Rebelles, un peu

Je viens de perdre une dent. Mes parents font les yeux. Les yeux tristes, angoissés. Elle se décalcifie ! Ils regardent mes cheveux; que va-t-il arriver!
La souris va quand même passer. Au matin, je ferai semblant d'y croire pour réjouir maman. Elle dira Ta quenotte et le mot ne me dégoûtera pas. Demain, je rentrerai dans du huit ans. Puis je viserai le six ans, l'âge où j'ai repeint ma chambre en rose et où elle n'a même pas crié. Elle a dit que c'était joli, comme tout ce qui était à moi.

Après tout, je ne vis pas pour que ma présence se remarque mais pour que mon absence se ressente.

Mon père m’a envoyé deux textos en se trompant. « Viens vite, dépêche-toi, j’ai envie de toi. » Puis « Oups, désolé, erreur destinataire ». J’ai failli les montrer à ma mère. Et puis j’ai préféré imaginer la copine de papa, ventre à terre dans les transports en commun, se ruant vers chez nous pendant qu’on n’est pas là. Depuis, les garçons qui veulent coucher avec moi me font trop penser à mon père. Alors je vais chez le psy.

Et au moins, sous l'eau, je ne gênerai plus personne avec mes larmes.

Mais se souvenir, c'est penser, et comme je n'arrête pas de penser, je ne peux pas arrêter de me souvenir.

Et elle sourit, toujours avec ce sourire impuissant qui dit au malheur que la porte est fermée.

Après tout, je ne vis pas pour que ma présence se remarque mais pour que mon absence se ressente.

Si j'avais su que grandir était si vaste, je n'aurais pas attendu d'avoir zéro mois pour naître.
(Page 61)

Moi, j'ai de l'ambition, mais mes parents me donnent vraiment envie de tomber dans la délinquance. Mon seul plaisir en ce moment, c'est de les mettre hors d'eux.

Je n’ai pas envie de grandir. Je ne vois pas pourquoi on me force. Je veux rester au pays des rêves, déguisée en fée, en princesse. Je veux qu’on m’endorme doucement, mains dans les cheveux en me berçant. Je veux qu’on me raconte que les hommes sont des princes aux dons merveilleux, je veux qu’on se réjouisse de ce que je dis, qu’on me fasse couler des bains chauds, qu’on me protège, qu’on me surveille. Je veux qu’on me porte après l’école, qu’on me parle tout doucement et qu’on me tienne par la main.