AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,23

sur 32 notes
5
4 avis
4
6 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Coup de coeur pour ce récit maritime aux allures de conte servi dans une langue tout à fait étonnante, totalement créative, inventive, empruntant à l'argot, aux récits maritimes classiques, à la technique marine, aux expressions que l'auteur tord et déforme à sa guise, aux néologismes surprenants. Cette lecture est une vague rafraichissante et romanesque qui sort des courants battus. J'en suis encore sonnée et éblouie, les orbites en cale sèche à les maintenir grandes ouvertes tant mon admiration fut immense : comment Sylvain Coher a-t-il pu imaginer et écrire tout un livre de la sorte, avec cette plume si singulière, et faire de son livre une magnifique aventure de littérature ? Chaque phrase, lue à voix haute pour ma part, m'a donné l'impression d'une perle trouvée dans une huitre tant chacune d'elles est taillée au cordeau, irisée, subtile, élégante et imprévue. C'est à la fois drôle et poétique, cru et éclatant, suranné et ultra-moderne…

« Nos femelles pissent debout comme les mâles et, comme eux, elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier. Leurs mouflets sont les gniards de tous, faut avouer que personne à bord s'ennuie assez pour compter les bâtards – à quoi bon, corbleu, puisqu'ils s'éclipsent sans arrêt, le cul à l'air et la morve au pif. Une marmaille chétive élevée au lait de baleine, au bouillon d'algues, au sperme de morue, au sang des sardines que les daronnes égorgent à l'aplomb des becs entrouverts. le goutte-à-goutte fait rougir les babines, il dégouline en sinuant sur les bedons maigrichons, pouah, le Ghost fait le frai et les gosses poussent comme ils peuvent, selon les aléas de la bonne étoile. Chaque nuit qui vient est un anniversaire de plus et nos béquillards ont parfois tout juste la voix qui mue ».

Dans un futur impossible à situer, lointain disons, la mer recouvre désormais toutes les terres depuis l'avènement de « l'Inondoir » durant lequel « toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre ». Quelques rares ilots subsistent où vivent les derniers « culs-terreux », des « Pousse-caillloux » désireux de garder jalousement ces derniers arpents de terre, éloignant avec violence toute tentative d'abordage de cette masse grouillante de marins, de claque-dent, de matafs, de Sang-salés, qui survivent comme ils peuvent sur leurs rafiots moisis. Les relations entre Marins, nombreux, et rares Terriens sont très conflictuelles. Précisément tout l'équipage du Ghost a été fait prisonnier par des Terriens et un marin, Blaquet, raconte comment et pourquoi ils sont arrivés ainsi proches des côtes interdites.

Soliloque haut en couleur et courageux dans lequel nous suivons l'histoire d'un jeune marin d'une quinzaine d'années, Petit Roux, qui s'oppose au reste de l'équipage. Sa mère, Câline vient de mourir et, comme avec tous les macchabées, l'équipage désire fissa la manger. Petit Roux défend le corps maternel au péril de sa vie, il lui a fait la promesse de trouver un îlot pour pouvoir l'enterrer dignement, promesse véritable prouesse car il faut alors braver les lois et trahir les siens pour s'approcher de ce jardin interdit et fantasmé. Il s'enfuit avec le cadavre, désormais seul sur les eaux tumultueuses. Et c'est son Odyssée qui est racontée, ses différents périples pour trouver des vivres, changer d'embarcation, embaumer le corps le temps de trouver enfin la terre promise, déjouant la foudre des éléments et la fureur des hommes rencontrés sur son chemin. le Ghost le suivait au loin, voulant punir le fuyard. Ainsi s'est-il retrouvé près des côtes.

Différents sentiments nous assaillent lors de cette lecture. Au-delà du style qui accapare notre attention et qui demande un temps d'adaptation, ce livre nous émeut de par le sentiment de ce gamin pour sa mère qui reste une vraie reine même morte, la relation est pure et magnifique, cette façon qu'a l'enfant de prendre soin d'elle et de l'aider à traverser Le Styx parle au coeur de tout parent.

« Il repousse délicatement le corps de Câline, comme s'il s'excusait du dérangement pour aller pisser par-dessus bord. C'est qu'elle est lourde, foutrebleu, la bidoche est plus dure que le bois qu'on ratisse dans l'écume. Quel fils porte sa mère, l'oeuf ou l'esturgeon ? Et comment oublier la moiteur des étreintes, la volupté des caresses, les sanglots versés aux creux des clavicules ? Comment effacer les ritournelles, soufflées si doucement qu'elles gainaient la flamme au bout de la chandelle ? Passons. Petit Roux la porte à présent, sa reine, il la hisse, la traîne et se redresse pour scruter les coursives. Sa mission est un défi, une bravade à deux algues ».

Dans un second temps, il fait réfléchir, car derrière l'aventure il permet d'imaginer très concrètement quelle pourrait être notre vie, au-delà de l'urgence des enjeux climatiques et la menace de la montée des eaux dont on entend parler à longueur de journée... Oui, certes, nous imaginons les inondations à répétition, les terres ensevelies, oui mais après, bien après ? En poussant le curseur bien loin, ce serait quoi la vie, notamment pour celles et ceux n'ayant pu trouver refuge sur terre ? Ici, comme la référence à la Genèse dans le livre le suggère, le cataclysme diluvien retrouve sa force symbolique intacte. C'est une façon de soulever le voile et de découvrir un monde où la nature seule décide de l'avenir des hommes, un monde sans arbres, sans fleur, sans graine. Sans rivage, sans bord, sans lisière. Juste une étendue d'eau, imaginez. « Un tiers de flotte, deux tiers de ciel »…Un monde gorgé d'eau inhospitalière. Et Sylvain Coher d'imaginer les conditions de vie, la nourriture, la promiscuité, la sauvagerie mais aussi la faune, les vents et les courants de ce monde de l'après. Quelques vestiges de l'ancien monde flottent encore, du plastique notamment qui mettra encore des décennies, voire des siècles, à disparaitre.


Un récit tout droit sortir des flots, et nous lecteur de ressortir de cette lecture le coeur au bord des lèvres, émus et avec une étrange sensation de vertige et de malaise. Chapeau bas Sylvain Coher pour ce texte qui a infusé en moi telles des algues aux racines micellaires prenant possession de mon être. Inoubliable récit, indispensable récit !

« Il faut rendre l'esprit semblable à l'eau, nous inculquait l'Empereur, car l'eau prend toujours la forme des récipients, ronds ou carrés, qui la contiennent ».

Commenter  J’apprécie          105105
Quand la Terre devient Mer
Une fable éco-marine qui revisite le déluge et ses conséquences

⚓ le fond de l'histoire : un fond au pied marin

Nous sommes en mer, « la Mer-océane », une eau qui recouvre presque totalement la Terre depuis qu'un événement s'est produit, « l'Inondoir » où « toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre ».

« Un océan de paix ? Mon cul ». Quelques îlots ont conservé leur tête hors de l'eau sur lesquels vivent les « Pousse-cailloux » qui défendent violemment leur territoire. « Pas de terre sans guerre », aucune entente n'est possible entre marins et terriens, c'est tempétueux, houleux... Tous sont « cruels au-dehors et pires en dedans ».

Au départ du récit, nous sommes à bord d'un « vieux cargo mâté », le Ghost. « Un vieux rafiot guenipeux » où naissent, vivent ou plutôt survivent femmes, enfants, marins. « On compte un mouflet par adulte et encore un autre en rabiot, pour remplacer les ceusses qui calanchent ». Quant aux femmes, comme les hommes, « elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier ». Nous sommes au « Pays-de-mer », nous sommes « Les Fruits-de-mer  […] on vit toujours penchés comme des virgules, on naît avec une béquille plus brève que l'autre, le cintre en biais et la cheminée coudée pour corriger les idées droites. On vire ou on empanne contre la gîte mais on tient la bulle au zéro du niveau, constamment tiraillés entre l'envie d'avoir vite et le désir d'avoir plus ».

Une dispute éclate opposant un moussaillon, Petit-Roux, et sa mère Câline au reste de l'équipage qui veut son dû, un peu de viande, car Câline vient de mourir. Telle est la loi sur le cargo. « La Loi est dure, mais c'est la Loi ». Bravant les interdits, Petit-Roux décide de s'enfuir afin de mettre sa mère en terre. Ce sera l'odyssée contée dans ce roman.

A travers ce récit, l'auteur évoque les enjeux du changement climatique et de la montée des eaux, les conséquences d'un tel changement avec les conflits et difficultés qui l'accompagnent, les modifications profondes du fonctionnement des vivants sur cette planète. Cela porte à la réflexion, au-delà du plaisir à lire son oeuvre.

Mais si le fond du roman, un conte fantastique offrant plusieurs niveaux de lecture, est déjà une belle découverte, la forme est une prouesse qui emporte le lecteur dans une déferlante de mots qui n'appartiennent qu'à une seule langue, celle de l'auteur.

« Vous êtes toujours là ? Vous aimeriez que j'aille plus vite j'imagine, que je vous torche l'épisode du Ghost en deux coups de cuillère à pot. Et puis quoi ? Ce qui vous intéresse finalement, […] c'est toujours ce qui vient plutôt que ce qui est advenu – à parier que vous couleriez dix navires juste pour savoir si l'onzième flotte. Minute, papillotes, mieux vaut chaperonner ses voiles avant de connaître ce que va faire la brise, comme on dit par ici ».

⚓⚓ La forme du récit : un soliloque dans une langue unique

La narration prend la forme d'une déposition devant le « tribunal de Culs-terreux », celle de Blaquet, « simple gargouillot du Ghost », qu'il « verse tout de gob, le chalut complet » alors qu'il est sommé de s'expliquer par les Pousse-cailloux sur ce qui s'est passé avant « le Sacrilège, l'inqualifiable Profanation de cette pseudo-Terre sainte – un bout de caillou, en vérité, un vulgaire mamelon fait de glaise et de gravillons », « le jardin interdit » où Petit-Roux a posé le pied pour y tenir la promesse murmurée à sa mère, celle de l'enterrer dignement.

Le narrateur s'adresse parfois au lecteur pour le questionner, le prendre à parti. C'est vivant, cela oblige à se rapprocher de quelques pieds, pas trop quand même car « un pied de plus et ça mord ». Vous avez envie de lui livrer vos pensées, mais il ne vous en laisse pas le temps. Il enchaîne aussitôt avec les siennes, abondantes, vous entraînant à la suite de Petit-Roux et Câline tout en vous poussant à la réflexion. Il poursuit son récit au gré des flots, remuants le plus souvent mais sans jamais vous donner la nausée. Au contraire, vous en redemandez.

La langue est vivante, précise, entre argot, langage maritime, jeux de mots et calembours. Elle possède un peu des dialogues d'Audiard, mais à la puissance 10. Les mots et phrases sont manipulés, tournicotés, façonnés, virevoltant comme des feux follets. Car c'est un soliloque un peu déjanté, mais qui se tient tout du long. Une régalade pour l'amoureuse que je suis des mots dans leur usage le plus amusant.

⚓⚓⚓ le mot de la fin...

Standing ovation pour la couverture du livre au format allongé typique des éditions Actes Sud. Car, dans son bel habit, cet ouvrage m'a fait de l'oeil sitôt arrivée à l'étage des romans de ma médiathèque, mis en avant sur un présentoir dès l'entrée ! Elles savent s'y prendre toutes ces médiathècaires pour attraper le poisson :) Mon regard s'est arrêté de suite, « la rétine figée » sur les couleurs et formes émergeant de cet « étraves », mes « grosses loupes de hareng ébahi d'être pris à la ligne, sans le piquant de l'hameçon ni le garrot du trémail qui décolle les branchies ». L'illustration est signée Eyvind Earle, il s'agit de « Fog Light » dont on voit la moitié de l'oeuvre, la partie ouest. Captivante, onirique, c'est un excellent choix de l'auteur, une belle invitation au voyage qu'il propose.

Ce livre est génial, il s'est érigé sur mon chemin comme une évidence et c'est un immense coup de coeur.

C'est à regret que je quitte maintenant Blaquet, les matafs, « la chefferie » et « toutes ces choses qui flottent avec la vieillerie sur les courants marins » ainsi que les Pousse-cailloux afin de retrouver ma Terre avant le déluge. Je reviens dans le passé pour y retrouver mon présent, mais avec cette lecture en plus « flanquée dans la bretelle ». Calot l'artiste, chapeau bas monsieur Coher pour cette performance littéraire. Une lecture inoubliable !

Commenter  J’apprécie          8646
Comme en lisant " le jour des corneilles", je me suis dit, attention, Objet Littéraire non Identifié.
Sylvain Coher réussit la même prouesse que Jean- François Beauchemin, écrire un livre dans une langue inclassable. Jean- François Beauchemin mélangeait des mots de patois canadien et de vieux français, Sylvain Coher utilise à tout va l'argot des marins, des thermes techniques et de beaux mots faits maison. Passer les trois premières pages,(étant seule ) je me suis mise à lire à haute voix, que dis- je, à déclamer de longs passages. J'imagine Jacques Weber, seul en scène, lire le roman avec la verve que nous lui connaissons ( somptueux...)
L'histoire...
Les hommes ayant fait n'importe quoi, nous ne sommes plus sur la planète terre mais sur"la planète mer". Il ne reste que huit pourcent de terre ! Les nantis vivent sur terre, les autres errent en mer, au-dessus des restes de notre civilisation engloutie.
Sur le Ghost, un bateau fantôme, condamné à errer sur des mers polluées, vit une société de loqueteux anthropophages qui a une hiérarchie et des lois.
Blaquet le cuistot va nous raconter une étrange histoire.
Sur ce bateau , qui pue le poisson et la crasse, les gosses naissent sans savoir qui est leur père.
Ambiance....
"Les femmes pissent debout comme les hommes et comme eux, elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier"
"Les bâtards ont le cul à l'air et la morve au pif"

Au milieu de ce monde cruel il y a " le Petit Roux qui ne ressemble à personne par ici, et sa mère ( adoptive) qui ressemble à n'importe quelle autre". Ces deux-là s'aiment et se protègent.
Un matin Câline, la mère, meurt, et quand l'un meurt sur le Ghost les autres le bouffent. Alors"ils salivent car faut bien comprendre qu'en mer les plats sont toujours faits de poisson, puisque la garce. sait faire pousser que ça".
C'est sans compter que le Petit Roux veut que Câline soit enterrée et mangée par des lombrics pour faire de l'humus( Comme dans ma précédente lecture...)
Courageusement, il affronte les autres, vole un rafiot et part avec Câline qui ne tardera pas à dégager une sale odeur. Je ne vous raconte pas" l'incroyable odyssée du Petit Roux"...(j'ai déjà suivi un macchabée dans"Reste"...)

L'autre intérêt du livre c'est que Blanquet, notre conteur, interpelle le lecteur, le met face à ses responsabilités, et à ses lourdes erreurs.

"Il affirme qu'on sarclait la flotte comme les pâtures des troupeaux gras et que le fretin des mailles étroites devenait farine à boeuf, croquettes déshydratées et quoi d'autre encore ? Les monticules d'épinoches broyés par la pêche minotière, ça doit vous dire quelque chose -allez prétendre que non."
Les face à face avec Blanquet sont très durs et nous laissent honteux.

Vous l'aurez compris j'ai adoré ce bouquin !


Commenter  J’apprécie          2215
Geste maritime, épopée post-apocalyptique, dystopie océanique, "Etraves" marque par une écriture dense, inventive, originale.

Une planète couverte par les Eaux. Une petite minorité vit sur les rares terres encore émergées.
Le reste de l'humanité survit sur les flots, dans des conditions qui laissent peu de place au sentimentalisme, voire aux sentiments tout court.
Pourtant, à la mort de sa mère, Petit Roux refuse la nécessité qui fait Loi, décide de soustraire son cadavre à la convoitise de l'équipage et se lance dans le pari fou de lui offrir une sépulture terrestre. La traque est lancée...

Entre réalités sordides et poétique d'une humanité devenue Fruit-de-Mer au Sang Salé, Sylvain Coher dessine un univers fascinant.
Commenter  J’apprécie          20



Lecteurs (126) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4899 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *}