J'ARRIVE DANS LA NUIT…
J'arrive dans la nuit
comme dans une grande orfèvrerie
abandonnée,
et c'est le feu qui ne brûle plus rien,
seul, d'une haute lignée de flammes
et ses vieilles terrines de cendre
sa noble suie,
un feu tout droit lent et cérémonieux,
qui se passe de ses bûches,
de son Dieu,
un feu plus léger qu'une poignée de tilleul
avec sa braise curieuse,
il éclaire parfois la nuit comme un voleur.
Il est du temps des torches,
du temps des mots qui bougent comme des ombres,
du temps des oiseaux meurtriers et des fourches,
du temps de l'ambre.
Un oiseau le taquine à sa manière,
et ses flammèches sont tantôt plumages ou toisons,
mais jamais aucune main ne le rompt
comme le pain.
Je cherche à te porter…
Je cherche à te porter
plus lourde que la terre,
je cherche à te rêver
plus seule que le lierre.
Je cherche à te manger
plus douce que mon pain,
je cherche à te tisser
plus solide que lin.
Je cherche à te coucher
plus chaude que soleil,
je cherche à te presser
plus ivre que la treille.
Je cherche à te blesser
plus vite que l’averse,
je cherche à t’emporter
plus fauve que paresse.
Je cherche à te bercer
plus ou moins dans le vent,
je cherche à te parler
plus ou moins dans ton chant.
Lièvre de mon amour
le temps va faire relève
de ton pas où je cours
plus vite que mon rêve.
Fragments d'insomnie Extrait2/3
Pour Roland Barthes
Tout est tremblé jusque dans le silence,
la nuit se fâche et mord ;
c'est le sol entre les déchirures,
l'air linon,
l'appétit des serrures,
la rose éteint des rives, l'attirance
d'une main vers son trésor.
Tout est encore caché.
La terre avive ses amoureuses hanches ;
on entend la trompette
au fond des os trempés.
La mer et ses belettes
rongent les joues rougeaudes des veillées.
Tout se mêle et se reprend,
envisage, dévisage ;
j'entend marcher le bonheur
dans sa légende.
Une ville naît et meurt
dans l'orbite et la maigreur ;
on cherche des années qui n'ont jamais servi,
on surprend des oiseaux qui se prennent à la peur,
et la foule unique de la rage
attend son cri.
La terre est nue au-delà de la nuit.
Fragments d'insomnie Extrait3/3
Pour Roland Barthes
J'avance à pas d'herbe,
dans ce hautain remuement des rêves,
dans ce sous-bois orange et noir
où se lève
un vent géant plus faible
que ce faux soir
dans la grande pause du Verbe.
J'avance à pas de pluie
vers la froide remise
où les sept voitures furent surprises,
les roues brisées
et leur cocher séduit.
J'avance à pas de poutre, de plafond,
sans connaître le retour
sur les rives où se défont
les huttes frêles du jour.
J'avance
et le désastre attend
comme un camp retranché.
Un poème a besoin des autres ; il se soumet à leurs habitudes, à leur intransigeance, à leur espérance aussi.
Jean Frémon de quelques rencontres (Paul Otchakovsky-Laurens, Pierre Morhange, Jacques Dupin, etc.) - : où Jean Frémon, -à l'occasion de la parution de son livre " le Miroir magique"-, se souvient notamment de sa rencontre avec Paul Otchakovsky-Laurens et de ses deux mères, de la revue Strophes et de Pierre Morhange, de Bernard Noël et de Jean Cayrol, de Jacques Dupin et d'Aimé Maeght, de Samuel Beckett et de Maurice Blanchot et où il est question d'édition, de poésie et de prose.