AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,75

sur 472 notes
'aime beaucoup Alain Damasio, dont ses 2 romans "La Zone du Dehors" et "La Horde du Contrevent" m'ont beaucoup plu. Ce recueil de nouvelles présente à la fois les avantages et les inconvénients d'un tel recueil : on passe d'un univers à l'autre, d'une idée à une autre ; certains nouvelles sont très bonnes, d'autres moins. Pour certaines nouvelles, dont l'idée m'a particulièrement plu, j'ai regretté que l'autre n'ait pas eu plus de pages pour développer ses idées, ses personnages et son univers. D'autres nouvelles m'ont laissé de marbre. C'est la difficulté de l'exercice. L'ensemble est tout de même bon, sans atteindre la qualité des 2 premiers romans de cet auteur très talentueux.
Commenter  J’apprécie          10
Alain Damasio écrit peu - deux romans seulement parus pour l'instant, donc il faut en profiter, et savourer. Dans ce recueil, on trouve dix nouvelles très différentes par le fond et par la forme - même si on retrouve parfois certaines idées déjà développées dans la Zone du dehors, ou des lieux parcourus par la Horde comme Alticcio. Ce qui fait leur unité, c'est qu'elles sont toutes une réflexion autour de la question "qu'est-ce qu'être en vie ?". On retrouve également le travail poétique et onirique -sur les mots et le langage habituel d'Alain Damasio - ce qui peut sans doute désorienter quand on y est pas habitué. Certaines histoires sont très prenantes, d'autres sont des pamphlets, certaines font pleurer. J'aime particulièrement la nouvelle sur El Levir qui consacre sa vie à l'écriture du Livre ultime dans une mystique de l'écriture.
Contre le mou, la technologie, retrouvons l'art et l'amour (ne serait-ce pas grâce à eux que l'on est vivant ?).
Commenter  J’apprécie          10
J'ai lu ce livre pour mon cours d'écriture politique axé sur “l'homme et le numérique”, mais je connaissais déjà cet auteur et j'avais beaucoup aimé sa "Horde du Contrevent". Je comptais donc déjà lire ses autres oeuvres et était super contente de voir que ce recueil était dans les lectures au choix de cette matière. Il ne fallait lire que trois ou quatre nouvelles mais je n'ai pas pu m'arrêter!
L'édition que j'ai lu est celle de la bibliothèque de ma ville dans l'édition de la Volte.

Toutes les nouvelles n'ont pas la même longueur et ne sont pas sur le même thème, j'ai même l'impression qu'on pourrait séparer ce recueil en deux parties. On part d'une science-fiction assez cyberpunk et on en arrive presque à du réalisme magique. du moins c'est l'impression que j'ai eu. J'ai remarqué que des prénoms se retrouvent d'histoires en histoires, ainsi que des sujets abordés dans ses autres romans.
J'ai ressenti ce recueil comme une plongée dans les thèmes qui tiennent à coeur à Alain Damasio. En lisant ce recueil, j'ai un peu mieux compris son univers et ce qu'il cherche à créer et partager.

Les hauts parleurs.
Cette première nouvelle est parfaite pour se remettre dans le bain du langage si particulier de Damasio. J'ai lu son roman "La Horde du Contrevent" cet été donc c'est encore assez frais dans ma mémoire, mais pour ceux qui ne sont pas familiers avec son style il faut peut-être un petit temps d'adaptation. (Après tout La Horde est resté 5 ans sur mes étagères avant que je n'arrive à m'y plonger sérieusement.)
On retrouve ici l'amour des mots et la façon qu'on les humains de se les approprier, l'évolution qu'un langage peut subir.
Cette nouvelle se passe dans la ville de Phoenix, en Arizona et le personnage principal, Spassky, m'a fait penser à Caracole de "La Horde du Contrevent". En effet il aime jouer avec les mots, les manipuler, au point d'en créer un nouveau langage. Ce qui devient nécessaire car dans ce monde, les mots se vendent et il ne reste qu'un petit millier de mots libres de droits. La critique de la politique et du capitalisme saute aux yeux, avec les dérives qui peuvent en découler.
J'ai tellement aimé Les Hauts Parleurs, et surtout sa fin, que j'ai même lu à voix haute certains passages pour encore mieux apprécier le travail d'écriture fourni.

Annah à travers la Harpe.
Cette nouvelle avait un thème assez dur, le personnage principal part rencontrer un homme qui pourrait parler aux morts, car sa petite fille est décédée. C'était très émouvant, j'ai vraiment ressenti la douleur du protagoniste lorsqu'il se remémore Annah et j'imagine que ce serait une lecture très dure pour quelqu'un ayant vécu ceci.
Cette nouvelle traite aussi de la technologie car malgré tout ce qui l'entourait pour la protéger et tout les gadgets qu'elle portait, Annah est quand même décédée des suites d'un accident qui n'aurait jamais dû arriver.
J'ai aussi noté une petite référence à "La Horde du Contrevent" car le deuxième prénom d'Annah est Callirhoé!

Le bruit des bagues.
Entre attaques terroriste et changement d'identité, multinationales qui proposent des réductions à vie à quiconque utilise des noms de marque comme prénoms, et histoire d'amour, cette nouvelle comporte pas mal de thèmes et était pourtant assez courte.
Il manquait un petit quelque chose pour que j'ai un coup de coeur mais l'idée des prénoms était originale, les personnages principaux s'appellent d'ailleurs Sony et Loréal.

C@PTCH@.
Cette nouvelle était longue et prend le temps de s'attarder sur plusieurs points de vues différents. On commence avec un petit garçon de 4 ans et demi dont le grand frère a été dématérialisé.
Dans ce monde, adultes et enfants sont incapables de se rejoindre, séparés par une ville remplie de pièges visant à les dématérialiser et les incorporer dans l'internet. Les enfants mangent des produits informatique (clavier, souris, câbles…) et la traversée de la ville en vient à être commentée à la manière d'un sport.
Chaque question que j'ai pu me poser sur la façon dont marchait ce monde a eu sa réponse à un moment ou un autre et même si je me suis perdue à une ou deux reprises entre les points de vues, c'était une nouvelle très prenante.

So phare away.
On retrouve ici la nouvelle qui a inspiré la couverture de l'édition folioSF!
Cette histoire se concentre sur Sofia et Farrago, chacun ayant son phare et s'occupant de ces transmissions et traductions, amoureux et ne se retrouvant qu'une semaine tout les six mois. Quant des constructions émergent et les empêchent de communiquer, les autres habitants des phares vont les aider, ou non. C'est à travers leur histoire que l'on en apprend plus sur leur univers. La Terre est devenue un monde submergé où seul le phares et des constructions de plusieurs centaines de mètres servent d'habitations. On apprend qu'a l'origine de cette ville il n'y avais que douze phares mais il en arrive de plus en plus, et de plus en plus hauts. Ce qui amène un système de castes, en haut les plus riche et en bas les moins riches, forcément.
Cette histoire pourrait s'apparenter à une dystopie, j'ai assez aimé son cadre original. Même si, pour quelqu'un qui a peur des profondeurs marines et des hauteurs c'était assez anxiogène, haha.

Les Hybres.
Ici il est question d'art et de technologie, d'évolution et d'hybridation. Un homme part dans une usine en chasse de sa prochaine oeuvre d'art, armé d'une torche et d'un chalumeau de décharge à photons, mais tout ne se passe pas comme prévu.
J'aime beaucoup les images que cette nouvelle m'a évoqué, un mélange subtil entre steampunk et horreur.

El Levir et le livre.
On suit ici un scribe, ou plutôt le scribe qui va devoir écrire le Livre. Un livre qui contient tout et dont les conditions d'écritures sont si difficiles qu'il n'a encore jamais été écrit ni lu. Pas ma préférée (pourtant c'est carrément sur l'écriture d'un livre!) mais une bonne histoire pour laquelle j'avais vraiment envie de savoir la fin.

Sam va mieux.
Un monde post apocalyptique où un homme, accompagné de ce qui semble au premier abord être son fils adoptif dyslexique, survit depuis 6 ans dans ce monde vide et ravagé. Il est obsédé par l'idée que le vent cherche à lui parler, sombrant dans une douce folie mais ne perdant pas espoir et cherchant à se sauver de lui-même. J'ai vraiment beaucoup aimé cette histoire, même si le cadre n'a rien de révolutionnaire, on en apprend d'ailleurs peu sur les circonstances dans lesquelles tout le monde est mort. C'est cet homme, son voyage et ses espoirs, qui la rend intéressante.

Une stupéfiante salve d'escarbilles de houille écarlate.
Une autre nouvelle plutôt longue d'une 40aine de pages qui m'a un peu perdue pendant une grande partie mais petit à petit j'ai réussi à comprendre ce qui se passait et à me laisser prendre par l'histoire. Les personnages principaux, Ile et Aile, se séparent à cause d'une espèce de maladie étrange dont est affligé Ile, un aéromaître. Toutes les choses qu'il touche deviennent inutilisable, tombe en miettes où se retrouvent avec leur forme originelle. le plus gros de l'histoire est occupé par une course opposant Ile à d'autres entités et créatures volantes. Je me suis prise à espérer voir un jour une animation de ces scènes qui étaient vraiment très visuelles et donneraient de très belles images.

Aucun souvenir assez solide.
C'était une histoire toute courte de deux pages mais on sent que l'auteur a vraiment été touché par cette expérience.

Si j'avais vraiment une critique négative à faire, ce serait que tout ça manque un peu de diversité du point de vue des personnages. J'ai lu il n'y a pas si longtemps un recueil de nouvelles cyberpunk qui était un modèle de diversité et, bien que je reconnaisse qu'"Aucun souvenir assez solide" date de quelques années, cela m'a quand même un peu embêté ici. Bien sûr que ces histoires sont intéressantes et superbement bien écrites, mais l'histoire d'un homme amoureux, un homme et son enfant, un homme qui sombre dans la folie, un homme etc etc, (même si parfois entrecoupé du point de vue d'une femme, qui a toujours un rôle par rapport à lui) m'a fatigué au bout d'un moment.

Toutefois j'ai passé un bon moment avec ce recueil. Pas de déjà-vu ou d'idées pré-mâchées dans "Aucun souvenir assez solide", tout semble sorti tout droit d'une imagination débordante qui n'emprunte à aucun moment le chemin de la facilité.

Je le recommanderais à quiconque aimerait se familiariser avec le style d'Alain Damasio avant de se plonger dans ces romans. Cela m'a d'ailleurs motivé à lire son autre roman, "La Zone du Dehors", dès que possible.
Lien : https://adragoninspace.wordp..
Commenter  J’apprécie          10
Je suis une inconditionnelle d'Alain Damasio et je pense que ce recueil de nouvelles est à réserver à ses inconditionnels... ou aux amoureux de la prose poétique, guère nombreux, à ma connaissance. Nous avons affaire ici à de la littérature exigeante, à de la science-fiction de haute facture, pas toujours facile à lire, ni à comprendre.

Le phénomène que j'ai déjà observé en commence La Horde du Contrevent, à savoir l'impression d'être catapultée sur une autre planète avec une autre langue, une autre dimension, sans savoir se latéraliser (dans tous les sens du terme) est ici exacerbée, car sur la courte distance d'une nouvelle, on a moins de temps pour s'organiser ; et Damasio se montre moins enclin que jamais de fournir des éléments d'exposition, malgré l'existence d'un récit, comme dans un poème à clefs.

On retrouve la même source d'inspiration, l'obsession du langage, du code, de la résistance à la marge, d'une sorte de lutte-quête face à une sorte d'immanence et c'est vraiment fascinant.

"Les Hauts-Parleurs" : de l'anticipation sur une idée de ce qui nous pend au nez si le commerce continue à confisquer le lexique usuel ; il faudra essayer de parler avec des mots libres de droit !

"Annah à travers la Harpe" : mythe d'Orphée revisité.

"C@PTCH@" : sans doute ma préférée, une sorte de course volontaire où nous serions nos propres ennemis, à la merci d'une numérisation de notre être.

"So phare away" : angoissant monde avec des mers d'asphalte et un langage de lumière entre les être libres...

"Les Hybres" : une belle réflexion sur l'art et la réalité.

"El Levir et le Livre" : toujours une très belle réflexion sur l'écriture, le récit, le codage et même les supports matériels de l'écriture...

"Sam va mieux" : expérience de la solitude dans un monde post-apocalyptique

"Une stupéfiante salve d'escarbilles de houille écarlate" : bon, autant être franche, je n'ai rien compris au début, vaguement vers la fin, mais j'aime mieux garder mon interprétation pour moi ; j'ai trouvé cette course franchement interminable.

"Aucun souvenir assez solide" : beaucoup de concision et d'efficacité dans ce récit de plongée dans les souvenirs, une nouvelle quête symbolique qui porte.

360 p. environ.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
Commenter  J’apprécie          10
La qualité, la maitrise et l'exigence d'écriture d'Alain Damasio poussées à leur paroxysme, pour le meilleur... et pour le pire. Car si certains moments, des tournures de phrases ou même certains paragraphes sont d'ordre divin, d'autres sont tout simplement inaccessibles au commun des mortels, rendant la lecture fort laborieuse. J'ai beau savoir apprécier un style recherché, il me semble que le choix des mots devrait toujours être au service du sujet traité (qu'il s'agisse de conter, d'expliquer ou juste de provoquer une sensation).
Lire la suite : http://www.bizzetmiel.com/2016/02/alain-damasio-aucun-souvenir-assez.html
Lien : http://www.bizzetmiel.com/20..
Commenter  J’apprécie          10
A la fois diamant et goutte d'eau... Un ouvrage immense et fugace. Mon conseil : ne lire qu'après avoir découvert et apprécié les autres ouvrages de Damasio. Dans ce recueil, vous trouverez la substantifique moëlle qui lui a servi de socle pour construire ses mondes. Si j'avais commencé par ce titre, jamais je ne serai allée vers les autres, tant les idées et la technique d'écriture sont denses et ardues. J'ai vécu cette lecture comme un sésame pour encore plus aimer et mieux comprendre ce génie !
Commenter  J’apprécie          00
Alain Damasio. Que dire... Je pourrais sans doute écrire 20 pages remplie d'éloges sur cet auteur. Mais je vais faire plus court. J'ai adoré la Horde. J'ai adoré encore plus la Zone du Dehors. Grâce à Aucun souvenir assez solide, j'ai été émerveillée de retomber dans son univers, de retrouver son écriture, de me laisser entraîner à nouveau dans son imaginaire, de sourire, de pleurer, de vibrer et d'avoir peur pour et avec ses personnages. le conseiller ? Oui ! Mais, avec un léger bémol tout de même :

Ceux qui connaissent déjà Damasio, ruez-vous dessus, vous ne pourrez pas être déçus.
Ceux qui voudraient découvrir cet auteur, je ne vous conseillerais pas forcément de débuter par ce recueil de nouvelles car, peut être, trop jusqu'au-boutiste, trop expérimental, déstabilisant de par l'écriture poussée dans ses retranchement qu'en use Damasio. Lisez un de ses deux autre livres avant.

Mais en détail, Aucun souvenir... contient quoi ? Il contient des nouvelles, 10 exactement. Chacune est un petit bijou ciselé avec précision par l'auteur, chacune détenant la vie, l'audace, l'amour, la musique, rire, pleurs, chants, vitesse, vol, vent... Tous ces thèmes, ses thèmes, on les retrouve dans la Horde et la Volte, ligne directrice, politique, éloge de la Vie, nous sommes en terrain connu et c'est un plaisir énorme qu'on lit, lentement, les 10 textes de l'ouvrage.

Impossible de parler précisément de ces histoires sans en dévoiler déjà trop; enfance volée par la technologie, monde vidé de sens par l'achat des mots, amoureux défiant la lourde logique d'un monde écrasant ou balloté par des contraintes absurdes, solitaire cherchant un sens à sa vie dans le mouvement, vie bridée, encore, par la techno-surveillance perpétuelle de la société... Terrain connu pour ceux qui ont lu ses romans !

Mes préférences à la première de toutes, "Les Hauts Parleurs" où l'auteur donne libre court à son art des jeux de mots à un rythme effréné, au très émouvant "Captcha" et ses enfants perdus, au très prenant "Une stupéfiante salve d'escarbille..." dont la lecture, pourtant, demande une grande attention (comme tous les textes présents, d'ailleurs, tant l'auteur donne l'impression d'avoir à chaque fois expérimenté, testé, essayé une nouvelle manière d'écrire pour notre plus grand plaisir !).
Les autres ne déméritent pas, chacun pourrait avoir son moment de gloire, même si tous ne sont pas au même niveau, chacun est, pris pour lui même, une petite réussite d'inventivité, de poésie, qui repousse à chaque fois plus loin les limites de l'écriture. Et toujours, encore, critique nos vies tenues en laisse dans nos sociétés bien pensantes et nous laissent pourtant à penser qu'il existe autre chose, espérance, vie, liberté... et que rien n'est encore fait (rien n'est écrit !). Tant que de tels textes existeront, certainement.
Commenter  J’apprécie          00
Un recueil de nouvelles signé Damasio. Leur point commun : la révolution par les mots, par le sens, le verbe écrit ou crié. Chaque nouvelle a un rythme, une écriture différente. On sent que Damasio se fait plaisir, joue avec les mots, manie les figures de style pour l'art, la belle lettre mais aussi avec sens. On déchiffre ses nouvelles subtile. Je les ai toute aimée, je les ai encore toute en tête, je me les raconte parfois encore en marchant, en rêvant.
Commenter  J’apprécie          00
Paradoxalement, bien que j'adore écrire des nouvelles, je ne suis pas aussi fan de ce genre en tant que lecteur. Pourtant ce recueil de nouvelles m'a emballé. Chacune déborde d'imagination, de poésie, d'émotion, d'engagement. Ayant lu Les Furtifs avant ce recueil, on ne peut s'empêcher d'y voir les prémices du roman en devenir.
Mes préférés ? Difficile à dire, elles ont toutes leur qualité. Bien aimé Les Hybres et cet artiste chasseur, mais s'il faut absolument en désigner une, je dirais El Levir et le Livre, tellement visuelle, transcendante, lyrique.
D'accord, c'est du pur style Damasio, une liberté grammaticale et typographique unique, parfois difficile à lire, mais au combien gratifiant quand on passe l'obstacle.
Lien : https://www.pascific.fr/2012..
Commenter  J’apprécie          00
Suite à ma lecture de "La Horde du Contrevent" et des "Furtifs", je me suis intéressée de plus près à leur auteur, connu pour ses prises de position notamment en faveur des gilets jaunes ou des zadistes de notre Dame-des-Landes, et j'ai découvert un homme passionnant, au regard éclairé, dont les analyses clairvoyantes et accessibles ne sont jamais démoralisantes, car toujours porteuses de l'espoir en la capacité à résister des individus. Ses réflexions notamment ciblent et décortiquent les effets de l'orientation technophile prise par nos sociétés. Insistant sur le fait qu'il n'est pas technophobe (il ne possède pas de téléphone portable, mais est concepteur de scénarios de jeux vidéos) il déplore le développement de technologies aliénantes pour l'homme aux dépens d'un progrès technique émancipant lui permettant de déployer sa puissance sans se laisser dépasser, piéger par la machine. Il prône la conciliation des bienfaits du progrès et la préservation de ce qui fait la richesse du vivant.
Son oeuvre est fortement empreinte de ces réflexions, et c'est aussi le cas de la plupart des nouvelles de ce recueil.

Extrapolant les dérives du libéralisme et notre soumission croissante à la technologie, il imagine un futur marqué par l'uniformisation, l'ultra-contrôle et la déshumanisation des échanges. Dans les sociétés qui servent de cadre à certaines de ses histoires, tout se vend, tout service humain a son prix ; même l'amour, le temps et la santé s'y monnaient. On y assure la vie, les organes ou la beauté. La nature (du moins ce qu'il en reste) y est privatisée.

Les villes, fondées sur le limon d'industries et de pollution fertile ou littéralement nourries de marées d'asphalte, sont des espaces difficilement définissables, car comme dotées de leur propre capacité d'expansion constante. Un pouvoir omnipotent et indiscernable, comme une entité déshumanisée, y impose une territorialité inique, l'accès aux rues et aux quartier étant déterminé par le pouvoir d'achat, et y exerce un contrôle permanent, à l'aide par exemple de bagues d'identification ("Le bruit des bagues") qui permettent de connaître les besoins, les habitudes, les opinions... de chacun.

Les citoyens ne sont pas décrits comme des victimes de ce système dont ils sont partie prenante, mais renvoyés à leur propre responsabilité quant à l'instauration de cette dictature du traçage et de la technologie, recherchée en tant que substitution à leurs corps limités, comme manière d'externaliser leurs pulsions dans les machines, d'être omnipotent face à un réel auquel ils craignent de confronter. Elle est un moyen d'obtenir ce que l'on désire sans délai, de se réinventer par le virtuel, d'assouvir les fantasmes qu'ont fait naître une société d'apparence et de performance, où la vieillesse, la laideur, la pudeur sont devenues taboues, où l'on croit se réaliser dans une popularité factice, comme pour paradoxalement contrebalancer l'anonymat que procure le réseau. On se berce ainsi de l'illusion d'interactions dont les écrans qui en sont les vecteurs permettent de répondre au besoin permanent d'être connecté, relié, tout en se protégeant de la rue et de ses dangers, tout en se préservant de la présence des corps. Il pousse cette idée à l'extrême dans "C@ptch@", où les enfants d'une Ville, séparés à la naissance de leurs parents, se font dématérialiser dès qu'ils tentent de fuir la décharge dans laquelle ils sont regroupés, se nourrissant de touches de claviers ou de composants informatiques. Pour ceux qui tentent l'évasion, le rêve est d'être transformé en forum hyperfréquenté, de cristalliser les likes et l'attention. Mais la plupart finissent en simples gifs ou pixels…

Car tel est l'effet pervers du réseau : dans un espace où tout le monde croit devoir s'exprimer, la communication perd de sa valeur et l'important devient inaudible. La nouvelle "So Phare away" l'ilustre bien : dans une ville peuplée de phares et de tours, coupée par une route où le flux ininterrompu de véhicules interdit tout déplacement piéton, les échanges sont réduits à des jeux de lumières que leur quantité et leur fréquence rendent insignifiants. Communiquer est devenu une forme plus qu'un contenu, le but étant d'émettre ce qui peut être compris par tous et facilement relayé.

C'est de même une attitude consentante qu'adopte l'individu face au contrôle dont il est l'objet, car il est un garant de son propre besoin de tout maîtriser, d'annihiler le risque et l'imprévu. Mais ce n'est pas pour autant que le danger disparait, ainsi que le démontre la nouvelle "Annah à travers la harpe", où la multiplicité des dispositifs mis en place pour sécuriser le moindre geste, le moindre parcours de l'enfant, n'empêche pas la mort de celui-ci, et aura par ailleurs privé de sa spontanéité sa relation à ses parents.

Une idée d'un futur possible bien démoralisante donc, que compense l'importance qu'Alain Damasio donne, dans la plupart de ses textes, aux poches de résistance qui contrent les manifestations mortifères de ce "techno-cocon" (le terme est de l'auteur) qui altère l'intégrité et la complexité humaine. Ainsi Spassky, le jovial troubadour des "Hauts® Parleurs®", qui depuis qu'il a vu disparaître son animal de compagnie (le dernier non cloné de l'espèce), se révolte en poétisant autour du mot chat, à partir duquel il crée des néologismes qu'il déclame en joutes verbales, défiant ainsi les multinationales ayant privatisé le langage. Ainsi Farrago dans "So Phare Away", qui affronte une mortelle marée d'asphalte pour aller retrouver la femme qu'il aime. C'est aussi par amour que le narrateur du "Bruit des bagues" décide de rompre avec le confort d'une existence sécurisée en changeant d'identité, seul moyen d'échapper à l'emprise du contrôle. Car comme l'auteur le développe dans "Les furtifs", c'est dans les angles morts du traçage et dans la "beauté absolue de qui ne peut se répéter, de qui passe", en refusant de se cantonner à ces espaces que la surveillance a dénué de vie, que se trouve le salut. Dans "Le bruit des bagues", toujours, des individus se constituent en "îles" pour "ouvrir des brèches, faire des trous et les élargir pour y passer de l'air, de la gratuité, retrouver un côté direct, une sensualité sociale".

Car l'auteur est particulièrement attaché à la force du vivant, à sa capacité intrinsèque à ébranler ce qui est figé, à déjouer les tentatives d'aliénation, à dépasser sa tendance à l'égocentrisme et au panurgisme en se réinventant dans un rapport frontal, sensoriel, au monde et aux êtres qui l'entourent. Il lui rend d'ailleurs un bel hommage dans "Une stupéfiante salve d'escarbilles de houille écarlate", texte où une course doit départager divers états du vivant -entre autres un cycliste volant, un cheval ailé, un papillon, une feuille de sycomore, la pluie, la foudre…- dans leur aptitude à incarner le "mu", cette force vitale qui prend chair dans n'importe quel organisme.

Certaines nouvelles du recueil délaissent plus ou moins les thématiques évoquées ci-dessus pour s'aventurer dans des univers plus oniriques, telles "El Levir et le Livre", sorte de conte philosophique sur la quête du Livre ultime par un mystérieux scribe, ou "Les Hybres", qui met en scène un homme se faisant passer pour un artiste en figeant de monstrueuses créatures qu'il capture dans une usine désaffectée.

Dans "Sam va mieux", enfin, un homme sans doute tombé dans la folie arpente en compagnie de son fils un Paris vidé de ses habitants, en quête de survivants.

"Aucun souvenir assez solide" est donc un recueil au final plutôt disparate, dont certains textes m'ont moins convaincue que d'autres, car traités de manière trop expéditive ou affichant des allégories trop évidentes. Je garderai néanmoins de l'ensemble un souvenir très positif, parce que j'apprécie la capacité de l'auteur à partager ses engagements sans se montrer didactique mais aussi -et c'est sans doute le plus important- pour la langue qu'il met au service de son propos, une langue qu'il déconstruit et réinvente pour s'approprier les mots et les rendre plus éloquents, mêlant lexique technique et poésie, modernité et élégance, usant de néologismes et de calembours, adaptant son style à chaque texte. Bref, une écriture à l'image de ce qu'il défend avec tant de conviction : vive, souple, singulière et riche de sens.


Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (1189) Voir plus



Quiz Voir plus

La horde du contrevent

La horde est composée de combien de personnages?

21
22
23
24

10 questions
508 lecteurs ont répondu
Thème : La Horde du Contrevent de Alain DamasioCréer un quiz sur ce livre

{* *}