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EAN : 9782930601045
158 pages
Zones Sensibles Editions (23/06/2012)
4.35/5   30 notes
Résumé :
En 1980, un an après l’accident du réacteur de la centrale de Three Mile Island, le Comité américain de l’énergie atomique fait pression sur le Congrès pour que tous les déchets nucléaires du pays soient stockés sur un seul site. Ce sera Yucca Mountain, à 140 kilomètres de Las Vegas, Nevada. Ce livre révèle les moindres détails de ce projet d'enfouissement massif : les dizaines de millards de dollars nécessaires pour aménager la montagne ; le rôle des lobbyistes pro... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Ouvrage mutant, typique de cette superbe maison d'éditions qu'est Zones Sensibles. Déroutant, tant par la forme que le fond, ce court livre refuse d'être synthétisé.

Il s'agit d'un film documentaire cinématographique réalisé à l'aide de mots. Une Lucarne écrite.

Las Vegas comme noeud central du Rêve Américain, dont Hunter S. Thompson déjà en cherchait l'existence dans "Fear ans Loathing in Las Vegas", décor de ces interrogations nombreuses, qui n'appellent pas d'autres réponses qu'un relativisme contraint, qu'un désarroi devant cette civilisation qui ne peut que disparaitre.

L'ombre de David Foster Wallace plane au-dessus de son désert: en plus de sa "phrase de presse" — adoubant D'Agata comme écrivain majeur — reproduite sur la 3ème de couverture, une vraie parenté stylistique et conceptuelle peut être établie, jusqu'au vertige de la conclusion, prolongée et précisée dans son livre suivant "Que faire de ce corps qui tombe"; car on peut considérer que le sujet principal, s'il y en a vraiment un à ce livre, est le suicide de cet adolescent de 16 ans, et pas de cette montagne, dont le titre original anglais s'y réfère, "About a mountain" .
Pourtant, c'est bien de cette Yucca Mountain qu'il s'agit lorsqu'on démarre le texte, projet de site d'enfouissement centralisé des déchets nucléaires américains, dont le lecteur se rend bien compte, suivant l'examen de certains faits dûment sourcés (le système de notes de fin d'ouvrage est d'ailleurs très bien fait, évitant toute lourdeur nuisant au déroulé du texte), que ce projet n'est qu'un vaste enfumage...

Mais nous ne sommes pas en présence d'une véritable enquête ... non. On ne convoquera ni Jancovici ni Sortir du Nucléaire. C'est de Volodine qu'on aurait besoin, et de sa Mémé Oudgoul pour liquider chaque boulon, chaque bloc de béton, possiblement irradiés dans n'importe quel scénario d'accident — ce qui finit par arriver — formant ces constructions humaines tellement précaires... poussant l'auteur vers la défaite, la Vérité abattue par la Fabrique de l'Ignorance (voir reportage du même nom disponible sur Arte), le lecteur se chargeant de compléter ce dont il a besoin.

Ne reste pour le moment que ce Cri d' Edvard Munch.

Vous l'aurez peut-être compris, ce livre continuera de s'écrire en vous, ses 160 pages se multiplieront par centaines dans votre esprit, mais aucune réponse ne sera apportée, dédiée "à celui que je n'aurais pas aidé".
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Comme les courbes de niveaux démasquent l'emprunte du Cri tourmenté de Munch sur la carte d'une montagne abrupte, on peut comprendre ce rapport d'analogie en détaillant la remarquable couverture de ce livre:
« Inscrire des légendes dans les lieux, telle apparaît être l’une des fonctions de l’objet cartographique. Cela, à des fins de mémorisation et d’anticipation. La carte possède en elle des réserves d’espace qui peuvent être mises à profit pour une lecture ou une trajectoire personnelle, en vue aussi de situer dans les entrelacs du plan des images mythiques ou emblématiques qui scellent, d’usager en usager, des appropriations successives ». (1)

L'image élaborée par l'excellent studio graphique Theatre of Opérations (2) augmente spontanément le propos du livre, elle en compose une interprétation visuelle synthétique et pertinente qui offre à la lecture silencieuse un prolongement inattendu et riche des intentions d'un second auteur. L'écrivain ne pouvait espérer meilleur préfiguration de son texte, et le lecteur de se perdre avec bonheur dans les conjectures, et dans le sentiment de manipuler un objet autonome, complexe, polysémique, et donc estimable.
À l'appui de ce projet éditorial précis et militant, on pourrait argumenter sur la validité sémantique du livre en tant qu'objet et interface cognitive: Le mille-feuille relié que l'on feuillette, que l'on effeuille, que l'on parcours au gré des circonstances et que l'on peut annoter, marquer, user, classer, cité, refermer - Boîte bavarde mise en sourdine, dont l'enveloppe poursuit cependant le dialogue avec ses lecteurs en puissance.
Nos chères voitures passent 90% de leur temps immobilisées dans l'espace urbain, mais nous savons ce qu'elles recèlent de potentialités mécaniques et affectives derrières leurs carrosseries cosmétiques. Quelques connaisseurs d'entre nous peuvent même en estimer la valeur et les performances plus finement et même en critiquer la conception en se fondant sur l'analyse de tendances et d'expériences accumulées.
Un livre n'est pas si différent, si ce n'est qu'il renferme une extension de la Mémoire ventilée par l'imagination, et que l'intelligence de son contenu se bonifie, Idéalement, au fil des lectures.

Que la précision géomorphique d'une carte d'état-major figure les tourments expressionnistes du fameux Cri de Munch est à la fois captivant pour la rhétorique qu'il fait naître dans les replis des rapports d'échelles, et formidablement stimulant compte tenu du discours élaboré dans le livre. La valeur du Cri de Munch réside dans son paysage fauve et turbulent; si ce n'était l'oblique du pont qui tire les fuyantes d'une perspective hors du cadre, toute la scène participerait à la déliquescence d'un seul et unique plan où semble se dissoudre la figure du cri. L'effroi imprimé sur le visage se comprend dans le paysage qui l'encadre, et le ciel empourpré peut se concevoir comme l'expression inquiétante d'une raison anéantie, d'un monde intérieur vomit par « un cri infini [...] qui déchirait la nature », selon les propres mots d'Edvard Munch.
La projection cartographique de cette image iconique fait l'exégèse formelle de cette analyse au moyen d'une syntaxe différente mais attachée à une problématique similaire: Représenter le monde, n'est-ce pas le ramené sans cesse à notre échelle anthropocentrée?

« Dans chaque cycle de l’univers, les choses seraient l’œuvre de l’action des humains, […]. Si les arbres donnent des fruits et si le blé pousse dans les champs, cela est dû au mérite des hommes. Selon cette doctrine, la géographie est une projection de l’éthique. » (3)

Si la géographie et ses représentations forment bien une projection de l'éthique, celle que trace l'auteur a pour contours l'immoralité, et tout son système narratif consiste à en faire la démonstration en confrontant plusieurs réalités distinctes mais significatives d'une même dérive de la pensée, une dérive coulée dans les paysages arides du Nevada où l'esprit pionnier américain s'est peut être dissous dans le lucre, et ou s'étale une Babylone suicidaire gouvernée par les simulacres.

À 140 km de Las Vegas, au beau milieu du désert de Mohave, l'état fédéral prévoit l'enfouissement de la totalité des 38 000 tonnes de déchets radioactifs du pays au cœur d'une montagne oxydée par les ères géologiques. Ce devait être le plus grand site d'enfouissement du monde (4), et on mobilisa d'innombrables acteurs de toutes disciplines pour répondre à ces questions fondamentales: Comment convaincre habitants et administrations des bénéfices d'une telle folie? Comment acheminer cette invraisemblable quantité de matière létale? Comment sécuriser son stockage définitif à l'abri des péripéties du monde? Quel est le seuil acceptable de la catastrophe? Quels pourraient en être les conséquences sur la balance des bénéfices? Comment, avec des moyens humains, contenir l'incalculable échelle de temps qu'imposent l'hyperactivité de résidus tels que le plutonium? Quand ces déchets auront, estime-t-on par convention, perdu la moitié de leur phénoménal pouvoir de destruction, l’humanité aura parcouru deux fois son histoire depuis l'invention de l’écriture, nos langues actuelles seront mortes, la géographie du monde méconnaissable. 10 000 ans auront passés, et nous savons que cette durée fait bouger des montagnes et qu'aucune civilisation ne survit à pareille amplitude.
Alors cette dernière question: Quelle doit être la forme d'un avertissement laissé aux sociétés de ce futur inintelligible? Un langage essentiellement périssable peut-il délivrer un message éternel? C'est l'une des questions les plus absurdes et passionnantes que pose le livre, question à laquelle le géoglyphe qui orne sa couverture apporte une réponse formelle et poétique.
Que dix millénaires d'érosion puissent sculpter ainsi une montagne empoisonnée, révélant le cri pétrifié de ceux-là même qui ont œuvré à leur propre perte, voilà une autre interprétation qui ne manque ni de poésie ni de sourdes menaces.
« J’ai gravé cela dans la montagne, et ma vengeance est écrite dans la poussière du rocher. » (5) Telle pourrait être la légende de ce lieu perdu pour la vie.

John d'Agata est un pourfendeur de la "nonfiction" qui est le dogme des essayistes outre-atlantique, et l'enquête documentée qu'il mène à Las Vegas procède autant de l'exposé factuel journalistique que du récit romanesque. Le livre joue de variations concomitantes pour composer un requiem aux ambitions de la vanité humaine, et tisse des liens d'analogie ou de causalité entre faits, statistiques, témoignages, souvenirs et littérature pour parvenir à cette fin. Yucca Mountain compose ainsi le portrait virtuose et digressif d'une géographie démesurée où l'humanité semble asservie par ses propres moyens, saoulée d'abondance et de signes coercitifs.
Lorsqu'un adolescent se jette de la plus haute tour de Sin City, l'indifférence succède à l'incompréhension. Un suicide parmi d'autres, c'est une économie de mots, ou un abus de langage, un cri définitif. C'est aussi, nous dit l'auteur, un acte qui fait sens, un signe obscur dans l'Histoire.

« Le soir venu vous dites ‘Beau temps, car le ciel est rouge’, et au matin ‘aujourd’hui tempête, car le ciel est rouge sombre’. Le visage du ciel, vous savez l’interpréter, mais les signes des temps, vous ne le pouvez ». (6)

(1) Christian Jacob & Frank Lestringant, Les îles menues, in Arts et légendes d’espace, PENS, Paris 1981
(2) http://www.theatre-operations.com/portfolio/whoiam/
(3) Qu’est ce que le Bouddhisme?, J.L.Borges et Alicia Jurado.
(4) L'administration Obama a mis un terme à ce projet en avril 2011.
(5) Aventures d'Arthur Gordon Pym, Edgar Allan Poe.
(6) Matthieu 16, 2-3
Lien : http://www.senscritique.com/..
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En 1980, un an après l'accident du réacteur de la centrale de Three Mile Island, le Comité américain de l'énergie atomique fait pression sur le Congrès pour que tous les déchets nucléaires du pays soient stockés sur un seul site. Ce sera Yucca Mountain, 140 kilomètres de Las Vegas, Nevada. Un livre qui révèle les moindres détails de ce projet d'enfouissement massif...
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J'avais écrit un article pour une ONG en 2008, sur la bagarre qui opposait à l'époque les Shoshones à l'administration Bush quant à la création d'un site de stockage des déchets radioactifs... au sein d'une montagne, pas loin de Las Vegas : Yucca Mountain.
Quelques années plus tard, John d'Agata s'empare du sujet (c'est une chronique de Fabrice Colin qui m'a remise sur la piste de Yucca...) pour nous présenter un drôle de livre, à mi-chemin entre le roman, l'essai et le documentaire. le point de départ est un déménagement à Las Vegas pour la mère de l'auteur, à l'arrivée, ce dernier s'interroge sur le suicide d'un jeune homme. Entre les deux, des pages parfois délirantes consacrées à un projet de fous, démesuré, né du cerveau d'une Amérique détraquée, ne connaissant pratiquement plus de freins ni de limites. Projet mortifère conté sur un mode presque humoristique, oscillant entre l'absurde et le tragique. Pour les amateurs, on y croisera un portrait peu flatteur d'Edward Abbey et une anecdote mélancolique sur Edward Munch dont le Cri orne si symboliquement la couverture de l'édition française. Un récit peu banal qui transperce le coeur et laisse autant mélancolique que sonné. Pour information, le projet a été abandonné il y a peu... il risque fort de ressurgir, sous une autre forme, car il semble bien qu'avec le nouveau président américain, folie et démesure ne soient pas près de disparaître...
Lien : https://labibliothequedefolf..
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Est-il possible de stocker des déchets nucléaires dans une montagne à 140 kilomètres de Las Vegas ? Comment peut-on faire passer ce projet pour écologique auprès de la communauté ? Combien de temps, avant que les entrailles de la montagne ne deviennent dangereuses ? Combien, avant que le passage régulier des camions de déchets n'affecte la santé des habitants de Las Vegas ?

Essai, documentaire, récit, reportage… Yucca Mountain défie les étiquettes dont on voudrait l'enrober pour se concentrer sur l'essentiel : la naissance d'un projet d'enfouissement massif ubuesque et ses conséquences sur les esprits. John D'Agata a la finesse de ne pas produire un énième cri écologique agressive à courte portée (contrairement à ce que pourrait penser la -superbe- couverture)...

La suite par ici : http://www.delitteris.com/au-fil-des-pages/yucca-mountain/
Lien : http://www.delitteris.com/au..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
La durée de vie de l'encre noire des stylos en plastique est estimée à quatre ans et demi. L'encre bleue des stylos en plastique commence à s'effacer au bout de deux ans. Et le papier journal n'a pas vocation à durer plus d'un jour.
Les scientifiques ont déjà des difficultés pour déchiffrer le langage technologique de l'UNIVAC, le premier ordinateur commercialisé à la fin des années 1960.
Et même les couches de plastique crypté au laser des disques compacts peuvent commencer à se décoller au bout de quarante ans.
Kodak dit qu'une photographie en couleur tient trente ans. Les cassettes vidéo quatorze. Les bandes magnétiques, sept.
Les tracés dans le ciel laissés par les avions durant environ neuf minutes.
La durée de vie d'un rayon de soleil est de six minutes.
Et les rayons lumineux émis chaque soir par la lune sont si rapides qu'ils disparaissent au bout d'une seconde.
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Je ne crois pas que Yucca Mountain soit une solution ou un problème. Ce que je crois, c'est que la montagne est le lieu où nous sommes, le point où on en est - un lieu que nous avons étudié en long et en large, plus que n'importe quel autre endroit du monde - et qui pourtant reste inconnu, révélant l'étendue de la fragilité de ce que nous pouvons connaître.
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Cet après-midi-là, le pouvoir politique de la chambre du Sénat adopta le projet du site de Yucca Mountain par 60 voix pour et 39 voix contre. Ce résultat avait été prédit deux semaines plus tôt par le Centre for Responsive Politics basé à Washington, qui révéla que durant l’été où le projet de Yucca Mountain avait été voté au Sénat, l’industrie du nucléaire avait versé plus de 30 millions de dollars, provenant d’individus, de financements de campagne et de fonds non réglementaires, à plusieurs sénateurs américains, dont environ 56 000 dollars à la sénatrice de l’Arkansas Blanche Lincoln, 98 000 dollars au sénateur du Nouveau-Mexique Jeff Bingaman, et 109 000 dollars à la sénatrice de Louisiane Mary Landrieu, les trois sénateurs sur les quinze démocrates à avoir perçu des dons de l’industrie du nucléaire en moyenne deux fois plus élevés que ceux reçus par les sénateurs ayant voté contre le projet.
« American Nuclear Insurers, Enron, General Electric, Pacific Gas and Electric, Westinghouse… et j’en passe », dit le sénateur Harry Reid, quelques minutes à peine avant le vote, énumérant des groupes de pression qui avaient cherché à influencer le vote. « Ce sont ceux qui sont arrivés en limousine avec des chaussures Gucci pour s’assurer que la loi allait bien passer. »
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Intitulé Évaluation de l'impact environnemental du projet de Yucca Mountain, ce rapport de 65 000 pages comportait des milliers de références annexes à des centaines d'autres études, qui par commodité avaient été réunies sur deux disques compacts à l'aide de liens hypertextes. S'il avait fallu imprimer et relier un exemplaire pour chaque membre du Sénat, ce rapport aurait nécessité 23 tonnes de papier, se serait étalé sur plus de deux kilomètres et aurait facilement recouvert le sol de la Chambre d'environ un mètre d'épaisseur.
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« Avant, tout était vert, à perte de vue. Des prairies… des prairies… il y avait des prairies vertes partout », dit Ethan. « C’est ça, le projet de Summerlin, faire revenir la nature. »
À Las Vegas, on trouve aujourd’hui un Country Club Meadows, une maison de retraite Golden Meadows, un Meadows Coffee, une bijouterie Meadows, un courtier en prêts Meadows, une verrerie Meadows, un hôpital Meadows, un concessionnaire Meadows, un retoucheur et une animalerie Meadows. L’école privée Meadows Country est une école qui accueille les enfants de la maternelle à la fin de l’école élémentaire. Le Women’s Center Meadows est situé dans le centre commercial Village Meadows. Le terrain de caravaning Meadows a une liste d’attente pour ses emplacements. Et sur le fronton de l’Église de la Lumière Meadows, il y a un Christ.
Pieds nus, les chevilles blanches, il prêche dans une prairie.
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