La vie sauvage c'est la pluie et le froid qui martyrise le corps. Quand vient la nuit, c'est la recherche d'un abri avec l'espoir de ne pas s'endormir le ventre vide.
La vie sauvage c'est la lutte pour la survie en fuyant la maréchaussée et les fourches dans les campagnes car :
Les braves gens n'aiment pas que ♫
L'on suive une autre route qu'eux ♪♪
Non les braves gens n'aiment pas que ♫
L'on suive une autre route qu'eux ♪♫
Tout le monde parle l'argot
Sauf les manouches et les bicots.
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Pullulaient les araignées, faucheuses ou sauteuses, qui pour la plupart ne tissaient pas de toiles mais nous couraient désagréablement sur l'haricot. Un vieil instinct nous les faisait chasser, alors qu'indifférents nous contemplions la présence de chétifs longicornes, abeilles perce-bois, charançons pique-oreilles, punaises puantes, scolopendres mille-pattes et cloportes crustacés. Sans compter diverses races de fourmis qui s'entrecroisaient. Le tout parfaitement immangeable.
Restaient les champignons. Mais autour de la cabane ne se trouvaient évidemment que lactaires visqueux, volvaires gluantes et amanites citrines. De belles couleurs en vérité. Pour trouver mieux, il fallait cavaler à travers les ronciers des heures durant, sous la sempiternelle ondée. Encore ne trouvais-je que bolets raboteux que je n'osais rapporter. Le Gitan, plus averti que moi des ressources de la nature, cueillait des espèces dont le seul aspect évoquait en moi l'ipéca. Il avait beau me les nommer en dialecte manouche, j'attendais deux ou trois heures après son ingestion pour y tâter du bout des lèvres. J'aurais nettement préféré mâcher des écorces de bouleau. Ce n'étaient que russules palomets ou charbonniers, coprins parapluie, pleurotes huitrées et amanites grisettes. Que mon rabouin faisait réduire à petit feu dans sa boîte. Bouillie glougloutante qu'il touillait d'une badine, où je voyais, sans effort, un ragoût de sorcière.
En flânant sur les routes, on commence par siffloter, chantonner, boire ou manger des yeux, marmonner et monologuer. Puis la fatigue aidant, et les bornes poussant bout à bout, les guiboles et les paturons se mettent à javasser, à faire parler d'eux (très vite même, on n'entend plus qu'eux), à choisir arbitrairement le rythme ou la direction. Avec la faim et la soif, la gorge se sèche, la langue balaie la moustache, le trou du ventre commande toutes les réactions et les commentaires. Avec le froid, la pluie et les intempéries, la peau se hérisse, se granule, les dents s'agitent et claquent.
Après les diverses formalités habituelles, marche en rang et vestiaire où l'on omit de me donner comme il se doit un numéro, nous fîmes notre petite séance de nu intégral, étalant à nos pieds les merveilles du contenu de nos poches et tâchant de subtiliser aux yeux glauques du gâffe de service les menus objets qui aident à la détention : allumettes, grattoir, mégots et lames de rasoir. Puis, à grands jets de fly-tox géants qui nous saupoudrèrent les parties et la raie des fesses d'un nuage de talc blanc, on nous fit cavaler le long d'un couloir.
Comme toutes les prisons modernes, les Baumettes présentent au touriste un sinistre aperçu de ville future. Ce ne sont que salles contreplaquées de fer, escaliers métalliques, trois quatre étages bordés de balcon à tubulures donnant sur un paysage intérieur et portes lourdes de cages dont les verrous claquent comme des coups de feu.
Je restai une quinzaine avec eux, à tapisser les chaises, à recoller faïence et porcelaine, à boucher des fonds de marmites, à torcher des balais, à déraciner des légumes dans les jardins en plein jour, à bouffer des choux-fleurs en fleurs, essayant de tirer le tarot avec José, racontant des histoires à sa légitime. Faisant l'amour au soleil avec ma bécassine qui était bête à me faire pleurer mais faite au moule, avec des vices et des ingénuités à me rendre tout chose, des nichons balourds et conséquents, un appétit incroyable sauf quand aux choux-fleurs, et une croupe onduloyante qui m'obligeait à marcher de préférence devant elle si je ne voulais pas trop souvent l'emmener cueillir des mûres derrière les buissons. Et à qui, en échange de tant de dons, j'essayais d'apprendre à se laver. Ça ne sert à rien, disait-elle, puisqu'on recommence après.
Les touffes d'air chaud ont tendance, paraît-il, à monter. Ainsi, au ras du sol, la cave ramassait-elle les divers effluves qui caractérisent l'homme en liberté, et les poussait sous la voûte, où ils stagnaient. A hauteur de mes narines, tournoyait lentement un tourbillon d'odeurs fortes, curieux mélange où se reconnaissaient la sueur, la crasse, la mangeaille, la graisse, le linge sale, les parties nobles et le fondement, le dégueulis, le salpêtre et le champignon cavernicole, l'humus, le suif, et une pointe d'ailloli de présence insolite. Le tout éclairé d'une douzaine de flammes mollasses et fumeuses qui s'évadaient de bougies immenses d'origine ecclésiastique. Cierges brûlés là sans dévotion à tous les saints de l'enfer.
Jean Paul Clébert : Les hauts lieux de la
littérature en Europe
Olivier BARROT présente une collection de
guides de chez Bordas dont "Les hauts lieux de la
littérature en Europe".