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Pauvert (10/03/1966)
5/5   2 notes
Résumé :
Libertés n°38
Collection dirigée par Jean-François Revel
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
De la nitroglycérine, un brûlot, mais aussi une gourmandise poétique, politique et philosophique. Découvert en Terminale avec les surréalistes. J'avais appris par coeur la citation sur Marie, pour en faire bénéficier ma prof de philo, royaliste et intégriste. le résultat dépassa toute mes espérances. Récupéré sur Wikisource, un moment de bonheur intense.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Chantages à la poésie



Avant leur faillite définitive, les grandes compagnies religieuses – eh ! ne dit-on pas la Compagnie de Jésus, comme la Compagnie du Gaz – ces entreprises d’obscurité ont recours à tous les moyens, à toutes les publicités.

Le Clergé s’est modernisé, mis au goût du jour. Ainsi, l’abbé Violet relève ses jupes, et, d’un pied gaillard, s’en va au Club du Faubourg, discuter le coup : Faut-il que jeunesse se passe ? Mon curé va chez les riches (bien sûr), chez les pauvres (ça lui plaît moins), chez les sportifs et même (qu’il dit), chez les poètes. Quand il ne peut ou n’ose, ou ne veut, ou ne daigne se déranger en personne, il dépêche son nonce laïque. La plus fameuse de ces visites fut pour l’esthète. Sur son seuil, littérature et religion échangèrent des lettres de créance. On décida une petite parade. Le nouveau converti donna la réplique au thomiste. L’on eut donc un tam-tam qui valait bien les histoires de colliers perdus, dans les taxis, par des vedettes en mal de réclame.

Comme, par ailleurs, le mot mystique avait été repeint à neuf, de quels tours de passe-passe ne devint-il pas la baguette magique. En guise de prestidigitateur, ce petit bonhomme de syllogisme :


Mystique = homme religieux.
Homme qui refuse de composer avec le monde et ses iniquités = mystique.
Donc, = homme religieux.


Ainsi, jusque dans les blasphèmes, vit-on l’expression de la foi. L’iconoclaste fut baptisé mystique à l’état sauvage, et, à travers cette épithète, passèrent, comme lettres à la poste, contresens et fraudes majeures, à quoi avaient, au reste, déjà prouvé qu’ils savent exceller les messieurs bien-pensants de l’art et de la littérature qui feignent de s’intéresser à des œuvres subversives, rien que pour les vider de leur moelle, leur flanquer un tuteur, justement de bois mystique, donc complaisant aux volubilis du conformisme gloseur.

C’est la grande tradition claudelienne, dont le mâchouillis diplomatico-bondieusard, depuis tant d’années, s’efforce de convertir (on fait bien voter les morts) Rimbaud, en boule de gomme très catholique.

Quand on lui demanda son avis sur le surréalisme, le poète ambassadeur (parce qu’il avait affaire à des vivants qu’il ne pouvait embigoter malgré eux) répondit par une grossièreté.

Au reste, le surréalisme, appel d’air, était bien fait pour, dès sa première phase, effrayer les grenouilles de bénitier, vous savez ces jolies petites bêtes sans cœur, sans rate, sans gésier, sans poumon et qui respirent avec la peau, celle du cul de préférence, car, alors, elles se respirent elles-mêmes dans ce qu’elles ont de plus caractéristique. Ces petites chéries n’échappèrent point à la contagion du modernisme et inventèrent la poésie pure, laquelle finissait, pour les rajeunir, en prière, c’est-à-dire en queue de têtard. Le qualificatif, d’allure à la fois évangélique et chimique, signifiait qu’on avait entendu miser sur plusieurs tableaux. Depuis longtemps, la Religion se plaisait à croire qu’elle avait, dans la personne de Pasteur, annexé la science. En fait de poète, elle avait bien Verlaine. Tout de même, le pauvre Lélian était par trop arsouille. Alors, l’abbé Bremond croupier de la grande roulette bondieusarde, prétendit mettre dans son jeu, dans sa poche, la poésie tout entière. Cette tricherie lui valut renom de finesse et de modernisme, partant une gloire, qui, dans cent ans donnera fière idée de l’époque à qui feuillettera les collections de nos journaux et revues littéraires.

Sans doute les opinions des laïcs officiels et semi-officiels ne valaient-elles pas mieux que les balivernes du mêle-tout enjuponné. Pour Paul Souday, par exemple, la chose écrite, prose ou vers, devait, avant tout, avoir pour but le divertissement de l’honnête homme. Ainsi, continuait-on à ne voir dans la poésie qu’une mine à sujets de pendules.

D’un article que M. Thibaudet, dans la N.R.F. du 1er janvier 1932 (les belles étrennes ! ) a, sous le titre : Un idéaliste de province, consacré à Victor Bérard, j’extrais ces lignes :

« Lamartine a introduit en France une politique des poètes et une poésie de la politique. Et le sel de la politique ou son âme, ce sont ses poètes. Barrès et Maurras sont les poètes de la politique de droite. Et la gauche ? Elle en a, elle en cherche et elle n’en chercherait pas, si elle n’en avait trouvé. Un jour que, dans une réception officielle, Mme de Noailles passait au bras de M. Herriot, M. Painlevé qui est mathématicien mais fin, les désigna à ses voisins avec ces mots : Deux poètes. Ce sera d’ailleurs une des gloires de Mme de Noailles que d’avoir exprimé au XXe siècle, entre Jaurès et Barrès, quelque chose de ce principe généreux de la poésie, de cette présence du courant lamartinien dans la vie politique française.

Parce qu’elle éclaire cette demi-page, il faut citer cette phrase, à la fin de l’article de M. Thibaudet :

« Au Sénat, Bérard incarnait avec flamme, originalité et invention le meilleur de la République , un mouvement, une liaison, un dialogue entre trois visages de la République , que j’appellerai République des procureurs, République des professeurs, République des idées. »
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Pourquoi ces souvenirs ?


Jolie solidarité que celle d’un monde où des lettres enfermées dans les frontières d’un même mot ne peuvent changer, c’est-à-dire vivre de concert. Constatation dont je ne suis, tout de même, point d’humeur à me faire un petit souper de mélancolie, au milieu d’une nuit solitaire. J’ai laissé, tout simplement, me remonter un peu plus haut que la gorge, au cerveau, quoi ! ces souvenirs vieux de treize ans et sept semaines. Ils ne risquent guère de m’étrangler, m’étouffer, puisque, déjà, les voici hors des zones respiratoires.

Et cependant, si détaché que je sois de ces faits anciens, je pourrais encore les situer, à une minute près, car j’ai le sens, donc la mémoire du temps, avec, en compensation, d’ailleurs, l’ignorance, l’effroi de l’espace. Je ne me sers pas de montre, mais je descends une rue, croyant la monter.

Ainsi, m’égarai-je sous les combles de l’extravagance universitaire et ma jeunesse ne fut-elle pas exacte au rendez-vous qu’elle s’était fixé.

Ici, l’auteur, volontiers, s’attendrirait de n’avoir pas mieux été touché, de n’avoir pas, clavecin selon Diderot, répondu justement à des airs justes, donc collaboré à du mieux. Mais gare à la suie de l’attendrissement. Une très élémentaire politesse ne tolère ni la crasse des scrupules, ni les verrues des regrets. Que chaque pore soit débarrassé de son point noir, la pensée, les pensées dont la nuit, mauvaise conseillère, truffe les insomnieux.

Si je ne dors pas, c’est que, de ma chambre, j’entends une bourgeoisie aux faciès crétinoïdes et poumons ravagés, mener un beau tapage en l’honneur de la Saint-Sylvestre.


Je suis à Davos.
En Suisse.


La Suisse , violon d’Ingres de ma colère. Mais pourquoi m’en prendre à la confédération helvétique, enfin à son avantage, du moins dans les hautes vallées, par ce minuit transparent qui promet un demain matin craquant de gel, et dont la moindre poussière sera une neige éblouissante de cristaux. Et puis et surtout ces pages doivent être des éclairages simples (sans secours, ni maquillage de rouges glorieux, de bleus féeriques, de mauves déconcertants) sur les ponts à ciel ouvert, dans le secret des tunnels qui, entre eux, relient ces îlots de pensée, cités lacustres de systèmes que l’homme, triste castor, au cours des siècles, a construits pour s’abriter, lui et sa pensée.

Il a suffi de quelques tuberculeux déguisés en réveillonneurs pour me ressusciter les grimaces aboyantes d’un vieillard.

Retroussis de babines caduques en train de vous cracher des Montmartre –– êrtre –– êrtre…, pâles sourires dont l’agonie force la pitié, suffisances humanistes et testaments pathétiques, à quelques sauces, douce, triste, martiale, pédante qu’ils s’assaisonnent, dans cette Europe du milieu et de l’Ouest, sous tous les aveux, sous tous les masques, il y a un même et unique noyau d’inadmissible, dont l’acide prussique, à travers les fruits les mieux pétrifiés de la justice, de l’enseignement, de la médecine, de l’hygiène mentale, de l’art, filtre goutte à goutte.

Ce poison, il aura bientôt eu raison de notre cap de prétentions morcelées, dont chacune, pourtant, croyait que son égoïsme l’avait, à jamais, mithridatisée.

Alors, où vont-ils pouvoir se réfugier les individualismes nationaux et culturels, si fiers de se différencier de leurs voisins, pour, à leurs voisins, se préférer ? Qu’importe, pas de quartier. Quand le navire va couler, les rats en fuite n’en sont pas moins des rats.

Salauds !

On les connaît vos écoles, vos lycées, vos lieux de plaisir et de souffrance. Y prenait-on quelque élan, c’était pour aller se casser la gueule contre ces mosaïques de sales petits intérêts, qui servent de sol, de murs, de plafond à vos bâtiments publics et demeures privées.

Digne confrère de toutes les hargneuses théologies, l’humanisme donne pour une pensée libre sa pensée vague, et ainsi décide n’importe qui à reconnaître de droit sinon divin, du moins nouménal, l’exercice de ses facultés et métiers envers et contre les autres. Bien entendu, plus civilisé sera le pays, plus chaude sera la lutte entre individus. Le capitalisme se réjouit de cet état de co ncurrence. Les chrétiens soupirent : Chacun pour soi et Dieu pour tous.

Des langues anciennes, à la maladie, à la mort, en passant par la littérature, l’art, l’inquiétude, les bars, les fumeries et les divers comptoirs d’échantillonnages sexuels, jusqu’ici, pour qui voulait faire son chemin, il s’agissait de se spécialiser c’est-à-dire, sur toute carte de visite réelle ou idéale, d’annoncer, à la suite de son nom, une virtuosité particulière.

Un peu d’habileté, les thèmes les plus ressassés faisaient figure, sinon d’excellent, du moins de très honorable Camembert. Le roman tirait parti de tout. La psychologie, camoufle en mains, vous creusait ses taupinières dans le hachis des désirs, la boue des crachats. Penser, c’était, avant tout, s’intoxiquer de soi-même.
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Linguistique


À la psychanalyse de l’univers, de quel secours pourrait être la linguistique, si cette science, s’agît-il de langues mortes, savait, pour rester ou plutôt devenir vivante, remettre au point du temps qui fut le leur, ces familles de mots, dont, en vérité, elle se contente d’ouvrir les sépulcres, à seule fin de donner à s’extasier sur des cadavres rien que cadavres.

Qu’il entre tant soit peu de dialectique dans l’étude des dialectes (et qu’on ne m’accuse pas de jouer sur les mots, quand, au contraire je joue mots sur table), et le classique jardin des racines grecques et latines, au lieu de faire penser à un dépositoire d’affreux chicots, se repeuplera de ces membres vivants qui vont dans la terre chercher la nourriture des arbres et des plantes, et permettent ainsi, leur maturité aux fruits, à ces grains d’orge dont Engels, dans l’Anti-Dühring constate que « des milliers sont écrasés, bouillis, mis en fermentation et finalement consommés. Mais si un tel grain d’orge rencontre les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, il subit sous l’action de la chaleur et de l’humidité une métamorphose spécifique : il germe, le grain disparaît comme tel, il est nié ; il est remplacé par la plante née de lui, qui est la négation du grain. Or quel est le cours normal de la vie de cette plante ? Elle grandit, fleurit, est fécondée et produit à la fin, de nouveau, des grains d’orge ; et, dès que ceux-ci ont mûri, la tige meurt ; elle aussi, de son côté est niée. Et, comme résultat de cette négation de la négation, nous avons, de nouveau, le grain d’orge initial, mais multiplié, dix, vingt ou trente fois ».

Or, l’examen au microscope analytique des vieilles formes culturelles, à quoi s’obstinent ceux qui prétendent consacrer leur vie à l’étude de l’humain, quel élément de vie décèlera-t-il dans les trente fois centenaires épis de Cérès, ou, même dans les très proches fleurs séchées du romantisme ?

Sous prétexte d’étudier les grains d’orge, on les frustre de la chaleur, de l’humidité indispensables à leur métamorphose spécifique. Deux négations égalent une affirmation : sans doute les grammaires doivent-elles en convenir, mais que cette loi ne se contente pas de régner sur le monde des formes écrites ou parlées, voilà qui décide les spécialistes ès humanités à mettre en conserve ce dont, justement, la faculté de se décomposer sous-entend les germinations futures. Ou encore, et, ici, l’exception confirme la règle, cette faculté de se décomposer, les professeurs dans leurs jours lyriques, en font la vertu intrinsèque d’un temps, d’un lieu, de certains êtres. Ainsi évoquent-ils Néron, l’incendie de Rome, Pétrone qui, et que sais je encore ?

D’ailleurs, ceux qui se penchent sur les squelettes du langage, pour la plupart pauvres impuissants qui vont chercher dans leurs paléontologies l’oubli de leurs manques, en face du présent et de ses créatures, deviennent amoureux de leurs grimoires, tels, de leurs momies, les archéologues. Et ces scatophages de l’antiquité, non point rats, mais vampires de bibliothèque, se décernent à eux-mêmes des brevets de bons vieux savants inoffensifs.

À la Sorbonne , ce musée Dupuytren de toutes les sénilités, j’en ai connu entre 1918 et 1922, une bonne demi-douzaine taillée et s’enorgueillissant d’être taillés sur le modèle d’Anatole France. Au nom de l’humanisme, de quelle gaieté de cœur ils sacrifiaient, à leurs Thaïs poussiéreuses, l’actuel, le vivant. C’eût été risible, si, de ces marionnettes, les programmes officiels n’avaient entendu (et n’entendent encore) faire les mentors d’une jeunesse, la jeunesse, qui, elle, de toute sa bonne foi cherche l’humain. Sans doute, à ce piège, ne se laissent définitivement prendre que les niais parmi les niais. Aux autres, il faut, en tout cas, un sacré bon grand coup de colère, pour se venger du temps perdu et faire aussi et surtout que nul, dorénavant, n’ait à le perdre.
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L’opium du peuple et des autres


Mais s’agissait-il de drogues, la fameuse chanson finale devait être toujours un cantique à la gloire de l’opium du peuple. Un petit coup de musique religieuse. Là, ça va mieux. Ce sont de saintes âmes que les âmes des violons. Quant à celles des orgues, nul ne leur conteste une magnificence archiépiscopale.

Et même ceux qui prétendent ne point tomber dans le piège des confusions mélomaniaques, les disciples modernes de M. de Voltaire, après avoir consenti à répéter la phrase célèbre : « Si Dieu a fait l’homme à son image, l’homme le lui a bien rendu » ces professionnels de l’ironie s’autoriseront de la vieille boutade[2] pour continuer à tolérer, c’est-à-dire encourager, de toute leur fielleuse bonasserie, les idées, les idées chrétiennes que le monde se fit au soir angoissé de l’empire romain.


Les radicaux
trinquent avec les cardinaux,
jolis cocos.
Ma foi, ces messieurs vous rendraient poètes.


L’Église, refuge des cœurs qu’on a sortis de leurs poitrines originelles, des cœurs dont on ne sait que faire, des cœurs perdus, cette idée, bien emberlificotée de mots et motifs à soutaches et soubretaches, on sait qu’elle a servi d’axe à l’une des phrases les plus ronflantes de Barbey d’Aurevilly. Mais, cher Barbey (au fait, ne dit-on pas crotté comme un barbet), mais, cher Crotté d’Aurevilly, faut-il que la soûlerie à l’eau bénite ait obscurci votre intelligence si souvent fulgurante des êtres et des idées, – n’est-ce pas historien des Diaboliques et de La Vieille Maîtresse , – pour que vous n’ayez pas même soupçonné que l’Église, afin de ne point demeurer vide, s’était justement donné à tâche de faire en sorte qu’il y eût beaucoup de cœurs perdus, de cœurs, d’âmes sans corps, en réponse à la vieille image des corps sans âme.

Les solitaires les plus brillants, ceux qui se sont arrangé une petite coquille dont la nacre accroche, retient, renvoie les rayons du soleil, ceux dont la gourmandise s’est trouvé une petite cachemite aussi bien dorée que croûte de pâté, ceux qui ont connu la gloire, puis feint de très exaltants mépris, ne savons-nous pas que leurs réduits, leurs tours d’ivoire, finissent toujours par sentir la croupissure d’eau bénite, le pipi de chaisière, les aisselles de sacristain et le nombril de chanoine.

L’aile de l’imbécillité dont Baudelaire s’est senti effleuré, mais elle se confondait avec la membrane des chauves-souris, le velours empoisonné des religions qui flattent, caressent, enveloppent celui que la société a désossé, démusclé, décartilaginé. Homme poreux à la détresse, l’Église, autour du cerveau, glisse, d’abord, son impondérable encens, puis c’est la gélatine des oraisons, et, en compresse de sirop d’opale, la lumière des vitraux. Alors, se mettent à sonner les cloches, les cloches, comme, lorsque parvenu au point culminant de l’anesthésie, on sait qu’on va retomber de l’autre côté. Du côté de la mort. Cette fois, l’opération consiste à empiler l’un sur l’autre, en paquets, tous ces feutres de sournoiseries, dont la pression, digne collaboratrice des scléroses organiques, ne fera point quartier aux méninges.

L’Église, tous les chemins lui sont bons, et elle s’en vante : Tous les chemins mènent à Rome. Ainsi, alors que, dans le privé, un ratichon qualifiait de sacrements du diable les drogues et l’inversion, les ambassadeurs de l’Église, ses représentants officiels et semi-officiels cherchaient des recrues, des alliés parmi ceux-là mêmes qui n’avaient jamais eu d’autres soucis que de communier à ces tables.
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À propos d’une chanson de geste


Mais puisque langage et histoire de langage il y a, comment ne pas évoquer ce vieux pantin, qui, pour l’ouverture des cours de la Faculté des Lettres de Paris, la veille même de l’armistice, éprouva d’un râpeux bégaiement, ma bonne volonté toute neuve.

Il devait expliquer un texte de vieux français : Gormont et Isembart.

À cause du titre de cette chanson de geste et surtout du nom qui, dans le titre, faisait penser à quelque Isabeau (Isabeau de Bavière, s’entend) je m’étais plu à imaginer une histoire d’amour. Hennins et trouvères, je n’étais pas en avance pour mes dix-huit ans, mais, au sortir de l’aristocratique Janson-de-Sailly, le désir d’être autre chose qu’un sportif, un ingénieur diplômé du Gouvernement, témoignait d’une soif de connaissance bien insolite pour le 16 e arrondissement. Hélas, Isembart n’était pas Isabeau. Il s’agissait non d’amour, mais de guerre, autant que j’en pus juger par le distique initial :


En alt vois s’est escrié
Vous estes en dol tut fines…


que, deux heures durant, un vieux fou se contenta de répéter avec, pour tout commentaire, de multiples aboiements qui reprenaient les mots, un à un, et nous servaient, à propos de la moindre voyelle, tout un jeu de rauques vocalises.

Après ce beau début, je m’abstins plusieurs mois d’aller puiser aux sources du vieux français. Mais, un jour, égaré dans les couloirs, j’entendis de tels glapissements, que je poussai la porte qui se trouvait, comme par hasard, être celle de la salle où mon bon maître (ainsi doit-on dire, n’est-ce pas, quand on évoque les belles années de jeunesse et les leçons qui valurent à ces années d’être belles) se livrait à d’infinies variations sur l’a de Montmartre. Alors, peu expert ès bals musettes, le spectacle de ce podagre qui jouait de l’accordéon avec une voyelle me retint. Il allait du circonflexe à l’aigu, parvenait aux confins de l’e, se baissait pour en ramasser un qu’il servait grave, presque gras, mais, bien vite, asséchait. Pendant qu’il y était, sûr qu’il aurait pu faire passer la colline des Martyrs du passif à l’actif, tirer un peu sur l’e, le détendre et nous servir un Montmeurtre qui eût, à la fois, témoigné du juste retour des choses et aussi du sens prophétique de ceux qui, en faisant de ce mamelon le Mons Martyrum, lui avaient préparé une évolution phonétique parallèle à son évolution sociale.

Le vieux palotin se contentait, il est vrai, de jongler avec des Montmertre, à tel point inoffensifs que, mis à bout par ce défaut d’imagination, et, en même temps, tout pénétré de Jarry dont on venait de rééditer Ubu roi, je murmurai, malgré moi, Montmerdre.

Or, à peine avais-je interrompu la série des mertre, mertre, mertre, mertre, dont la quasi-uniformité (j’ose même dire l’uniformité pour une oreille de non-initié) semblait, de leurs répétitions, avoir saoulé celui dont la bouche les proférait, que je craignis un malheur. Rendu par ma faute à un monde qui n’était plus celui des incantations philologiques, n’allait-il pas se casser le cou, tel le somnambule, dont, se trouve ramené à la conscience le sommeil errant au-dessus des toits ? Mais lui, au contraire, avec élasticité rebondit, répondit en contestant le d de merdre, car, affirmait-il, une métamorphose de voyelle ne pouvait décider aussi aisément d’une métamorphose de consonne, surtout si, entre la voyelle et la consonne en question, une autre consonne mettait sa barrière.
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