Comment faire une critique originale d'une oeuvre maintes fois décortiquée par ses pairs, jugée par la toute jeune Académie française, décriée par ses contempteurs, vantée par les grands esprits de son temps et, surtout, commentée par des générations entières d'élèves de collège ? Car à part dire que la pièce est d'une hauteur tragi-comique et épique sans commune mesure, critiquer cette référence de la littérature française est comme s'exposer au (Roi)-Soleil sans FPS 50.
Alors que Chimène et Rodrigue étaient prédestinés à former un magnifique, brut et puissant couple, ils rentrent droit dans le mur de l'orgueil. le comte Gomès, le père de Chimène, met une déculottée à Don Diègue, le père de Rodrigue, à cause d'une problème de tutorat. Forcément, le vieux bougre n'est pas content et demande à son fiston de le venger. Tiercé gagnant, le comte Gomès passe de vie à trépas de la main même de son ex-probable beau-fils.
Désormais, entre Chimène et son beau se dressent l'impossibilité de s'aimer en société, et aussi un amant dévoué mais détesté, une Infante friendzonée, un roi intéressé, un mort mort et des Maures morts. Petit moment d'Histoire :
Corneille a commis là l'un des seuls impairs : pour faire intervenir les Maures, l'auteur a déplacé l'action à Séville... ville absolument musulmane à l'époque. Deus ex machina au service du respect des règles de lieu et de temps. Bref, heureusement, les Maures apportent le salut à Don Rodrigue. le salut de l'honneur par le Roi, pas celui du coeur. Car Chimène, la gloire de son père chevillée au corps, demande toujours sa tête.
Mais tragi-comédie oblige, quelques actes plus tard, les talents (martiaux, pas d'or) du Chevalier d'un côté et l'amour de l'autre vont finir par les rabibocher (sans compter un petit coup de 49-3 royal, ça marche toujours).
J'ai particulièrement aimé le personnage de Chimène car je trouve que
Corneille l'a composé comme le plus tragique de tous. Elle agit tout au long du récit comme une déesse grecque. Agitant sa fureur contre Rodrigue, excitant le Roi, galvanisant le bras armé de Don Sanche contre une promesse d'amour, elle m'a paru le personnage de loin le plus contrasté de tous et le plus emmêlé dans ses turpitudes.
Ce grand cornichon de Rodrigue, lui, m'a évidemment touché. Son personnage tiraillé entre deux feux, celui de l'amour et celui de la gloire, incarne un stéréotype de chevalier que n'importe quel auteur adorerait écrire. D'ailleurs, je ne peux que vous conseillez l'édition Folio Classique de
Jean Serroy qui comprend un décryptage assez bienvenu de l'oeuvre, de son évolution et de ses personnages. En même temps, Rodrigue est tragiquement nian-nian. Toujours à en faire plus, à surenchérir dans le mièvre et l'autodestruction, il en devient une farce.
Mais le récit ne se moque jamais de lui ou de Chimène. Les autres personnages ne tournent pas en dérision cet amour de polichinelle mais au contraire le respecte, même l'amant écarté. Peut-être que l'épreuve de Chimène devant le Roi est la marque la plus poussée du comique de la pièce.
Pour relire des classiques depuis quelques temps, je me dis que c'est pas si mal. Ces briques de culture ont un goût particulier à l'âge adulte. Peut-être qu'il était trop tôt, au collège, pour bien en appréhender le suc.
Sans l'avoir jamais lu,
le Cid demeure certainement l'un des récits les plus marquants de mon adolescence. Peut-être vous souviendrez-vous comme moi de la Campagne du Cid Campeador sur Age of Empires II. Ah la la, quelle belle époque. Envoyer des paysans récolter de la nourriture tout en écrivant des articles sur son Skyblog... Quel âge d'or.