L'accouchement dit "sans douleur" a longtemps provoqué l'indignation vertueuse de ceux qui affirmaient : "Une femme qui accouche sans souffrir ne pourra pas aimer son enfant".
Le grand Médecin Velpeau en 1843 soutenait qu'il était "ridicule de penser qu'une substance matérielle pouvait agir sur une souffrance immatérielle". Mais quand l'anesthésie est apparue au XIXe siècle, il a changé d'opinion et s'est opposé à Magendie, un autre grand nom qui s'indignait que "ceux qui donnent de l'éther enivrent leurs patients, au points de les réduire à l'état de cadavre que l'on coupe [...] sans aucune souffrance [...] ce qui est contraire à la morale ".
La spiritualité, elle, est une élation intime, intemporelle qu'éprouve tout homme, même quand il prétend vivre sans dieu.
Dès que le système nerveux sélectionne les informations, dès que les mots mettent en lumière certains segments de monde, il mettent à l'ombre tout ce qui n'est pas dit.
Tout mot possède un halo de significations différentes qui provoquent en nous des sentiments différents.
Le corps est au monde, alors que l'âme est une vérité invisible, intensément ressentie. Les mots qui parlent du corps désignent des réalités palpables, alors que ceux qui évoquent l'âme indiquent une représentation abstraite qui donne forme à un monde un imperçu.
Notre capacité à penser l'absence agit sur le réel comme le font la parole, l'imprimerie et Internet. Ainsi se crée un monde virtuel qui modifie le réel.
Assez curieusement, ce sont les théories de l'attachement qui m'ont apporté l'outil le plus efficace et le plus cohérent pour penser ce mystère : comment une instance invisible, permanente et puissante peut-elle agir sur l'âme des êtres humains et modifier le fonctionnement de leur cerveau, de leur esprit, des relations affectives et des organisations sociales ?
Depuis quelques années, les études scientifiques apportent quelques réponses inattendues. Quand le fonctionnement du cerveau est modifié par une représentation divine, les circuits émotionnels marchent différemment et entraînent des changements neurobiologiques. Alors, l'expression des émotions modifie les interactions, tisse différemment les liens d'attachement et hiérarchise un éthos, d'autres valeurs culturelles qui organisent une manière de vivre ensemble, d'affronter le malheur et de réaliser quelques rêves.
J'éprouve pour les enfants-soldats, pour mes patients, pour mes amis praticiens et chercheurs un sentiment de gratitude pour m'avoir lancé dans cette aventure imprévue.
Dieu souffre quand le mal existe. Mais ce que nous venons de découvrir de la psychothérapie de Dieu nous aide à affronter les souffrances de l'existence et à mieux profiter du simple bonheur d'être.
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« Psychothérapie de Dieu », Boris Cyrulnik, éd. Odile Jacob © 2017
Le psychisme a horreur du vide, l'angoisse nous saisit quand nous sommes au bord du gouffre, du néant, de la mort, de l'infini. Vite, remplissons ce désert de sens en produisant des entités, des sentences nostradamiques mystérieuses et poétiques, des images, des chants, des mots et des gestes auxquels nous donnons le pouvoir d'agir sur le réel invisible. L'esprit humain est un « grand fabricant de dieux »
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Ceux “qui croient” en Mao Zedong, en Socrate ou en Descartes se crispent quand on critique leur rôle intellectuel parce que la référence à ces penseurs “surhumains” possède un effet socialisant et sécurisant, comme la croyance en Dieu. Partager leurs pensées donne cohérence au groupe. Quand on lit les mêmes livres, les mêmes journaux, quand on va voir les mêmes films et qu'on se réunit pour en parler, on réalise un réseau, en amont d'Internet. Il est plus lent à tisser, mais plus émotionnel. On s'harmonise et on s'affecte en partageant les mêmes idées. Ceux qui critiquent Mao, Socrate ou Descartes altèrent notre harmonie relationnelle. Il faut les éviter et en dire du mal pour préserver notre unité, mais il n'est pas nécessaire de les envoyer au bûcher. Alors que ceux qui accèdent au “sacré” éprouvent la moindre critique comme un blasphème, une agression contre Dieu qui mérite une extrême punition. L'exclusion, la prison, l'excommunication ou le bûcher sont à la hauteur de l'insupportable blessure. Pour un sans-dieu, c'est une égratignure ; pour un croyant fervent, c'est un épouvantable fracas.
L'esprit démocratique fait évoluer les groupes sociaux vers une créativité désordonnée. Alors, pour éviter le sentiment de chaos, c'est le plus démocratiquement du monde que ces sociétés élisent un dictateur. Lui saura imposer une ligne de pensées claires et un bref catalogue de certitudes. Cette clarté simplifie tellement les problèmes qu'elle mène à la mort de la pensée.
L'accès à la théorie de l'esprit est une ontogenèse, une construction constante de l'idée qu'on se fait des autres. Une telle composition nous permet de vivre ensemble en se référant à une instance commune ...
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