Azizah de Niamkoko /
Henri Crouzat (1911-1966)
Nous sommes en Afrique équatoriale en 1946. Sur le fleuve au cours devenu maigre en raison de la sécheresse, une longue pirogue glisse lentement sur les eaux pourries. le piroguier manie avec dextérité sa longue et lourde perche, évoluant adroitement entre les bancs de terres émergées.
À l'avant de la pirogue une jeune femme enroulée dans un pagne coloré regarde défiler les berges. À sa coiffure on sait que c'est une Peuhl, une étrangère à la région. Elle est belle et respire la gaieté. Elle a fait ce long voyage pour tenter de connaître la richesse, le bonheur et la gloire, suivant en cela les conseils de sa mère agonisante qui lui a donné une adresse pour trouver du travail.
le village de Niamkoko n'est plus très loin et la jeune fille abreuve le piroguier de questions sur le village et ses habitants dont un certain Enny auprès de qui la jeune fille est recommandée. Il s'agit d'un Blanc qui dirige une maison de commerce.
Arrivé à destination, le piroguier donne son nom à la jeune fille. Il s'appelle Akou ; il est originaire et habite Niamkoko et sera là si elle a besoin d'aide.
Au village, Enny le solitaire regarde la pluie tomber en trombes : c'est la saison des orages et depuis vingt ans qu'il est installé ici, le scénario est le même. Soudain il entrevoit à quelque distance un groupe de jeunes poursuivre une jeune fille à moitié nue sous la pluie battante …
C'est chez Enny que la jeune Peuhl vient chercher refuge… Elle est belle, elle doit avoir seize ans, c'est une métisse, Enny en est convaincu…Ses premiers mots sont un choc pour Enny qui comprend parfaitement le dialecte peuhl mais ne saisit pas le sens de la phrase : « Tu es mon père et je viens te trouver ! » Et plus loin : « Je m'appelle Azizah ».
La belle Azizah, avec aisance et désinvolture va venir troubler inévitablement la quiétude de Niamkoko, faisant de nombreux envieux qui voient en elle, la métisse, une « Blanche » qui rehausserait leur statut social s'ils pouvaient en faire leur compagne officielle. Mais la belle ne s'en laisse pas conter et protégée d'une part par le vieux Enny et guidée par Akou qu'elle revoit épisodiquement, elle mène sa vie entre la boutique d'Enny tenue par un certain Kouffo qui a des projets bien arrêtés concernant l'avenir d'Azizah, et la case d'Enny. Sans oublier les allers et venues d'Olivier de Villevieux, le colon créateur d'une immense sisaleraie, un géant ami de Enny qui a aussi des vues sur la svelte métisse. Jusqu'au nouveau et jeune petit juge, juste arrivant qui tombe follement amoureux d'Azizah sans lui avoir jamais parlé…
Ce roman publié en 1959, c'est-à-dire à une époque où la France était encore la puissance coloniale que l'on sait en AOF et en AEF, donne une image littéraire très colonialiste mais pertinente et très drôle du Togo. L'auteur est très critique mais avec beaucoup d'humour non seulement à l'égard des colons notamment les fonctionnaires venus de France pour une durée déterminée, mais encore à l'encontre des « Nègres » comme l'on disait encore à l'époque. Il faut se rappeler que le régime de l'indigénat qui donnait tous les pouvoirs à l'Administrateur resta en vigueur dans les colonies jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale. Ce n'est que peu après que les colonies furent soumises aux lois de la République Française.
Une fresque savoureuse, magnifique et colorée, passionnante et pleine de tendresse, où les coloniaux pour leur médiocrité et les colonisés pour leur immaturité, en prennent pour leur grade, sous l'oeil résigné d'Enny et attendri d'Olivier, les deux amis indéfectibles. Un roman, une satire même, archétype de l'aventure coloniale d'après-guerre.
Henri Crouzat, né à Albi en 1911, architecte et urbaniste de son métier, arriva en 1946 au Togo pour la construction du CHU de la capitale Lomé et par la suite se consacra à l'écriture. le roman qui a connu un très grand succès dès sa publication a été adapté pour la télévision en 1986.
Henri Crouzat fut taxé de colonialiste. En 1959, ce n'était pas un délit ( !) et j'ai pensé par ailleurs comme d'autres que pour apprécier ce roman, il fallait être sorti de son petit village français.
Pour la petite histoire, ne cherchez pas Niamkoko sur une carte : cette ville est imaginaire, et son nom est issu du début de trois villes : Niamey, Conakry et Cotonou. de même la capitale de l'état imaginaire Kobilonou est issu de Conakry, Abidjan, Lomé et Cotonou.
Lu une première fois dans les années 70, cette relecture plus de soixante après la sortie du livre montre que beaucoup de choses ont changé, mais pas toutes…