- Poésie et création dans une dystopie privatisée et mortifère 💱
Une vraie pépite que ce recueil, 10 histoires courtes, percutantes, aux identités très marquées, du plutôt pragmatique comme « les Hybres » au plus ésotérique avec « Sam va mieux ». J'ai beaucoup de mal avec les recueils de nouvelles, et a fortiori s'il s'agit d'en faire une critique, mais c'est pour le coup un format fantastique pour la plume de
Damasio : elle peut y exprimer sa fulgurance, y concentrer sa ferveur, ses couleurs, sa poésie, son originalité. Probablement l'une des oeuvres de fiction les plus soignées, réfléchies, et viscérales que j'aie pu lire jusqu'à présent
Les thèmes abordés sont passionnants et allégorisés avec justesse et créativité.
Nous est proposée une forte critique de l'addiction et de l'omniprésence du marché et de la technologie, de la rupture des liens réels au monde et aux autres pour domestiquer, quantifier et vendre les aspects les plus naturels, intimes et humains de la vie.
Réifier tout ce qui ne devrait pas l'être -et qui devrait n'être qu'éprouvé- : l'écart, l'absence, la fugacité et le caractère unique du présent, …
Tout ça isole les gens et les tue, par le retrait de tout ce qui fait que la vie est réellement vécue, que les secondes, minutes et heures qui passent sont incarnées. Attribution d'une valeur commerçante à ce qui ne se mesure pas, ce qui n'a pas de prix, ce qui échappe et transcend, descriptions et chiffres
Au delà de ça, une peur du trans humanisme, qui ferait perdre ce qui constitue l'essence vitale de l'humanité, et serait une forme de mort
En solution, en contrepoint, une passion pour la vie, l'insaisissable, l'énergie, le tumulte, avec thème récurrent de la naissance, de la création, de la nouveauté
(Ce qui suit c'est juste mes notes, contient du spoil et pas nécessairement intéressant)
Les Haut-Parleurs :
Critique du capitalisme, anticipation d'un libéralisme qui irait jusqu'à privatiser la langue
Annah a travers la harpe :
Conséquences du remplacement progressif du contact humain et parental par de la technologie pour tout et pour rien. Suréquipement motivé par la crainte (insufflée par les entreprises) et la paresse.
Intrusivité morbide des biens de consommation, objets comme produits intellectuels -pubs, informations, slogans,…-
Les cercles de l'enfer, matérialisés dans la technologie qui étouffe, isole, trompe et sépare
Thème que l'on retrouve dans la Horde : pour faire revivre Annah, il doit se rappeler des moments vraiment vécus, cad ceux de découverte du monde, de proximité humaine émotionnelle -s'y opposant les données froides de la technologie qui a remplacé ce lien et instauré de la distance, piteux ersatz d'expériences et de liens vrais-
Le bruit des bagues
L'amour et les rencontres dans une dystopie ultra technocratique et technologique, où tout est stérilisé, théorisé, marketé. Plus rien n'est authentique, tout est calculé et planifié, tout est modifiable et modifié pour être le plus rentable possible.
Chaque volonté, échange et contact est quantifié, mis à prix et vendu, jusqu'au prénom même de chaque personne
C@PTCH@ :
La technologie a remplacé toute vie, tout converti en données, tout dématérialisé
Éloge de la virtualisation, de la transformation en lignes de codes et formats informatique : confort de l'existence sans contrainte physique, de la transformation en un élément virtuel
Sacrifice de sa vie en réduisant son existence à la technologie et aux succès et interactions virtuelles
Séparation parents - enfants par la technologie
Critique de l'archivage de toutes les informations, de l'essentialisation de tous en leurs données mesurables
So phare away :
Allégorie des réseaux sociaux
Communication par la lumière, chacun depuis son phare, apparu lors de la dernière marrée de bitume qui noie la ville viciée par le smog.
La communication excessive, par tout le monde, tout le temps, souvent stérile, fait disparaître toute l'importance de l'expression, noie les messages importants dans un brouillard de trop-plein d'informations, et empêche les gens de réellement communiquer ce qui compte
Plus de contraste, plus de vide, plus d'absence, plus de place pour faire valoir une réelle émotion, intention ou idée travaillée
Les Hybres :
Moins profond que les autres nouvelles, mais excellentissime récit, à l'univers très créatif et immersif
El Levir et le Livre
La quête de l'expression de l'absolu, de la nature mouvante et changeante de toutes choses et -plus important- de leurs liens
Message d'amour à la littérature et à l'art qui veulent représenter l'abstrait, parler de l'inexplicable et reproduire tangiblement l'énergie insaisissable de toute chose
Sans chercher à expliquer ni apprendre quoi que ce soit qui soit déjà instinctivement su, l'artiste veut donner la vie, créer un flux, une énergie, un nouveau courant au tumulte harmonieusement chaotique de l'univers
Sam va mieux :
L'écoute du mouvement des éléments permet d'entendre la parole de toute chose, par anthropomorphisme certes, mais en rejetant les oeillères de l'exclusivité du langage articulé, en épousant la prosodie ésotérique de l'univers
Le langage des choses est le témoignage de leurs interactions, liens, échanges
L'importance d'apprendre cette langue universelle est que cela mène à l'accomplissement, à la création : quand le manque de son langage apparaît, on entend celui qu'on n'avait jamais perçu, et on l'apprend pour s'en créer une réponse
Une stupéfiante salve d'escarbille de rouille écarlate :
Horde, vif, ascète,…
A alticcio, une créature -le Barf- donne aléatoirement le pouvoir du Mu, et décide de qui le garde selon le résultat de sa course. le Mu et le Barf font penser aux chrones, par leur nature inconstante et leur capacité à garder la matière en vie et changeante
Haute Loge Barfique en arlequins = caracole ?
Île peut manifester ses émotions sur le monde extérieur et est choisi pour la course. Atteint par le Mu, tout ce qu'il touche se réduit à ses composants, a un chaos originel
Aucun souvenir assez solide :
Texte très court et très poétique sur la douleur d'une rupture, les souvenirs doux-amers du bonheur qui se délitent depuis la perte de celui-ci