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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Tout sera merrible, merrifiant, merrifique. »

Comme on s'en doutait avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, le niveau des océans a augmenté au point de recouvrir la majeure partie de notre bonne vieille Terre. Les seuls ilots qui subsistent encore, portent des noms étranges comme Alpes, Pyrénées ou Aubrac. Nous sommes comme vous l'avez deviné dans un récit post-apocalyptique où les Pousse-Cailloux défendent leurs derniers bouts de lopins de terre face aux tentatives de débarquements des Fruits de Mer qui se trouvent de plus en plus à l'étroit sur leur vieux rafiots tout rouillés…

Avec Étraves, Sylvain Coher nous livre un roman qui tient à la fois du film Waterworld de Kevin Costner pour son coté déluge apocalyptique et à celui de Soleil Vert tourné par Richard Fleischer pour sa description incroyable d'une société devenue anthropophagique. Sur un monde noyé où les terres ne représentent plus qu'un dixième de la surface, la vie existe et se poursuit vaille que vaille sur des navires transformés en véritable arche de Noé. Promiscuité, misère, famine sont les maîtres mots pour ces marins condamnés à parcourir des océans aussi pollués qu'infestés de pirates.
Notre histoire commence sur le Ghost, un vieux cargo transformé en navire à voiles rapiécées. Petit Roux qui vient de perdre sa mère, se retrouve seul face à un équipage qui veut faire de celle-ci une bouchée dans le sens propre du terme. En effet, quand une personne meurt sur un bateau, les autres le mangent pour changer de la monotonie du menu ichtyophage. C'est pour éviter de voir sa génitrice transformée en « rosbif » que Petit roux décide de s'enfuir avec son cadavre. Il emprunte alors une petite embarcation dans le but de pouvoir l'enterrer dignement sur la terre ferme…Nous allons suivre passionnément cette quête initiatique tout au long des 256 pages que comporte cette novella à la française.

Pour nous conter cette histoire, Sylvain Coher a créé de toute pièce une langue qui sublime sa prose pour la rendre unique et originale. Elle est à la fois un mélange d'argot, de terme marin et de mots inventés à faire pâlir d'envie notre ami Alain Damasio et sa Horde du Contrevent. Comme pour ce dernier, il nous arrive souvent de ne pas tout comprendre mais emporté par la poésie et la sonorité des sons comme des mots, on se laisse bercer voire enrôler par ce talentueux écrivain. On s'embarque avec lui dans un voyage au long cours qui fleure bon les embruns et l'odeur iodée des bords de mer.

On sent que Sylvain Coher aime la mer et celle–ci le lui rend bien. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il faut avoir le pied marin pour apprécier cet artiste mais cela peut s'avérer nécessaire quand il nous ballote dans ces mers souvent tumultueuses où quand il nous emmène au fond des cales de ces rafiots où l'odeur du poisson nous prend aux tripes. Il sait nous repousser dans nos derniers retranchements à la limite d'un imaginaire qui se veut quelques fois onirique. Une lecture qui nous heurte et nous bouscule mais qui ne peut nous laisser indifférent. Un grand merci à notre @HordeDuContrevent pour cette belle découverte collective!!!

« Une porte s'ouvre dans la voûte, par laquelle passent des cheveux argentés et un tiers timide d'aube crue vomie sur la layette. Au réveil, juste après le déluge nocturne, c'est toujours l'ankylose de la barbaque et la salive salée qui gratte au gosier pire qu'une saloperie de paille de fer. La puanteur s'infiltre dans la boiserie des garnitures, elle abreuve les fibres et traverse les vernis à la va comme je te perce. L'odeur charnelle du poste prend toute la gargue et tout le pif jusqu'à racler l'intestin à la spatule. Un bouquet de tombeau, comme un relent d'éperlan – de quoi vous couper la chique à quinze pieds. »
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La mer, la mer, toujours recommencée.
Au début, j'ai craint le pire, m'être de nouveau embarqué dans un mauvais remake de la Horde du Contrevent. Je ne sais pas pourquoi, j'ai senti venir comme une odeur de fumisterie qui remontait de la cambuse jusqu'au pont. Mais non... Ici, point d'épopée remontant le vent à l'envers, ni d'équipage de contre-amiraux prépubères...
Étraves démarre sur une belle idée : un conte écologique, un récit post-apocalyptique qui se déroulerait en pleine mer, à l'endroit qui fut jadis la terre ferme, désormais quasiment recouvert par les océans. Pour vous donner une idée du décor maritime, imaginez quelques sommets de la chaîne des Pyrénées devenus un archipel. Non, je sais, vous n'imaginez pas et pourtant...
Mais qui est le vilain qui a tiré la chasse d'eau ? On ne sait rien des causes de ce qui semble être une apocalypse, une fin du monde ou presque, « une fin de cadran quasi crépusculaire » pour dire les choses ainsi, celle qui nous attend ou attend les prochaines générations, ce n'est pas important, l'auteur Sylvain Coher ne cherche pas à nous entraîner à cet endroit.
Au commencement d'Étraves il y a le déluge, la montée des eaux. La population de la terre s'est répartie entre les pousse-cailloux d'un côté, partis habiter sur les quelques îlots rares qui demeurent encore à la surface, et les fruits-de-mer qui eux vivent sur tout ce qui flotte, bateau, barque, barcasse, reste de bateau, demi-épave, plateformes à la dérive...
« Voici la mer, enfin, vive et vaste de tous bords. »
Étraves, c'est une terrible odyssée sans fin sur des mers qui n'en finissent pas.
Étraves, c'est l'histoire d'un marin assoiffé d'escale à la recherche d'un bout de terre. Nous sommes sur un cargo baptisé Ghost. Déjà le nom... le récit est raconté par Blaquet, le cuistot, quittant parfois son fourneau et ses gamelles graisseuses pour pointer le bout de son nez sur le pont, là où tout se passe. Ou plutôt là où rien ne se passe...
Petit Roux, moussaillon de quinze ans retranché à la proue du cargo, berce dans ses bras Câline qui ne le câlinera plus, sa mère vient de mourir et il lui a fait une promesse, il veut sauver sa dépouille, lui offrir une sépulture au sec, digne de son amour filial, l'enterrer sur un coin de terre qu'elle fertilisera, là où la vie fragile pourrait un jour revenir, sachant que les pousse-cailloux défendent redoutablement l'accès à leurs îlots rocheux, repoussant les tentatives d'escales des fruits-de-mer...
Il n'est pas question pour Petit Roux de céder à la vindicte du reste de l'équipage, de livrer sa mère aux crocs des poissons et autres marsouins voraces qui pullulent la mer. Petit Roux veut s'enfuir pour trouver l'introuvable, quêtant l'innommable, l'escale indicible : un bord de mer échappé de la montée des eaux.
Commence alors ce voyage, qui au tout début du récit a pris à mes yeux l'allure d'un beau cheminement initiatique...
On ne sait rien de cette humanité qui flotte ici où là sur d'autres embarcations à la dérive, ou bien accrochée aux flancs de quelque rocher encore émergé. On ne sait rien de la relation entre ceux qui ont encore une terre sous leurs pieds et ceux qui n'en n'ont plus, avec cette idée d'urgence, celle que tout ce qui flotte est amené progressivement à pourrir, à disparaître , ceux qui vivent sur ces embarcations sont loin d'être des marins aguerris aux choses maritimes, ce sont avant tout des survivants d'un monde en perdition.
À l'heure où le numérique s'est évaporé, il reste encore quelques vieux livres qu'il faut sauver de l'immersion, parfois repêcher, ils deviennent la seule mémoire de l'humanité. J'ai aimé cette belle idée.
Pour raconter cette histoire, Sylvain Coher a convoqué une langue inventée, inventive, à la fois sophistiquée sans l'être, pétrie de navigation et de langage populaire, désuète, argotique, se nourrissant de la poésie des embruns et des lointains horizons.
Parfois je ne comprenais pas un mot, ce n'était pas important, il y avait une sonorité un peu comme lorsqu'il vous arrive de dormir près d'un port et que vous entendez venir à vous le bruit du vent cognant contre l'accastillage des embarcations...
Mais voilà ! Je me senti bien seul dans cette lecture, un peu en perdition pour tout vous avouer, même si un équipage de fidèles moussaillons était bien présent à mes côtés dans cette lecture commune.
C'est une atmosphère glauque, sombre, humide, nauséeuse.
De cette lecture, j'en ai encore les poulies qui grincent, les agrès branlants. Ai-je aimé ce livre ?
La quête de Petit Roux et de sa mère Câline qui se décompose dans ces bras est une belle quête, mais demeure une quête sans véritable histoire où s'accrocher comme un naufragé vissé à sa barque ou à son caillou. C'est à se demander si la vraie histoire n'est pas cette langue sortie de nulle part sauf de l'imaginaire de l'écrivain, mais une fois le procédé littéraire apprécié, l'exercice de style salué, que reste-t-il ?
Ici j'ai reçu des seaux et des serpillières, je me suis accroché à l'esquif, j'ai tenté de tenir le cap. Ici j'ai failli pourrir de la tige dans ce vase non pas trop rempli d'océans mais de mots.
Étraves, c'est une plume qui tangue, une écriture au service d'une ambiance et non d'une histoire. À l'inverse d'un auteur comme Céline par exemple... Pour cette raison, cette lecture ne fut pas la mer à boire.
Et si Sylvain Coher m'avait mené en bateau ?
Un grand merci à Doriane (@Yaena), Nico (@Nicola), Pat (@Patlancien) et Sandrine (@HundredDreams), pour cette lecture commune inspirante qui a parfois davantage ressemblé au radeau de la Méduse. Merci à Chrystèle (@HordeDuContrevent) pour la découverte de ce récit et de son auteur. Allez voir son merveilleux billet dithyrambique !
Non content d'avoir été rincé par les multiples tangages de cette lecture, je file découvrir Nord-Nord-Ouest du même auteur.
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Autant les auteurs classiques s'imposent dans mes lectures, autant j'aime régulièrement sortir des sentiers battus, me risquer à quitter les chemins balisés pour élargir mes horizons littéraires, découvrir des auteurs qui renouvellent la littérature et explorent de nouvelles formes d'écriture. C'est un risque que j'aime prendre de temps en temps.
Mais, encore une fois, je suis bien embêtée pour donner un avis sur ce roman de Sylvain Coher car j'avoue ne pas savoir si j'ai aimé. C'est étrange comme sensation, cela m'arrive très rarement. Un méli-mélo d'adjectifs qui se bousculent et s'entrechoquent me viennent à l'esprit : magnifique, étonnant, audacieux, étrange, envoûtant, morbide, malsain, cru, poétique, décalé, lent.

Imaginez un monde noyé, quasiment recouvert par les océans. Les restes de la civilisation humaine vivent principalement sur l'océan sur de vieux rafiots, d'anciens cargos, des épaves flottantes ; une petite minorité vit sur de rares ilots rocheux qu'ils défendent bec et ongles contre toute intrusion.


L'histoire débute au moment où Petit Roux, un jeune marin d'une quinzaine d'années environ, s'interpose entre l'équipage du Ghost et sa mère, Câline, qui vient à peine de décéder. Il existe des lois qui gouvernent le Ghost et parmi elles, le droit de manger les morts.

« L'Empereur reluque Câline en s'inclinant pour la remettre d'aplomb. Bien sûr qu'il faudrait la vider, sinon la barbaque sera gâtée par la mouscaille et elle aura clamsé pour rien, la pimprenelle – c'est ce que l'Empereur vient de proclamer et chacun de nous a senti la salive lui gicler aux recoins des babines. Une vraie gourmandise, foutrebleu, car faut bien comprendre qu'en mer, les plats sont toujours faits de poisson, puisque la garce sait faire pousser que ça. »

L'adolescent n'est pas prêt à les laisser dépiauter son corps, à s'en repaître. Il imagine pour Câline une sépulture digne. Pourtant, en promettant de l'enterrer, il sait qu'il s'expose à la vengeance des siens qui y verront une trahison, tout comme à la folie et la barbarie des îliens revenus à l'âge de pierre.

« La terre-ferme est gorgée de la hargne des charognes qu'elle recèle, pouah, elle exsude l'atrabile et le courroux des trépassés. »

Alors, à la faveur de la nuit, il s'enfuit avec la dépouille de Câline, volant un des petits voiliers et laissant l'océan décider de son destin.

« Etraves » est une quête, un récit initiatique, mais aussi un véritable huis-clos à ciel ouvert. Petit Roux, seul, chahuté dans cette immensité pleine d'imprévus et de dangers, l'étrave fendant l'eau, rêve d'une terre, d'un jardin pareil à celui des délices pour y déposer le corps de sa mère. Les vagues et les vents viennent nous murmurer l'amour de cet enfant pour sa mère, seul point de lumière dans ce décor austère.

*
Les images très réalistes d'un monde à la dérive s'estompent. Suis-je dans un univers post-apocalyptique, un rêve ou un cauchemar ?
La narration pleine de charme et de mystère, cabote sur l'océan, épouse ses crêtes d'écume, fond sur ses écueils épineux et ses hauts-fonds, déploie son nuancier de couleurs et d'odeurs.
Ici les hommes sont secondaires, dominés par cette Mer-océane, majestueuse et toute puissante. Mer-cruelle, mer-ingrate, mer-amère, elle laisse peu d'espoir à une humanité à l'agonie. L'auteur rejoint ainsi les thèmes actuels liés à l'urgence climatique.

Des odeurs et des sons m'agressent, le froid et la faim m'assaillent, l'angoisse m'étreint. L'océan, apaisant d'habitude, m'oppresse et me fascine dans un même élan. Ses abîmes m'attirent et m'ébranlent, sa beauté hypnotique m'enivre et m'apeure, ses senteurs iodées rassurantes se chargent d'odeurs métalliques et mortifères qui me donnent la nausée.

*
La plume de Sylvain Coher est sans aucun doute ce qui fait l'originalité de ce roman maritime : foisonnante et pleine de fougue, poétique et novatrice, brute et rustre, elle est m'a plu et déplu, emportée et ballotée.
Dès les premières pages, j'ai admiré cette façon si particulière de l'auteur d'explorer, fouiller, érafler, dépiauter et découdre la langue française pour la recoudre, la détourner, la déformer, la réinterpréter, la réinventer suivant sa volonté. L'auteur joue avec les mots empruntés à l'argot, aux proverbes, au langage familier des vieux marins, au vocabulaire de la navigation et de la mer.
Ainsi, elle s'affûte et s'enrichit d'expressions nouvelles, de néologismes surprenants.

*
Ai-je aimé ce livre ?
Non, je me suis souvent noyée dans un langage aux effluves maritimes trop riches, au vocabulaire cru et familier surabondant, aux termes nautiques trop techniques.
Pour entrer dans le récit, il m'a fallu lâcher prise, arrêter de vouloir systématiquement rechercher la signification exacte des mots inconnus. Je me suis forcée à ne pas mettre un sens sur chaque terme, à plutôt me laisser porter par les vents marins et les embruns sur mon visage, l'océan et ses abysses, les sonorités et les relents nauséabonds, les images et les couleurs, les sens et les sensations, et par dessus tout, le plaisir des mots qui s'entremêlent, ondoient et se déploient.
Alors, oui, à partir de ce moment-là, j'ai aimé être bousculée, malmenée par cette langue impétueuse et luxuriante. J'ai aimé cette écriture corrosive et créative, poétique et caustique, morbide et carnassière, décharnée et acharnée, bourrue et crue, loquace et vorace. Emportée par la musicalité du texte, séduite par cette atmosphère onirique et enveloppante, l'intrigue, monstrueuse, peu dense et lente à se déployer, est passée au second plan.

Au final, une vraie curiosité qui vaut le coup par sa qualité d'écriture et son atmosphère maritime et déshumanisée, mais un roman complexe où je me suis sentie bien souvent seule, malmenée au milieu du flot de mots, écartelée dans cet univers sombre, humide, écoeurant et violent.

****
Merci à mes compagnons de lecture, de voyage, d'infortune, Nicola, Doriane, Bernard, Patrick et Chrystèle qui nous a charmés par son magnifique billet.
****
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Quelque part entre Waterworld (oui, le film sous estimé avec Kevin Costner, je parle bien de ce film là) Swiss Army Man et Adeline Dieudonné dans Reste, Sylvain Coher signe un roman d'aventures aux sonorités argotiques façon marin pirate diplômé conteur.

Étraves démarre en pleine mer - puisque l'eau a fini par tout gober à force que l'Homme fasse de la merde, à bord d'un navire où femmes et hommes sont né.es sur les vagues, se nourrissent des mort.es quand ielles passent la rame à gauche et croient en de nouvelles prophéties.

Blaquet, narrateur hors pair, conte l'histoire de Petit Roux dont la mère vient de calenche et qui refuse de laisser celle qui lui a donné le sein en pâture à ses camarades de mer. Forcé de s'enfuir avec le cadavre de Câline-maman, Petit Roux n'a qu'un seul souhait ; que celle-ci repose en paix.

C'est rigolo comme les passerelles peuvent se créer entre les différentes oeuvres qui viennent te rencontrer dans un très court laps de temps, nan ?

Moi j'ai tout avalé comme si Sylvain Coher était sorti tout droit du prochain bouquin de David Grann (les naufragés du Wager), j'avais jamais rien lu de l'auteur jusqu'à présent mais y'a moyen que j'y réfléchisse à deux fois la prochaine fois que je tombe sur ses romans précédents.

Si t'as aimé les Marins ne savent pas nager et que t'as pas peur de te farder tout un roman écrit en argot poétique aux références multiples, tu sais quoi faire 😏

Taïaut !

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Ce roman est une expérience marine, il nous emmène dans le sillage de ce qui reste d'une civilisation perdue - la nôtre- après l'Inondoir, le grand déluge, la montée incontrôlable des eaux. Les hommes ont dû s'amariner et la langue de même. L'intérêt de ce livre tient pour beaucoup dans ceci : une langue tressée sur mesure , des mots à scander au rythme des vagues, une poésie aux faux airs de dystopie steam-punk. La langue est belle donc, elle peut gêner, moi elle m'a ravie. Et l'histoire ? L'histoire, un jeune homme tentant d'offrir à sa mère une sépulture terrestre est prenante mais j'ai été un peu déçue par la rapidité de la fin, même si le renversement est très beau, il aurait mérité une meilleure mise en exergue. Ce roman reste cependant en tête, il dit de façon unique la détresse d'une humanité à la dérive, celle que nous laissons dans notre étrave.
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« La farce cachée de l'évidence » : dans ce Waterworld, virevoltant d'un somptueux argot nautique post-apocalyptique, on ne vous entendra pas crier de rage en bordant le génois.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/21/note-de-lecture-etraves-sylvain-coher/

Entre fonte totale des glaces et pluies continuelles durant de longues années, la surface terrestre est désormais, à l'exception des montagnes et plateaux d'altitude, un vaste océan. Sans intervention divine, mais fort vraisemblablement par l'insouciance consumériste des nantis (ou leur « trop peu, trop tard » : « Quand à savoir pourquoi toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre, ça reste un sacré mystère et chacun y va de sa marotte, de son crobard et de ses aïeux »), le mythique Déluge s'est bien produit, mais ses conséquences n'ont pas disparu au bout de quarante jours et de quarante nuits. À la surface du vaste océan, l'essentiel de ce qui reste de l'humanité (celle en tout cas qui ne disposait pas de quelque mont Ararat où maintenir ou restaurer sa civilisation éventuellement délétère) subsiste à bord de tout ce qui peut flotter ou presque : cargos et méthaniers rouillés, chalutiers reconvertis tant bien que mal, mais surtout – bien entendu, car le carburant fossile est désormais un anachronisme des plus rares – voiliers de toute nature et de toute envergure, d'origine ou bricolés.

Au sein de l'une de ces communautés navigantes et flottantes plus ou moins pirates (plutôt beaucoup plus, pour être tout à fait honnête), la prestigieuse Câline est décédée, et son corps doit donc, selon la loi qui prévaut à bord, devenir viande de consommation, rare succulence occasionnelle au coeur d'un régime malsain où voisinent vivres de récupération, poissons plus ou moins contaminés et maigres cultures vitaminées de la cale. Mais Petit Roux, quinze ans, malingre protégé de la guerrière respectée et désormais défunte, ne l'entend pourtant pas de cette oreille : il s'est promis – contre toutes possibilités raisonnables en plus d'être contre la loi du groupe – de trouver un coin de rocaille pour donner une sépulture à sa mère adoptive. Rébellion, conflit, révolte, révolution peut-être ? D'un désir sacré adolescent prenant bientôt la forme improbable d'une folle échappée voileuse, envers et contre tous, sur cet océan acariâtre, va-t-il naître autre chose finalement que des regrets, des larmes salées et des maux accrus ? C'est ce que Sylvain Coher nous invite avec fougue à découvrir au fil des 250 pages de son dixième roman, « Étraves », publié en août 2023 chez Actes Sud.

En 1995, Kevin Reynolds et Kevin Costner avaient tenté avec leur « Waterworld » le pari audacieux et le tournage un peu fou d'une transposition de « Mad Max » à la surface des océans d'une Terre engloutie. S'il en a gardé certains motifs-clé en s'amusant joliment à les travestir et les transfigurer, Sylvain Coher a choisi une radicalité bien plus profonde pour sa somptueuse fable climatique, maritime et langagière.

Il lui a d'abord donné, du côté du scénario, une simplicité épurée, celle d'une quête obsessionnelle digne en tous points de celle de « L'île au trésor » de R.L. Stevenson (on savait toutefois, depuis « Carénage » en 2011 et « Vaincre à Rome » en 2019, que Sylvain Coher savait comme bien peu construire des flux monomaniaques parvenant à englober tout un monde). Il a ensuite entouré son échappée nautique (dont son « Nord-Nord-Ouest » de 2015 pourrait presque, rétrospectivement, faire figure de répétition générale), aussi méticuleuse qu'effrénée, de nuées imaginaires connexes où voisineraient cuisiniers cauteleux, savants fous, archivistes quasi-lovecraftiens et escrocs du malheur. Il a su créer encore, ici, en relativement peu de phrases, des communautés marines assemblées de bric et de broc en leur donnant une authenticité de facto digne de celles des « Cités englouties » de Paolo Bacigalupi ou des « Scarifiés » de China Miéville. Il a su aussi imaginer au fil de l'eau éventuellement déchaînée les devenirs étranges de mythologies passées, dans un registre évoluant entre le Russell Hoban d'« Enig Marcheur » et la Ketty Steward de « L'Évangile selon Myriam ».

Surtout, il aura su ici nous enchanter et au-delà, en allant plus loin dans cette direction que la Dominique Scali du magnifique « Les marins ne savent pas nager », en créant une langue ramifiée et exubérante, seule à même de dire le monde englouti à hauteur de gueux, dissimulant (comme l'avait fait luvan dans son grand « Susto ») une subtile géopolitique dans les plis d'un récit qui ne peut qu'affecter de l'ignorer. « Aucun vent est le bon, quand on ignore la route à suivre » : pourtant, pour les plus-que-perdants du réchauffement climatique, les chemins suivis ne seront jamais « kifkif cabillaud ».
Lien : https://charybde2.wordpress...
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