Au XIXème siècle, il y avait peu de femmes dans la littérature française : à part
George Sand, l'arbre qui cache… le désert, quelles autrices lisons-nous encore aujourd'hui ?
La Comtesse de Ségur, à la rigueur, pour les plus lettrés (ou lettrées) Germaine de Staël… mais le tour est vite fait. Au XXème siècle, grâce à une lutte obstinée contre la prédominance masculine, les femmes ont acquis de haute lutte, une place de choix dans la littérature, des autrices de très haute tenue, d'audience nationale et internationale se sont fait connaître, apprécier et aimer. le plus remarquable, c'est qu'elles y sont arrivées, non pas en copiant les hommes, mais au contraire en marquant leur différence.
L'une des premières, l'une des plus grandes (et pour beaucoup LA plus grande), c'est Colette.
Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1954) a marqué les esprits à la fois par son oeuvre, flamboyante, diversifiée et profondément attachante, que par son parcours et sa personnalité. Depuis les coulisses du music-hall jusqu'à la présidence de l'
Académie Goncourt, que de chemin parcouru ! Mais le plus significatif, c'est que d'emblée, elle a conquis un lectorat qui ne l'abandonnera jamais. La raison de ce succès ? Peut-être l'authenticité : Colette est une femme qui ne triche pas. Ses sensations, qu'elles soient d'ordre sentimental (on sait qu'elle a été une grande amoureuse) que d'ordre purement empirique de communion avec la nature sous toutes ses formes, elle nous les fait partager sans effort, parce qu'il se produit comme une osmose entre ce qui est « essentiel » chez elle et ce qui est « essentiel » chez nous : un goût du bonheur (vécu ou recherché), une sagesse naturelle, c'est-à-dire venant de la nature, dénuée de toute connotation spirituelle, idéologique, religieuse ou autre, une nostalgie de l'enfance, et une indulgence souriante pour les troubles de la passion, dès lors qu'ils viennent du coeur. L'originalité de Colette, c'est sans doute cette communion qui s'installe avec le lecteur, sans calcul, comme une déclaration d'amitié qu'il est impossible, bien entendu, de refuser. Et ce contact facile et profond lui permet d'aborder sans tabous (et avec finesse) des études de moeurs, de s'épancher avec délectation et gourmandise dans ses souvenirs d'enfance, de décrire avec une grande poésie ce qui fait le terreau de son oeuvre et de sa vie : la nature, terre, bêtes et gens, dans toute sa beauté, parfois sa cruauté, en tous cas sa singularité.
«
Les Vrilles de la vigne » (1908) est un recueil de textes divers où Colette mêle souvenirs d'enfance, de vacances ou de voyages, avec des scènes prises sur le vif, et des
dialogues de bêtes (qui ont fait sa célébrité). La plupart de ces textes sont hautement poétiques, et souvent renvoient à l'autrice, en établissant des correspondances subtiles entre la nature et elle-même.
Cette transparence qui apparaît dans tous ses récits, ce côté « sans filtre » mais sans exhibition, cette humilité dans le propos comme dans l'exécution, c'est tout cela qui nous rend Colette familière. Et pour reprendre le thème que j'évoquais en début de chronique, femme, elle l'est, oui, pleinement, elle le revendique, à juste droit. Mais elle est aussi femme de lettres, à un très haut niveau, et même au-delà de toute considération de sexe ou de genre, elle est un modèle d'humanisme. C'est pour toutes ces raisons que nous l'aimons, naturellement.