Comment un vieux bonhomme peut-il se raconter sa vie ?
L’écrire serait céder à un sale défaut, celui du contentement de l’épaisseur ; les librairies sont déjà pleines de ce gâtisme satisfait. Et puis j’ai toujours détesté tourner les pages ; les mots ainsi épinglés ont un côté linge sec qui me déprime.
Ma vie se raconte seule, elle possède son propre langage, sadique, outrancier ; bah ! la précision est une merde de l’esprit civilisé.
Ma vie à la rigueur j’aurais aimé la peindre, ou mieux, la sculpter dans de grands blocs disséminés aux quatre coins du monde.
Non, je préfère maintenant la marcher, la dire, la greffer sur cette terre grecque qui en a vu bien d’autres. Ma mémoire revient aux courants d’air ; mes interlocuteurs seront indifféremment : arbres, mer, vents ou la maison.
Je rends au monde ce qu’il m’a apporté, je lui rends en pensées ou en paroles son insouciante insémination, les quelques bribes de sa palette qui m’ont taché de joie safrane, de force rousse, de peur violette, de douleur blanche ou mauve. Je restitue dans leurs désordres tous les pistils qui ont court-circuité ma tête.
Quant aux genèses, elles sont un vecteur humain, un mouvement risible de chercheurs de pépites.
Mayacumbra : entretien Alain Cadéo et Philippe de Riemaecker