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sur 382 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je crois bien que je n'ai jamais lu un roman français paru depuis que je suis adulte d'une telle qualité littéraire.
Le «marqueur de parole», Oiseau de Cham, a écouté, écouté son Informatrice raconter ses histoires de «manière assez difficultueuse», se contredisant, mélangeant créole et français, mots vulgaires et mots précieux. Dans une très belle langue, imagée, inventive, métissée, il met en scène le «sermon» (pas sur la montagne mais devant un rhum vieux) de cette femme-matador, fondatrice de Texaco prête à en découdre avec les céhéresses pour ne pas finir en clapier d'achélème. C'est vivant, c'est chaud, ça charrie plein d'émotions et avec ce très beau personnage nous est contée l'histoire d'un bidonville de Fort-de-France ou plutôt, nous dit l'Urbaniste, d'une «mangrove, une mangrove urbaine». Et comme c'est un roman où ça déborde, comme Marie-Sophie Laborieux porte en elle aussi la mémoire de son père, et par lui celle de sa grand-mère, il y a bien 150 ans d'Histoire de la Martinique qui s'engouffre dans ce livre. J'ai adoré l'épaisseur romanesque, la créativité de cette oeuvre dense, profonde, vivante, où l'intime s'élargit dans le «noutéka», ce nous magique qui «charge un destin d'à-plusieurs».
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Ce roman est une grande épopée de la Martinique, plus de cent cinquante ans de l'histoire, la vie de trois générations, depuis les souffrances des sombres plantations esclavagistes jusqu'au drame contemporain de la conquête des villes. Patrick Chamoiseau décrit les moeurs, la culture martiniquaise de façon savoureuse en faisant référence, souvent, au passé, mais également à la langue créole. Cela en fait un mélange étonnant, original et marquant.


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Texaco a été lauréat du Prix Goncourt 1992 - gros roman de 432 pages qui vous engloutissent dans une lecture passionnante mais touffue, lente, parfois laborieuse (tiens, la narratrice s'appelle Marie-Sophie Laborieux, coïncidence?). Lecture compliquée par le mélange de français littéraire, de vocabulaire oral de la Martinique avec parfois des expressions créoles. Comme j'avais envie de tout comprendre dans ce voyage littéraire j'ai souvent arrêté la lecture pour chercher les mots que je ne comprenais pas. 

Lecture compliquée aussi par l'intervention de plusieurs narrateurs : Marie-Sophie Laborieux, dans ses cahiers transcrit les paroles de son père Esternome, qui, lui-même rappelle les souvenirs des générations précédentes. Intervient aussi un urbaniste rédigeant des rapports...

Texaco est un quartier, bidonville, favela, de Fort-de France installé sur le terrain de la Compagnie Pétrolière Texaco et fondée par Marie-Sophie Laborieux.

Le titre Texaco qui fait du quartier un personnage à part entière, s'intègre dans une focale "architecturale" . Les repères chronologiques mis en avant par l'auteur sont  des modes de construction : "TEMPS DE CARBET ET D'AJOUPAS  "les Indiens Arawaks vivaient dans des huttes, après 1680, au "TEMPS DE PAILLE" les esclaves africains étaient dans des cases couvertes de paille autour des habitations des colons, "TEMPS BOIS-CAISSE" correspond à l'effondrement du système des habitations  tandis que les cases construites en débris de caisses s'élèvent autour des grandes usines à sucre. "TEMPS FIBROCIMENT" correspond à la construction de Texaco et précède le "TEMPS BETON".

Chamoiseau a donc rythmé la saga par l'édification des cases. L'histoire commence au Temps de Paille  du temps de l'esclavage, de 1823 où le grand père - empoisonneur fut mis au cachot tandis que la grand-mère était blanchisseuse. Le  père, Esternome,  naquit dans l'habitation et passa son enfance dans la Grand-case. Ayant sauvé la vie du Béké, il gagna la liberté de savane. La première partie du livre raconte comment Esternome s'est affranchi, comment il a quitté la campagne, est "descendu vers l'En-ville" où il est devenu charpentier sous la conduite du maître charpentier Théodorus.



Un des évènements les plus marquants de l'époque fut en 1848 : l'Abolition de l'Esclavage

"En fait, Sophie ma Marie, moi-même qui l'ai reçue, je sais que Liberté ne se donne pas, ne doit pas se donner. La liberté donnée ne libère pas ton âme"

Esternome tomba amoureux. mais je ne vais pas vous raconter tout le livre....Avec Ninon, il a essayé de se construire un paradis, un jardin au flanc d'un morne...

"Soufrière a pété, Soufrière a pété"

la catastrophe, la destruction de Saint Pierre le 8 mai 1902 l'exode vers Fort de France va marquer une nouvelle époque, Estenome a tout perdu, sa Ninon, son paradis sur le morne, et pourtant un nouveau départ: une nouvelle compagne lui donne une fille Sophie-Marie.

Nous allons suivre les aventures de la petite fille dans Le Quartier des Misérables, la survie en vendant des fritures dans la rue. Orpheline, il ne lui restait plus qu'à faire la bonne avec plus ou moins de bonheur. Intelligente, elle a tiré profit de l'environnement, des musiciens de son premier maître, a appris à coudre chez la suivante, puis à lire et écrire. Son plus grand trésor fut quatre volumes qu'elle emporta :  Montaigne, Rabelais, Alice de Lewis Caroll et les Fables de la Fontaine. Lectrice, mais aussi scribe de l'histoire de son père et de ses ancêtres esclave. C'est elle qui a fondé Texaco, qui en est devenue l'écrivain public, l'animatrice jusqu'à aller trouver Césaire


Au  nom de l'hygiène, de la modernité, Texaco sera-t-il détruit pour caser ses habitants dans des achélèmes?

"L'urbaniste occidental voit dans Texaco une tumeur à l'ordre urbain. Incohérente. Insalubre. Une contestation
active. Une menace. On lui dénie toute valeur architecturale ou sociale. le discours politique est là-dessus négateur. En clair, c'est un problème. Mais raser, c'est renvoyer le problème ailleurs, ou pire : ne pas l'envisager.
Non, il nous faut congédier l'Occident et réapprendre à lire : réapprendre à inventer la ville. L'urbaniste ici-là,
doit se penser créole avant même"

[...]

Texaco. J'y vois des cathédrales de fûts, des arcades de ferrailles, des tuyauteries porteuses de pauvres rêves.
Une non-ville de terre et d'essence. La ville, Fort-de-France, se reproduit et s'étale là de manière inédite. Il nous faut comprendre ce futur noué comme un poème pour nos yeux illettrés. Il nous faut comprendre cette ville créole dont les plantations, nos Habitations, chaque Grand-case de nos mornes, ont rêvé – je veux dire engendré.

C'est un beau roman, c'est aussi une histoire vraie. 

Un Goncourt largement mérité et qu'on ne risque pas d'oublier, 30 ans après le prix. 
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Texaco un roman social et engagé qui aborde la grande Histoire de France par la vision individuelle et personnelle de personnages martiniquais, depuis l'esclavage puis pendant la colonisation et enfin au cours de l'urbanisation accélérée des années 1980. Patrick Chamoiseau réécrit l'Histoire à partir des points de vue que justement les manuels d'histoire ont oublié. Il place d'emblée son roman dans une énonciation biblique en reprenant dans son ossature des termes propres à la transmission orale et écrite d'une parole sacrée. Il s'inscrit lui-même dans sa propre fiction à travers le personnage du Marqueur de paroles, Oiseau de Cham.

Nous pouvons y voir une forme de littérature-document sur l'esclavage et sur son abolition, entre idéal et déception ; les deux guerres mondiales et la question de l'assimilation sont l'occasion de montrer l'ambiguïté des rapports avec la lointaine France… le traitement des évènements historiques met en lumière une forme d'exclusion ; Esternome et Marie-Sophie sont pris dans la tourmente de l'Histoire mais n'y trouvent pas leur place. Patrick Chamoiseau révèle « dessous l'Histoire, des histoires dont aucun livre ne parle » : il nous familiarise avec les Mentô, hommes de forces, passeurs de mémoires et avec les Mornes, terres secrètes où les békés ne se sont pas aventurés. L'approche biographique entraine la confrontation de l'espace clos et intime du foyer familial avec l'espace public ouvert sur l'histoire nationale et locale ; Patrick Chamoiseau nous livre dans Texaco une véritable galerie de relations amoureuses ordonnées en parallèle des évènements historiques ; les amours de Marie-Sophie Laborieux et celles de son père avant elle relèvent d'une forme d'archivage incluant des récits seconds dans un récit premier.

Dans la biographie fictionnelle de Marie-Sophie Laborieux, nous retrouvons des sources d'inspiration puisées dans l'enfance créole et urbaine de Patrick Chamoiseau. Marie-Sophie rejoint Man Ninotte, la mère de l'auteur dans ses luttes quotidiennes contre la déveine et l'ensemble des « Man » martiniquaises. En cherchant plus avant, on trouve des ressemblances avec le père de Patrick Chamoiseau chez Basile (même prénom, allure et soin de sa personne) et Monsieur Gros-Joseph (goût de la lecture transmis à ses enfants). À côté de la vie d'Esternome et de Marie-Sophie, le roman donne une place à une mosaïque d'histoires individuelles et familiales.

Texaco se lit aussi comme une épopée moderne, une épopée de la ville créole, ancrée dans les réalités politiques et sociales de la Martinique, en d'autres termes, une réactualisation de l'épique à la lumière de la réalité antillaise. Patrick Chamoiseau a recours au chant, au « Noutéka des Mornes » pour raconter, « divulguer » « l'Odyssée voilée » de ceux qui, comme Esternome et Ninon, ont pris les Mornes. Marie-Sophie aura plus tard le désir de reprendre ce chant à son compte comme une « pauvre épopée, levée complice d'une amertume ». Patrick Chamoiseau apparaît comme un héritier des chants perdus de toutes les mythologies, orientales, amérindiennes, nordiques et gréco latines. Il développe l'idée forte de donner un texte fondateur à un espace et à un peuple à travers un quartier et ses habitants. Il reprend le thème de la cécité de l'aède homérique ; Idoménée ne veut pas raconter comment elle a perdu la vue puis la retrouve miraculeusement grâce aux larmes de joie versées pendant sa grossesse. A la fin de sa vie, Marie-Sophie aussi perd peu à peu la vue et se réfugie dans la mémoire. Dans le roman, la cécité devient le regard de l'intériorité et de la sagesse.
Une épopée a des héros et est généralement un récit de hauts faits ou d'exploits guerriers. Dans Texaco, la tonalité guerrière est donnée par le champ lexical de la conquête et de la guerre utilisé dès les premières lignes du roman qui annoncent les « élans pour conquérir l'En-ville » et « la création guerrière » du quartier » (p. 13). Marie-Sophie se présente d'emblée comme « ancêtre fondatrice » de Texaco (p. 38). L'Urbaniste la voit comme « la Dame » ou « la grande dame » (p. 436, p. 471). Elle est décrite comme une « vieille femme câpresse, très grande, très maigre, avec un visage grave, solennel et des yeux immobiles » (p. 493), « une câpresse de haute lutte, impériale, dont les rides rayonnaient de puissance » (p. 495). C'est surtout une femme-matador, au « dos droit, [au] regard ferme, [à la] voix claire, [au] geste tranchant » (p. 468). Aux Antilles, une femme-matador est souvent une demi-mondaine, coquette, provocante et surtout indépendante. Ici, il faut plutôt s'attacher à un sens de femme d'action virilisée à la forte personnalité, dominatrice et effrontée. Etymologiquement, cette appellation contient le verbe espagnol matar qui signifie « tuer » et peut convenir à toute femme de caractère qui transgresse les conventions. Marie-Sophie reçoit un enseignement, est formée en quelque sorte par un maître, le Mentô Papa Totone ce qui lui permet de comprendre les équilibres du quartier. Mieux qu'un titre glorieux, elle se donne un nom secret d'où elle tire sa force. le roman livrera d'ailleurs des récits de combat contre les céhèresses digne des batailles homériques ; au cours de l'expulsion policière de novembre 1950 (p. 391-393) par exemple, nous assistons à des « assauts », des « sacrilèges », des retraites ; le quartier devient un champ de bataille remplis de cris et de fureur dominés par les armes et les équipements des forces de police.
Le thème du voyage et de l'errance est également développé dans Texaco avec les nombreux changements de lieux de vie d'Esternome et de Marie-Sophie Laborieux avant que cette dernière ne devienne peu à peu la guerrière de Texaco qui luttera contre l'En-ville.

Texaco présente également des trais communs à l'univers picaresque et au roman d'apprentissage. le lecteur suit Marie-Sophie, de sa petite enfance à sa vieillesse et la voit se confronter aux évènements historiques, aux difficultés et aux obstacles d'un environnement hostile jusqu'à acquérir expérience, sagesse et droit d'exister, d'avoir une place reconnue. Nous retrouvons la pratique du récit enchâssé qui nous permet de découvrir les destins croisés d'un grand nombre de personnages secondaires comme par exemple Annette Bonamitan dite Sonore (p. 25-31) ou encore Péloponèse, la mariée douloureuse (p. 358-366). le roman de Patrick Chamoiseau porte également la volonté didactique de faire prendre conscience au lecteur de la réalité particulière de la Martinique, de sa spécificité dans l'Histoire de la France.

Patrick Chamoiseau cite, convoque et mêle à l'intrique un grand nombre de personnages historiques du XVIIème siècle à nos jours entre hommage implicite, dénonciation déguisée et prise de liberté avec les réalités historiques : il faut retenir ici les passages consacrés au Général de Gaule et à Aimé Césaire, particulièrement savoureux.

J'ai personnellement lu et relu ce roman ; je ne m'en lasse pas, chaque lecture est une nouvelle découverte de la langue créole, de la poésie distillée à chaque page, des intertextes, des failles historiques…
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Symphonie de 150 ans de Martinique dans le récit de la fondatrice de l'ex-bidonville Texaco

Publié en 1992, "Texaco", le troisième roman de Patrick Chamoiseau après les remarqués "Chronique des sept misères" et "Solibo magnifique", lui offrit la consécration du prix Goncourt, et la reconnaissance de sa voie particulière, tant romanesque que théorique, qui, se dégageant progressivement de l'affirmation désormais traditionnelle de la négritude chère à Césaire et à Senghor, débouche sur une conception moderne de la créolité, insérée dans un champ de tradition et d'intelligence historique.

"Texaco" est un quartier de Fort-de-France, sauvage bidonville initial, qui aura finalement émergé en tant que véritable "quartier", réalisant peut-être davantage que n'importe où ailleurs ce "pont" indispensable entre le confort matériel assorti du désastre psycho-social, représenté par la ville moderne, et le dénuement physique assorti d'incroyables formes de solidarité, issues des traditions populaires de la campagne créole.

Patrick Chamoiseau a réussi avec ce livre un impressionnant tour de force, nous proposant une lecture originale de la mémoire de Marie-Sophie Laborieux, désormais âgée, qui fut la fondatrice informelle de "Texaco", et qui porte en elle les récits de ses parents et grand-parents, remontant jusqu'en 1848 et à Victor Schoelcher... Une brillante manière de proposer au décodage 150 ans d'histoire de la Martinique, de l'esclavage à la difficile émancipation de l'après-Seconde guerre mondiale, dans une langue exigeante, aussi fortement imagée qu'extraordinairement précise, ne devant rien au folklore mais tout à l'oralité authentique des récits et des échanges quotidiens de la société martiniquaise.

Rythmée par les incises du Marqueur de Paroles (le romancier lui-même) et de l'Urbaniste (l'architecte chargé de décider du sort de "Texaco"), construite subtilement de voix rapportées et de voix directes orchestrées en une symphonie biblique comportant son Annonciation, son Sermon ("pas sur la Montagne, mais devant un rhum vieux") et sa Résurrection, cette fresque intime et planétaire à la fois constitue certainement l'un des plus grands romans français contemporains.

"Je compris soudain que Texaco n'était pas ce que les Occidentaux appellent un bidonville, mais une mangrove, une mangrove urbaine. La mangrove semble de prime abord hostile aux existences. Il est difficile d'admettre que, dans ses angoisses de racines, d'ombres moussues, d'eaux voilées, la mangrove puisse être un tel berceau de vie pour les crabes, les poissons, les langoustes, l'écosystème marin. Elle ne semble appartenir ni à la terre, ni à la mer un peu comme Texaco n'est ni de la ville ni de la campagne. Pourtant, la ville se renforce en puisant dans la mangrove urbaine de Texaco, comme dans celle des autres quartiers, exactement comme la mer se repeuple par cette langue vitale qui la relie aux chimies des mangroves. Les mangroves ont besoin de la caresse régulière des vagues ; Texaco a besoin pour son plein essor et sa fonction de renaissance, que la ville le caresse, c'est à dire : le considère." (Note de l'urbaniste au Marqueur de paroles)

"Dans ce que je te dis là, il y a le presque-vrai, et le parfois-vrai, et le vrai à moitié. Dire une vie c'est ça, natter tout ça comme on tresse les courbes du bois-côtelettes pour lever une case. Et le vrai-vrai naît de cette tresse." (Cahier de Marie-Sophie Laborieux)

"En cet antan, avec le petit ventre rond des porteurs de gros foie, Esternome mon papa devint maigre comme une morue salée. le tafia lui rosissait la lèvre, lui rouillait l'estomac et les bords de cervelle. C'est d'ailleurs ce qui dut lui épargner la syphilis car, hi hi hi fout', les petites bêtes précipitées dans son piston devaient se prendre de feu sur l'alcool de son sang. Pratiquant de moins en moins de djobs, il se fit contrebandier d'une guildive détaxée qui stupéfiait les cabarets, il se fit pilleur de tombeaux caraïbes pour des pierres très bizarres à trois pointes et trois forces que les abbés sollicitaient. Il tenta de s'ériger maquereau d'une négritte récemment libérée, qui le renvoya au ventre de sa manman quand elle eut compris comment marchait la vie. Puis, il se fit plus humainement pleureur professionnel quand un bon-mauvais-matin Osélia embarqua sur un vapeur des Amériques avec le blanc à yeux d'eau pâle qu'elle s'était ramassé. L'amoureuse vida la case autour de son sommeil et prit l'envol après lui avoir charbonné sur la porte un "Pa moli" (Tiens bon) que seule devait effacer la nuée ardente qui une-deux temps plus tard allait griller l'En-ville. le pire c'est que dessous le voeu de cet adieu méchant la négresse vagabonde n'avait même pas signé."

"Alors commença le phénomène-béton. Il n'y a pas de date précise. le fibrociment progressait à grands pas, mais le ciment-vrai devenait accessible. L'on vit assez tôt quelques bas de murailles se cimenter, quelques briques s'empiler. Les policiers, obnubilés par le bois-caisse et le fibro s'y acharnaient à peine. Mais les cyclones comme Edith, Dorothy, ou le sinistre Beulah, qui dévastèrent nos cases mieux que toutes les polices, amplifièrent le désir de béton. Les vents emportaient les tôles à MIquelon, déclouaient les bois-caisses, dissipaient le fibro dans les cheveux des anges. Au coeur de ce désastre, les murs bétonnés subsistaient comme des phares qui nous frappèrent l'esprit. Et puis, le béton c'était l'En-ville par excellence, le signe définitif d'une progression dans l'existence. Nous nous mîmes, au gré des djobs et des monnaies, à nous acheter des briques, des sacs de ciment, de la rocaille. Les maçons devinrent des princes au coeur de nos coups-de-main. On ajoutait d'abord le ciment-brique-béton par-derrière la case pour ne pas alerter le béké des pétroles, puis on glissait pour en couvrir les flancs. On élevait des murs à l'intérieur des cloisons de bois ou de fibro, et un jour, tout à coup, comme un serpent qui mue, telle case secouait sa pelure de misère et se retrouvait en béton triomphant. Ces éclatantes réussites nous pétrissaient de fierté ; chacun voulait en faire autant."
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Texaco est un quartier populaire de Fort-de-France. Bidonville pour les uns, lieu de richesse pour les autres. Texaco narre l'histoire de ce quartier en l'insérant dans l'histoire d'une île, la Martinique, marquée par l'esclavage et la culture de la canne. le narrateur, un urbaniste, rencontre la fondatrice du quartier de Texaco qui lui raconte son histoire familiale, prétexte à une histoire insulaire. Depuis l'abolition de l'esclavage, Chamoiseau raconte la naissance de l'industrie sucrière, puis le désastre de la montagne Pelée en 1902, et donc l'exil qui condamne Saint-Pierre au profit de Fort-de-France. Ville militaire, Fort-de-France n'était pas faite pour accueillir les masses de Martiniquais qui quittent les campagnes. le récit devient alors une longue suite de débrouilles, de petites affaires, d'espoirs aussi quand Aimé Césaire devient maire de la ville en 1946. Texaco est fondé près de la concession de l'entreprise pétrolière du même nom et, après les efforts de l'entreprise pour mettre fin à cette zone de vie, la municipalité envoie le narrateur, urbaniste rappelons-le, signe que le quartier survivra.
Evidemment, le roman vaut pour son histoire incroyable qui retrace 150 ans de la vie martiniquaise. Chamoiseau décrit à merveille une société très cosmopolite, diverse et complexe aussi parfois : s'y mêlent des Noirs, des Blancs venus d'Europe, des békés, des Syriens et Libanais, des koolis (descendants d'Indiens et de Chinois). Il vaut aussi pour sa langue d'une richesse incomparable dans la littérature contemporaine française, mélange de français d'un niveau remarquable et de créole qui enrichit considérablement la langue de Molière. L'utilisation du créole est aussi un marqueur d'identité pour un peuple toujours en quête de la sienne.
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Avec Texaco, la mémoire orale devient mémoire écrite et témoignage. Magnifique.
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Voilà, un roman total !
Avec du politique, du sociologique, de l'anthropologique, du psychologique, des histoires d'amour entre humains et entre un territoire et tout cela baignant dans une langue bien particulière.
Chamoiseau jongle et insère tout ça sans que rien ne soit à jeter, on pourrait citer tout le livre, tellement ça pisse bien et fort tout le temps.
Je ne sais pas si on peut dire qu'après cette lecture qu'on connais un peu la Martinique, les Antilles, en tout cas on a un éclairage peu commun. Et c'est bien. C'est édifiant. Un édifice de guingois, de lutte, foutraque, mêle-tout, entre-tout à l'image de ce quartier : Texaco.
Pour la 5e étoile entière, j'attends encore quelques dizaine d'années, voir si ce magistral travail crève le mur du temps.
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En lisant Texaco, j'ai parfois eu l'impression de lire une oeuvre de fantasy ! Sans doute parce que la Martinique de Chamoiseau est magique, à la manière d'un Gabriel Garcia Marquez, exubérante, pleine de défauts et de qualités, traînant son Histoire comme un boulet. L'île rêvée enchante grâce à une langue inventive, drôle, violente. On suit les destinées sans cesse bouleversées par les événements extérieurs et intérieurs. Un grand roman de la caraïbe !
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La diversité de la population martiniquaise, la langue incontournable du créole venue se tisser avec l'arrivée des indiens avec une multitude de mots. Pourtant pour revenir au créole les indiens de la Martinique n'a pas le même rapport complexe codifié à leur langue que celle des habitants issus de l'esclavage. Toutefois cette dynamique de la langue créole se traduit par une reconfiguration de la société, la théorie postulant la déracialisation et la disparition des frontières ethniques des martiniquais. Entre ses deux pôles on peut accentuer une réflexion sur la Diversité dans le monde créole, et les nombreuses épopées de la Martinique racontées à l'auteur par Marie-Sophie Laborieux. Patrick Chamoiseau: Oiseau de Cham dépeint de véritables fresques historiques et politiques avec des visages certes parfois singuliers mais réalistes que ce soit dans leur foi religieuse ou leurs actes civils. Ils portent tous un nom signifiant chaque représentation individuelle ayant opéré dans la construction d'un peuple porté par l'espoir d'un changement radical tout en revendiquant sa négritude dans l'éclatement de l'identité créole.
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