Elle était partie à l'aube, alors que tout dormait encore dans la maison, en laissant un mot court, incohérent, pour le marquis, et un autre pour la fillette. Elle s'excusait de ce départ... Pour l’expliquer, elle prétendait que quelqu’un, chez elle, était malade et qu'elle devait rentrer immédiatement. Elle regrettait de ne pouvoir revenir par la suite et espérait que l'on trouverait une jeune fille plus capable qu'elle pour la remplacer.
C’était son oncle qui la faisait trembler. Elle l'entendait déjà aboyer rageusement, comme un chien furieux, exigeant des explications. Elle imaginait le ton qu’il prendrait pour l’interroger : soupçonneux, ricanant, coupant net ses réponses pour l’embarrasser, la démonter, traquer ses points faibles.
Elle le haïssait déjà, comme elle haïssait tous les représentants de ce sexe maudit.
Tout en continuant à descendre, elle pensait qu’ils étaient tous ignobles, sans exception. Hypocrites, sournois, faisant montre de sentiments nobles et de mœurs pures révélant leur vraie nature que lorsqu’ils avaient affaire aux femmes dans l’intimité, ou devant les pauvres gouvernantes comme elle, sans protection, qui doivent apprendre de bonne heure ce qu'est la vie, en supportant le mal sans pouvoir le rendre.
Ses affaires d’amour alimentaient largement la chronique des journaux à scandales et autres gazettes libertines des salons! Il avait commis une faute grave en choisissant, cette fois, de devenir l’amant de Clémentine Talmadge, une beauté sur qui tout le monde avait les yeux et qui n’avait pas une réputation usurpée. Il aurait dû penser au risque auquel il s’était exposé d'attirer sur sa tête les foudres de la reine, dont la jeunesse austère et puritaine était facilement choquée.
S'il devait tous ces dons à la nature, il était par contre seul responsable de l'expression de son visage, qui ne laissait pas de lui nuire. C'était celle d'un homme cynique, sans chaleur, qui sait n’avoir besoin de personne et se soucie peu de plaire. Il regardait les gens sans les voir ou, si ses yeux s'attardaient quelques secondes sur eux, c’était pour les rejeter aussitôt dans leur insignifiance avec mépris.