalité qu'incarne Ruby qui, malgré les aléas d'une vie ne faisant pas de cadeaux, s'attache à faire en sorte que sa fille Wren devienne autre chose que "la fille du prêcheur et manipulateur de serpents".

Entre trafic d'alcool et profession de foi aux contours inquiétants, on navigue avec Les Femmes N'ont Pas D'histoire dans un monde obscur qu'Ami Jo Burns éclaire avec un texte éclatant de sincérité et de sobriété qui nous entraine dans les méandres d'une belle histoire de femmes.

Amy Jo Burns : Les Femmes N'ont Pas D'histoire (Shiner). Editions Sonatine 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié.

A lire en écoutant : Tennessee Whisky de Chris Stapleton. Album : Traveller. 2015 Mercury Records.
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