C'est à travers ce quatrième volume d'anthologie de nouvelles steampunk que j'inaugure la collection « Vapeur & Mécanique » des éditions Oneiroi.
C'est sympathique de découvrir dans un format poche 4 nouvelles ayant le même thème « Innovation & jeu de pouvoir » et qui poursuivent un même objectif : faire découvrir le steampunk, ses inventeurs et leurs inventions, ainsi que ceux qui ont voulu se les approprier.
"Le prix du charbon" de
Alexandre Boise
Théodore
Nicéphore Nièpce, petit-fils du célèbre inventeur de la photographie et dont la vie l'a amené à parachever l'un des nombreux projets de son aïeul, le pyréolophore, le premier moteur à combustion interne du monde.
Voilà le personnage qui arpente, vogue et vole à travers ces quelques pages.
Notre cher Niépce est le fruit d'une époque sexiste et xénophobe à l'approche de l'exposition universelle de 1889, son humour et sa répartie allègent le ton sans enlever toute sa véracité, tel l'enrobage sucré d'un bonbon au coeur acidulé (oui ma comparaison n'a rien à voir avec le sujet et alors ?). Et ce Niépce est aussi la petite graine d'une génération d'inventeurs qui se sont donnés corps et âme à leurs recherches et expérimentations, laissant ainsi l'enfant grandir naïvement dans les jupons de sa nurse.
Ses voyages et mésaventures qui l'amènent jusqu'à la capitale et aux hautes instances du pouvoir sont assez rocambolesques. le récit, bien qu'optimiste, dénonce les politiques et les conditions de vie du prolétariat.
L'écriture est fluide, décors et actions trouvent leur équilibre, et les personnages sont bien décrits. le trio éclectique Nicéphore, Emma et Hunka est plutôt bien trouvé, même si celui qui se révèle à nos yeux, qui évolue au cours du récit (les deux autres étant plus des faire-valoir), est bien évidemment notre jeune inventeur en quête de succès.
"Prophétesse" de
Sacha Page
Licinia est une prêtresse de la Déesse Isis qui se confronte à sa perte de foi devant tant d'injustices sociales. Elle qui, pourtant, vient d'un foyer favorisé, puis exerce une fonction religieuse valorisante, elle va peu à peu dégringoler de son statut, jusqu'à occuper un des rangs les moins enviables, celui de “gladiatrice”. Mais si elle se retrouve là, dans les Jeux du Colisée de Rome, ce n'est pas involontaire… Elle a un plan pour imposer sa vision, son idéal social, et ce dernier est aussi louable que son application déviante : Licinia est prête à tout. Ce personnage ambigu semble porté à la fois par un ego démesuré et par un altruisme bienveillant. Arrivera-t-elle à ses fins, et ce, quels que soient les moyens pour y parvenir ?
Un récit que j'ai apprécié principalement par son ambiance, mêlant le côté antique que nous attachons aux Jeux à Rome, et l'aspect plus steampunk avec les automates. Si j'y ai vu quelques répétitions et ai anticipé sa fin, la nouvelle n'en reste pas moins intéressante.
"Zvukofon" de
Matthieu Clerjaud
Dans ce récit, Jakov Katić est un ancien soldat et inventeur. Il revient dans la ville de Sivgrad (référence à Visegrad en Hongrie ou en Bosnie-Herzégovine ?) afin de participer à l'Exposition (référence à celle qui s'est tenue à Vienne en 1873 ?) pour y présenter sa nouvelle création, et ce, sur sollicitation de son ami Dmitri.
Ici, on est dans l'illustration pure d'une invention détournée de son intention initiale. Et je parle d'intention morale, pas technologique. Il ne s'agit pas là de détourner le mécanisme pour en faire autre chose, non, mais de mettre à profit l'invention aux mains d'individus qui prévoient d'autres contextes d'utilisation.
Mais de quoi parle-t-on ? le Zvukofon est un appareil d'enregistrement et de restitution sonores, qui rappelle les travaux du Français Édouard-Léon Scott de Martinville, qui déposa un brevet en 1857 pour son phonautographe, ainsi que celui du très connu Edison, qu'on ne présente plus, avec son phonographe de 1877, ou encore, et je pense que l'invention de Jakov y est tout à fait similaire, le gramophone de l'Allemand Émile Berliner.
Et cet appareil, qui a vocation à bouleverser notre rapport au son, à la musique - qui jusqu'alors devait s'apprécier qu'en concert - aura nombre de fractures sociales, mais ici s'en trouve menacé par de vils desseins. Les représentants du pouvoir s'immiscent dans les inventions et comptent bien se les approprier.
C'est l'une des nouvelles que j'ai le plus appréciée, aussi bien dans le style d'écriture que dans les sujets abordés. J'ai bien une ou deux choses à redire (l'incipit et le final), mais dans l'ensemble elle m'a laissé une plus forte impression que les autres. Cette nouvelle est tout de même l'une des moins optimistes, elle signe un aveu de faiblesse, tout en montrant une forme d'opposition, avec une certaine mélancolie, c'est doux- amer.
"Soleil noir" de
Paul Carto
Dans ce récit, qui est le plus sombre des quatre de l'anthologie, je me suis perdue, je suis restée coincée dans ce conduit de cheminée. Tantôt éblouie, tantôt plongée dans la pénombre, difficile de savoir où j'allais (et si j'avais vraiment une destination), et le récit aussi.
On accompagne ici deux frères bretons, Elouen et Gwenvaël, qui ont l'immense joie et malheur à la fois (dites, je crois bien que l'oxymore se prolonge) d'avoir réussi à générer quelque chose, semblable à une source d'énergie.
Cette invention, remarquable, n'aura de cesse par le sort ou le destin de s'illustrer dans une succession de mésaventures, de tragédies. Les deux frères n'auront donc de cesse d'osciller entre vains espoirs et déceptions…
Oui le thème est bien présent, le pouvoir veut s'emparer à tout prix de l'invention, mais quel parcours…
Comment traduire objectivement ce que j'en pense ? C'est compliqué, car je n'ai pas réussi à me plonger pleinement dans le récit. Et pour deux principales raisons : à cause de son rythme très haché (beaucoup de phrases courtes qui habituellement sont utilisées pour faciliter la lecture, l'immersion, et qui peuvent agrémenter un ton incisif ; ici, j'ai la sensation qu'elles ont aplani l'ensemble). Et souvent par son manque de simplicité, car il y a un florilège de descriptions et de termes techniques qui a alourdi le propos et qui m'a déconnectée de l'émotion.
Peut-être qu'une seconde lecture sera nécessaire pour celle-ci, afin de profiter vraiment de cette histoire tragique.