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Darryl Sterk (Traducteur)
EAN : 9781609457983
384 pages
Europa Editions (25/10/2022)
3.75/5   60 notes
Résumé :
Benjamin d’une fratrie de sept enfants, Tienwong a dû quitter son village natal, Yongjing, parce que son homosexualité était une honte pour les siens. Exilé en Allemagne, sa rencontre avec un homme violent, qui devient son amant, le conduit en prison plusieurs années.
À sa sortie, il décide de revoir sa famille et d’élucider un mystère qui plane depuis son enfance. Il arrive en pleine fête des Fantômes, lorsque les vivants accueillent et célèbrent les morts. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (41) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà un livre taïwanais délicieusement pittoresque, sensoriel et dont la beauté, tragique et exotique, vous hante longtemps une fois le livre refermé.

Je ne connais pas grand-chose à la littérature taïwanaise mais le peu de livres lus m'a à chaque fois enchantée, voire perturbée. L'an dernier j'avais été totalement conquise par les deux livres « Perle » et « Membrane » de Ta-Wei Chi dans lesquels les thèmes de l'identité et du genre, de l'homosexualité, de l'incomplétude des êtres étaient traités avec une grande originalité. Force est de constater que, malgré le style littéraire très différent qui séparent les deux auteurs, la SF et le fantastique pour l'un, le récit de famille de facture assez classique, pour l'autre, ce sont les même références culturelles, les mêmes préoccupations qui peuplent l'imaginaire des deux auteurs. A croire que ce sujet est un sujet central chez les jeunes taïwanais d‘aujourd'hui. Mais j'ai retrouvé également la poésie et la délicatesse même dans les descriptions les plus triviales, ainsi que le témoignage de l'histoire mouvementé de cette île, éléments qui m'avaient émerveillée dans le plus daté « Récit de lune » de Song Fen Guo. Bref, il me semble que la littérature taïwanaise regorge de pépites qu'il me tarde de mieux découvrir, et c'est pourquoi, en cette rentrée littéraire, je suis ravie d'avoir jeté mon dévolu sur ce sensoriel Ghost Town.

Comme l'indique ce titre en anglais, de fantômes il est bien question dans ce livre.
Que ce soit les revenants ou les fantômes qui peuplent les mille et une histoires et les incroyables superstitions des taïwanais des campagnes tout d'abord. Il y a des fantômes pour chaque endroit, dans l'eau, en bordure des champs, dans les forêts de bambous. Les adultes s'en servent pour effrayer les enfants turbulents et les rendre plus obéissants : s'ils ne sont pas sages, un fantôme se montrera pour venir les punir. Mais les fantômes, ne serait-ce pas aussi ces femmes, bien vivantes mais déjà plus vraiment là, à la vie dénuée de sens, aux paroles qui ne valent rien, paroles en l'air, qui deviennent peu à peu invisibles tels des fantômes ? Ou encore le héros de ce livre Tienwong qui, après avoir fait des années de prison à Berlin, ayant tué son amant, revient dans le village de son enfance où il se sent désormais totalement étranger, pouvant seulement errer de souvenirs en souvenirs. Fantômes enfin ces laissés pour compte de la société taïwanaise, à commencer par les homosexuels victimes de l'homophobie mais aussi toutes les victimes de discriminations quelles qu'elles soient qui font de ces gens des fantômes dans leur propre pays.

L'aspect fantomatique touche même cette petite ville de Yongjing, qui est devenu en quelque sorte, une ville fantôme, comme en témoignent les maisons abandonnées, les magasins franchisés sans âme qui ont supplanté le marché traditionnel, la piscine désaffectée avec ses bassins à secs, « le souvenir de l'eau bleu azur de ses jeunes années se cognant aux ruines moisies que j'avais sous les yeux » comme l'explique Kévin Chen lui-même dans la postface de son livre.

Enfin omniprésence des fantômes car dès les premières pages, au retour de Tienwong dans son village, l'action se déroule en pleine fête des Fantômes, l'une des fêtes traditionnelles les plus importantes de Taïwan. Les Taïwanais croient que pendant cette période, les esprits des ancêtres errent dans le monde des vivants. Pour les apaiser, les gens préparent des offrandes de nourriture et brûlent du papier mâché en l'honneur de leurs ancêtres, parmi bien d'autres traditions. le mois des fantômes est considéré comme la période la plus effrayante de l'année. Pendant cette période, les portes de l'enfer s'ouvrent, permettant aux fantômes d'errer librement et de se faire plaisir pendant un mois. Et de faire tout ce qu'ils ne peuvent pas faire le reste de l'année : des blagues aux vivants, aller voir une ancienne amoureuse, prendre les transports en communs… Il convient donc d'être prudent afin d'éviter toute rencontre avec ces esprits. Pendant le mois des fantômes, les malheurs tels que les problèmes de santé, les pertes matérielles et la malchance familiale ont tendance à se multiplier. Par conséquent, les gens font très attention et restent vigilants tout au long de ce mois singulier.

Le retour de Tienwong précisément durant cette fête durant laquelle les portes de l'enfer sont ouvertes rend le récit poreux. Il n'y a plus vraiment de frontières entre le rêve et la réalité, entre les fantômes morts qui s'adressent aux vivants dont la vie est peut-être encore plus fantomatique que celle des anciens, entre les souvenirs passés et la réalité. Tout est entrelacé dans une confusion éthérée qui apporte beaucoup de beauté au texte.

Quelques mots sur l'histoire déjà entrevue précédemment.
Benjamin D une fratrie de sept enfants, cinq filles puis deux garçons, Tienwong a dû quitter son village natal, Yongjing, parce que son homosexualité était une honte pour les siens. Exilé en Allemagne, sa rencontre avec un homme qui devient son amant, un homme doux en apparence, un violoncelliste délicat mais qui va s'avérer très violent, le conduit en prison plusieurs années.
À sa sortie, il décide de revoir sa famille et d'élucider un mystère qui plane depuis son enfance. Il arrive en pleine fête des Fantômes, lorsque les vivants accueillent et célèbrent les morts. Tienwong lui-même se sent comme un spectre errant dans un lieu qu'il reconnaît à peine, les rues, les champs, les commerces, même les paysages de son enfance semblent autres. A la place, il découvre un village paupérisé et enlaidi par le béton. Seule demeure la Maison Blanche qui domine l'endroit, avec ses colonnes grecques, ses balustrades dorées sculptés, étalage aux yeux de tous de la richesse de la famille qui l'a faite construire, et la maison où vivait sa famille dans ce lotissement sans charme qui a mal vieilli. Sa soeur ainée vit désormais dans la Maison Blanche, prison dorée dans laquelle sa présence fantomatique semble hanter les lieux.


Ce livre regorge de procédés rendant la lecture complètement addictive tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, j'ai beaucoup apprécié la structure en courts chapitres donnant envie, à la fin de chaque chapitre, de prendre juste cinq minutes pour en lire encore un autre, puis encore un petit dernier. Ce d'autant plus que dans chacun des chapitres, c'est chaque fois un protagoniste différent qui prend la parole, y compris parfois le père ou la mère de Tienwong, décédés. Les fantômes ont ainsi voix au chapitre et donne leur vision de fantômes, dénoués désormais de sensations donc plus objectifs. Chaque personne, vivante ou morte, apporte son aplat de couleur vive sur ce tableau de la Taïwan profonde, et surtout révèle toutes, à leur manière, les failles familiales : la famille Chen comprend de larges zones d'ombre, chaque couple de la fratrie y est particulièrement dysfonctionnel et malheureux.
Sur le fond ensuite, chaque chapitre comprend un élément pittoresque propre à la culture taïwanaise qui est souvent un pur délice sensoriel. Odeurs, sons, couleurs, tous nos sens sont convoqués, excités, et participent à la découverte de cette contrée lointaine dans laquelle les effluves de l'usine de soja enveloppent tout un quartier, les bruits des pluies diluviennes apaisent, une soupe de caramboles brûlante ressemble à un lac de montage sous ses écharpes de nuages, les couleurs vives des chrysanthèmes, les cris des cochons à abattre, les fleurs rouge sang des flamboyants, donnent parfois envie de plus d'inconsistance à ceux qui se débattent en ces terres.

« Cet été, le temps dans le centre de l'île était étouffant, la chaussée devenait un four l'après-midi, sans avoir besoin d'allumer le gaz on aurait pu y faire sauter du riz aux oeufs ou mijoter une soupe. Après tant d'années passées au loin, tout correspondait à ses souvenirs. Une chaleur ! Une température si élevée au milieu du jour qu'elle fait ralentir le temps ; les arbres en plein midi que le vent agite à peine ; si on écoute en retenant son souffle, on pourrait entendre un léger ronflement, signe que la terre s'assoupit. Cette sonorité intense qui survient quand le sommeil est le plus profond ; jusqu'aux prochaines pluies, la terre n'aura pas envie de se réveiller. Il avait connu ce genre de temps dans son enfance, il était capable de sombrer dans un lourd sommeil d'où rien – chant du coq, crissement des cigales, grognement des gorets ou bêlement des moutons, sifflement des serpents – n'aurait pu le tirer. Adulte, il avait perdu le sommeil. En prison c'était bien ce qui manquait le moins, le silence, on n'entendait pas la pluie, le bruit du vent ni la chute des feuilles. Il avait dit au médecin de la prison : « Comment dormir dans un tel calme ». Il lui avait demandé des somnifères. Il avait eu envie de lui demander, sans oser le faire, s'il existait un médicament qui lui permettrait d'entendre le bruit de la pluie ? Chez lui, la pluie battante tambourinait clair sur les toits de tôle, un son aussi puissant que celui du tambour et des cymbales, rien qu'à l'entendre il aurait à coup sûr retrouvé le sommeil ».

Autre élément marquant de ce livre, l'écriture. Elle est surprenante, aérienne et rebondissante. Après un élément pittoresque développé pour notre plus grand plaisir, il n'est pas rare qu'un chapitre se termine par une phrase choc, l'air de rien, à laquelle nous ne nous attendions pas, nous laissant songeur et parfois bouche bée.
Enfin, l'aspect culturel, tant historique que sociétal, imprègne ce roman permettant de mieux appréhender la société taïwanaise. Cela est d'autant plus vrai que la postface du livre nous permet de comprendre que Kévin Chen s'est inspirée de sa propre vie pour écrire son roman, fantôme lui-même désormais dans la ville de son enfance. Tienwong c'est lui.

Ghost Town est un superbe livre multi-facettes. Ponctué d'histoires pittoresques sur la vie dans la Taïwan profonde, il est aussi un témoignage poignant sur les difficultés à trouver son chemin de vie dans la société, notamment dans son couple, et sur les discriminations que subissent les homosexuels. L'incomplétude des êtres est souvent telle que nous devenons fantômes avant même d'être morts, les « vrais » fantômes ayant souvent plus de recul et de sagesse pour comprendre la vie. Troublant, sensoriel, exotique, bien écrit, c'est un livre fort en cette rentrée 2023 que je vous recommande chaudement !


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Tout récemment libéré d'une prison berlinoise, Tienwong Chen est de retour à Yongjing, son village natal. En son absence, l'endroit s'est transformé et il ne reconnaît plus les rues, les commerces, les champs, les paysages de son enfance. Seules sont restées inchangées la Maison Blanche qui domine le village et la maison où vivait sa famille et où loge désormais sa soeur aînée. Tienwong, qui avait quitté Taïwan car son homosexualité était un déshonneur pour les siens, retrouve cette famille qui l'a renié, les vivants comme les morts. Car son arrivée coïncide avec la fête des fantômes, ce moment où l'on fait des offrandes à ceux qui ont quitté la vie terrestre mais reçoivent encore hommages et offrandes de ceux qui restent. A mesure que le jeune homme se réapproprie les lieux, les souvenirs affluent et les secrets les mieux gardés se dévoilent.

Avec ce roman aussi puissant qu'envoûtant, Kevin Chen réinvente la saga familiale.
Ils sont sept, cinq filles et deux garçons. Pour la mère, ‘'la Cigale'', ces cinq premières nées sont une véritable malédiction et elle a élevé ses aînées à la dure. Une femme incapable de donner un fils a son mari ne mérite ni considération, ni respect. Les filles ne servent à rien, elles sont vouées à quitter la famille pour se marier. Heureusement, un fils est arrivé, qu'elle a choyé et gâté, sa fierté, sa vie. Tienwong, lui, est né ‘'au cas où''…Grossière erreur puisque ses ‘'manières féminines'' ont fait de lui un paria, un fils sans valeur, détesté et chassé.
Ceux qui ont survécu à leur enfance se retrouvent réunis pour célébrer les morts, chacun portant en lui de terribles souffrances. Aimants mais pudiques, ils taisent leurs sentiments, cachent leurs blessures, essaient désespérément de garder la face. Mais que de sang, de larmes, de chagrins enfouis, de mauvaises actions, de haine, de secrets, de folie…
Petit à petit, le lecteur découvre le passé des personnages, traque les indices qui dévoilent des destins liés, des vies dirigées par les traditions, les interdits, les superstitions et l'Histoire d'un pays qui a connu son lot de malheurs.
Une histoire cruelle et sensuelle et un voyage à Taïwan, que demander de plus ?

Merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour cette belle découverte.
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Montez dans le wagon du train fantôme et vivez l'aventure de Ghost Town. Plongez aux côtés de cette fratrie de 7 enfants tous plus cabossés les uns que les autres pour découvrir de l'intérieur le vaste monde de cette famille traditionnelle de Yongjing, bourgade hors du temps que la modernité n'a pas encore trop étreinte. Goûtez aux aiguillettes de poulet, sous la pluie de mots des grandes soeurs toutes préoccupées par leur triste sort, jalousant sans le dire le petit frère qui, lui, a osé quitter l'île.

Mais n'oubliez pas : ce soir, c'est la fête des Fantômes et ils risquent de faire surgir les souvenirs les plus enfouis, les maux qu'on ne voulait pas voir, les marques sur les corps, les mensonges des manipulateurs, l'amour caché sous la violence. Allumez vos papiers à brûler, faites des offrandes, écoutez la forêt de bambou et lisez sur les rides des visages. Vous expérimenterez alors le dépaysement total que ce coin de pays offre aux étrangers et la force des racines et des traditions qui constituent ses natifs.

Passez la porte de la Maison Blanche, observez l'ivresse de l'hippopotame, plongez dans les lignes controversées, surprenez les sexes tendus, pleurez avec la pluie, traquez le serpent, observez le sang qui coule, écoutez les soupirs, cachez-vous dans la cave... C'est ainsi que vous appartiendrez à Ghost Town et qu'elle ne vous laissera pas sortir de cette aventure indemne.

Ghost Town m'a conquise tout en m'horrifiant et je garderai longtemps les stigmates de cette lecture décapante et passionnante !
Oui, ce texte est violent. L'humanité y livre ses travers, ses incompréhensions, ses soifs de pouvoir, ses préjugés et ses haines.
Oui, la plume de Kevin Chen est brillante, livrant petit à petit les clés de compréhension sans jamais nous perdre ou nous ennuyer. Elle scelle les liens entre le monde des vivants et le monde des fantômes, entre modernité et traditions effaçant leurs frontières et leurs a priori.
Oui, ce roman m'a bouleversée et j'en ressors séduite.
Je laisse taire les mots pour que l'esprit de l'île m'envahisse encore un peu, beaucoup, passionnément.

"Wasted feelings
Broken meanings
Time is fleeting
See what it brings
Hellos, goodbyes, a thousand midnights
Lost in sleepless lullabies
Heaven's dreaming
Thoughtless thoughts, my friends
We know we'll be ghosts again"
Ghosts again - Depeche Mode

Merci à Babelio et aux Editions du Seuil de m'avoir permis de découvrir ce roman grâce à une Masse Critique privilégiée.
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Auteurs de plusieurs livres, lauréat du Grand Prix de la littérature taïwanaise, Kevin Chen est pour la première fois traduit en France grâce à ce roman, Ghost Town, publié en langue originale en 2019.

Le roman est centré sur une petite ville de Taïwan, Yongjing, et une famille, les Chen. le personnage principal est le plus jeune d'une fratrie de sept, Chen Tienhong, appelé familièrement « le petit frère ». Mais nous suivrons tour à tour, plus ou moins longuement, tous les autres membres de la famille : les quatre soeurs aînées, le frère premier né, les parents, les grand-parents… Tout le monde a son importance dans la trame narrative, mort ou vivant. Car le roman commence au moment de la fête des Fantômes, ou les vivants parlent aux morts, ou tout au moins qu'ils essaient, dans l'espoir de retrouver les fils de leur propre destin. Chen Tienhong, qui avait pris la décision de vivre à Berlin, revient à ce moment là, sortant de prison, où il se trouvait suite au meurtre de son conjoint. Nous découvrirons progressivement ce qui l'a amené à ce meurtre, mais nous allons surtout, pas à pas, personnage après personnage, découvrir l'histoire familiale des Chen, dans laquelle les non-dits dissimulent des secrets lourds à porter pour chacun des membres de la famille.

C'est un roman long et ambitieux, dont j'ai trouvé la construction très réussie. Il faut un petit effort au début pour repérer qui parle, quelle voix se fait entendre à tel ou tel moment. La liste des principaux personnages, proposée au début du livre, s'avère bien utile. Mais une fois le principe des voix alternées intégré, la lecture devient fluide. Chaque chapitre distille, l'air de rien, un morceau de la trame narrative, mais a aussi de l'intérêt en soi. La plupart de ces destins sont vraiment prenants, même si très tristes. J'ai été particulièrement intéressée par l'aperçu de la culture taïwanaise traditionnelle, les relations familiales, les mariages arrangés, l'importance accordée aux garçons etc. Mais une forme de modernité est aussi présente, qui envahit la vie quotidienne et la mondialisation a également des répercussions sur les destins, le passé et le présent se mélangent. C'est aussi un livre sur le souvenir, sur la manière dont on reconstruit sa mémoire, pour garder une partie de ce que l'on a vécu, l'importance de l'enfance. Il y a aussi l'attachement profond, impossible à abolir, à l'endroit de sa naissance, à son origine, à sa famille, même s'il peut mener au désastre. le roman brasse avec une grande habileté des thèmes nombreux, et dresse au-delà de la peinture d'une famille, le portrait d'une société, entre hier et demain.

C'est un très bon roman, qui tient le lecteur en haleine, avec de très beaux moments, certains très touchants. Peut-être la fin ne tient pas complètement toutes les promesses du récit, mais le cheminement pour y arriver a été, pour moi, un beau voyage.

Un grand merci aux éditions du Seuil et à Babelio de m'avoir permis de découvrir ce roman en avant première. Tant de livres sortiront pendant cette rentrée littéraire qu'il aurait pu m'échapper, et cela aurait été dommage.
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Après avoir purgé une peine de prison pour meurtre, Chen Tienhong est de retour dans son village natal sur l'île de Taïwan. Son passé est une vie raté, un parcours rempli de trous et de contradictions.
Un roman choral entre Berlin et une petite commune rurale de Taïwan, où chaque membre de la famille Chen va prendre la parole, y compris le fantôme du père. Les voix des vivants et des morts se mélangent. À travers les souvenirs familiaux des uns et des autres, Kevin Chen nous brosse le portrait de la société taiwanaise entre magouilles, homosexualité, traditions, addiction au jeu, violence des maris et le culte omniprésent des fantômes.
Je dois dire que la construction du récit entre passé et présent et les différents personnages, j'ai parfois été dérouté. Mais ce roman n'en reste pas moins très intéressant.
Je remercie les éditions du Seuil et Babelio pour leur confiance.
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critiques presse (1)
LeMonde
04 septembre 2023
Kevin Chen compose une symphonie familiale mélancolique d’une rare poésie, sans céder au sentimentalisme, glissant, ici ou là, des touches de légèreté ou d’humour.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Elle avait toujours aimé les bananiers, ces feuilles à la grande nervure bien dessinée, à la belle couleur vert émeraude et à la surface large et souple qui vous protégeait de la pluie et du soleil. Leur mère, autrefois, se servait de feuilles de bananier pour envelopper ses gâteaux de riz gluant, elle les faisait d'abord bouillir avant d'en fabriquer ses papillotes qu'elle fixait avec de la ficelle, puis les faisait cuire à la vapeur et les feuilles de bananier donnaient leur saveur particulière aux gâteaux. C'était un parfum suave et généreux, qu'il suffisait de respirer pour qu'il vous débarrasse de vos soucis et pour que tous les organes de votre corps se mettent à bâiller d'aise et à s'étirer. Et quand vous aviez mangé les gâteaux, vous vous sentiez enveloppé d'une douce torpeur, vous vous allongiez n'importe où et vous endormiez d'un sommeil aussi délicieux qu'une banane mûre.
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Quand il était enfant, leur vieux chien était mort, alors -"chat mort se pend aux rameaux, chien mort se jette à l'eau"- sa mère avait enfourché le scooter pour qu'ils aillent jeter le chien dans un fossé et lui, assis sur le siège arrière, portait le vieux chien dans ses bras. Les fossés et leurs fantômes lui faisaient peur, il avait pleuré tout le long du chemin, sa mère l'avait pressé de jeter le chien. C'était de l'eau stagnante, le canal était bouché par des porcelets morts, des cadavres de chiens, des pastèques pourries, de vieilles motos et même un étal entier de vente de noix d'arec, et tout cela répandant son infection sous le soleil brûlant, des myriades de mouches y faisaient un vrai ballet, trouvant là un festin propre à combler leur appétit. Il avait reconnu le corps en décomposition de Jaunet, le chien de leurs voisins, et refusait, toujours pleurant, de jeter leur vieux chien dans cette eau, il voulait l'enterrer, lui dresser une pierre tombale. Sa mère avait attrapé la bête et plouf, l'avait jetée dans ces eaux mortes d'où les mouches, qui s'étaient dispersées pour revenir aussitôt, les avaient remerciés de leurs bourdonnements assourdissants : avant même qu'elles aient fini leur repas de viande pourrie, voilà qu'on leur en apportait de la fraîche.
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Elle avait peur du noir à l'époque et, quand elle avait un petit besoin, elle n'osait pas aller aux cabinets à l'extérieur, préférant se retenir jusqu'au lendemain matin. Tous les enfants du coin disaient qu'il y avait une revenante dans les toilettes et elle en mourait d'épouvante. Désormais, elle n'avait plus peur du noir : elle allait aux toilettes à tâtons dans le noir, téléphonait dans le noir et ne redoutait pas les fantômes. Elle le savait, ce qu'il faut crainte le plus dans les lieux obscurs, ce ne sont pas les fantômes, mais soi-même.
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Un éclat solaire se cachait dans les rides de son front, un éclat de lune dans le sillon le long des ailes de son nez, l'éclat des étoiles au coin de ses yeux, une pluie bienfaisante sur son nez en sueur, et quand il parlait et riait, il y avait l'éclat du soleil, celui de la lune et celui des étoiles, il y avait la bruine et son visage tout entier ressemblait à une terre en friche au sol fertile, couverte d'une végétation foisonnante, au sol ameubli par les lombrics et où circulaient librement le vent et la pluie.
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Un être plein de trous, c'est ce qu'il était, sa bouche se refusait à dire ces choses du passé couchées sans ordre dans ses carnets, il faisait mine de les avoir oubliées mais elles s'étaient logées dans tous ces trous qu'il portait en lui. Si une brèche venait à s'ouvrir, il s'en déverserait des histoires en quantité.
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Video de Kevin Chen (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Kevin Chen
Rentrée littéraire 2023 - "Ghost Town" de Kevin Chen - éditions du Seuil
Benjamin D une fratrie de sept enfants, Chen Tienhong a dû quitter son village natal de Yongjing pour vivre librement son homosexualité. Alors qu'il est installé à Berlin, sa relation avec un homme violent le conduit à passer plusieurs années en prison. À sa sortie, il décide de rentrer chez lui et d'élucider un mystère qui plane depuis son enfance. Arrivé le jour de la fête des Fantômes, où les vivants accueillent et célèbrent les défunts, Tienhong lui-même se sent comme un spectre errant dans un lieu qu'il reconnaît à peine.
À travers les voix des vivants et des morts, Kevin Chen dresse un magnifique portrait d'une famille dysfonctionnelle au coeur de la campagne taïwanaise, et signe un roman sensuel, dérangeant et profondément actuel.
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