On ne le dira jamais assez, savoir préparer le thé est important. le roman s'ouvre sur la préparation du thé, le problème d'eau qu'il faut bien faire bouillir (et non frémir) pour que le thé soit réussi. Alors qu'on lui portait enfin sa tasse de thé, Rex Fortescue est empoisonné. Qu'il ait été assassiné est une chose, qu'on lui ait mis
une poignée de seigle dans la poche en est une autre. Pour l'inspecteur Neele, chargé de l'enquête, la difficulté première n'est pas tant de trouver le coupable que de trouver quelqu'un qui pleure sincèrement Rex. Pas sa veuve, Adèle, sa seconde épouse, qui cache difficilement sa joie. Pas son fils aîné, Percival, rigide et guindé, ni Jennifer, sa belle-fille. Pas la soeur de sa défunte épouse, Effie, qui vit chez lui, telle une dame du temps jadis réfugiée dans la plus haute tour du château, qui regarde ce qui se passe, ne dit rien et n'en pense pas moins. Mais Elaine, sa fille, la seule à verser des larmes véritables, même si son père n'appréciait pas l'homme qu'elle voulait épouser.
Deux autres crimes sont commis, et, pour chacun, un détail insolite, choquant, est trouvé près de ou sur le cadavre. Un fou ? Ce serait trop facile, un fou diablement organisé. C'est alors qu'apparaît une vieille dame totalement insignifiante, Miss Marple, une vieille dame qui connait beaucoup de choses, y compris les comptines qu'on lui chantait étant enfant - un peu comme la première madame Fortescue, qui adorait les romans de chevalerie au point de prénommer ses fils Percival et Lancelot.
Lance. le fils prodigue. Il revient à Yewtree Lodge, lui qui vivait jusqu'alors au Kenya, au bras de sa femme Patricia dite Pat qu'il aime plus que tout. Elle est deux fois veuve, son premier mari est mort au champ d'honneur, le second s'est suicidé à cause de sa passion pour les champs de courses. Rencontrer sa belle-famille, dont la redoutable tante Effie, en pleine affaire criminelle n'est pas vraiment ce que l'on peut imaginer de mieux.
Miss Marple fera un véritable travail d'enquêtrice dans ce roman - qui pourrait en douter ? Jusqu'au dénouement, elle réunira des pièces à charge, afin que le coupable soit condamné.
Une poignée de seigle pourrait presque s'appeler la défaite des femmes. Je pense aux deux victimes assassinées, Adèle et Gladys, une petite bonne qui avait été formée par Miss Marple et avait ensuite tenu à voler de ses propres ailes. Je pense aussi à Jennifer, la femme de Perceval, dont le destin peut sembler celui d'un conte de fée - la belle infirmière qui sauve son patient gravement malade et finit par l'épouser. Sauf que Percival a la tendresse du granit et que Jennifer s'ennuie énormément dans son rôle de femme au foyer, compensant, comme bien d'autres, sur la nourriture. Je pense aussi à Ruby (note, j'avais oublié ce personnage quand j'ai prénommé un de mes chats ainsi) qui a été élevée, tout comme son frère Donald, dans le but de venger la mort de son père mais aussi à sa mère, qui a dû survivre à la mort de son mari puis à celle de son fils, tué à Dunkerque pendant la guerre. Oui, il est des femmes qui sont capables de tirer leur épingle du jeu, de s'en sortir sans perdre trop de plumes. Elles ne sont pas nombreuses.
Une poignée de seigle est un roman que j'ai lu, relu, et rerelu. Il est certain que je la relirai encore.