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3,75

sur 472 notes
A la fois diamant et goutte d'eau... Un ouvrage immense et fugace. Mon conseil : ne lire qu'après avoir découvert et apprécié les autres ouvrages de Damasio. Dans ce recueil, vous trouverez la substantifique moëlle qui lui a servi de socle pour construire ses mondes. Si j'avais commencé par ce titre, jamais je ne serai allée vers les autres, tant les idées et la technique d'écriture sont denses et ardues. J'ai vécu cette lecture comme un sésame pour encore plus aimer et mieux comprendre ce génie !
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Dans Les Hauts Parleurs, le langage est privatisé et l'utilisation de certains mots devient payante. Clovis Spassky rejoint un mouvement de résistance et déclame dans un style monomonène maniaque du mot chat des odes au partage et à la gratuité, à la liberté, dans une verve voltée, vivace et signifiante, un pont lexical et conceptuel vers La zone du dehors. Dans cette anticipation proche la société est devenue aliénante et directrice, ennemie de la diversité et de la créativité.
Dans Annah à travers la Harpe, un homme va à la rencontre du Trépasseur isolé sur son ile pour retrouver sa fille décédée à l'âge de 2 ans. Il doit nager en direction d'un phare et couler au milieu d'orbes renfermant chacun un individu. Il trouve Annah dans sa monade, fibres mêlées vibrantes de leurs souvenirs entre la vie et la mort et poursuit sa présence dans un réseau d'une réalité stratifiée peuplée d'archétypes, démarche d'un père prêt à tout pour ramener sa fille des Enfers.
Dans le bruit des bagues, Sony Delmas rencontre Loreal Taj, activiste de l'Archipel qui le recrute pour commettre un attentat contre une centrale électrique. Sa bague est retrouvée sur les lieux, contenant sa vie sous forme de données collectées en permanence, véritable lien avec la société. Une traque commence et Sony devient Rem Koolhaas. Malheureusement ses données biométriques recherchées correspondent à son ancienne identité.
Dans C@ptch@, tous les enfants sont réunis en bordure d'une ville piégée qui renferme les adultes. Chaque soir, dans un spectacle organisé par le Réseau, un enfant tente de pénétrer dans la Ville en évitant les innombrables dispositifs de sécurité. Lorsqu'ils sont touchés les humains sont dématérialisés, données numériques alors injectées dans le Réseau pour une existence virtuelle. Pour sortir de cette situation désespérée ils lancent la Ruée pour déborder le système de surveillance et investir la Ville.
Dans So phare away, la pollution et la bruine sont un support pour les communications lumineuses des phares dans la Ville submergée par une marée d'asphalte. Farrago décide de rejoindre le phare de Sofia à l'aide de sa chaloupe, ils s'aiment mais doivent à nouveau se séparer et la marée a modifié la Ville, rendant la communication plus difficile.
Dans Les Hybres, Anje est un sculpteur chasseur à la recherche des hybrides biologiques et mécaniques qu'il solidifie pour les vendre. Dans une fonderie désaffectée sa rencontre avec un Golem va changer sa vie.
Dans El Levir et le Livre, aux alentours du site d'Uluru en Australie, El Levir entame l'expérience mystique de l'écriture Du Livre, peu importe le vecteur et le support, la taille des lettres devant être doublée tous les deux mots. le texte d'où jaillit le principe vital lui est dicté pour être oublié juste après l'avoir lu, assimilé comme une évidence.
Dans Sam va mieux, un homme est le dernier survivant dans Paris, inspecte tous les bâtiments pour trouver la vie derrière l'expression sonore du vent et de l'eau pour conjurer sa solitude.
Dans Une stupéfiante salve d'escarbille de houille écarlate, Ile et Aile se séparent, Ile ne supporte pas la situation alors que commence pour lui le mu, une mutation qui le fait transmettre ses émotions à tout ce qu'il touche, colère et tristesse. Une course aérienne est organisée pour désigner qui incarnera le mu.
Dans Aucun souvenir assez solide, un homme revisite des instants d'amour dans sa mémoire intemporelle sous la direction d'un mécanicien quantique.
Dans tout le recueil apparaissent des idées qui renvoient aux romans, comme la politique et le commerce s'alliant pour la conservation du pouvoir, une société hiérarchisée de façon topographique, la puissance poétique de la composition intuitive et de la déclamation porteuse de sens d'une pensée active, la pollution et le langage du vent et du liquide, la surveillance et le contrôle, la pauvreté culturelle et la fainéantise égotique mais surtout des personnages habités par un élan vital.
Lien : https://lesbouquinsdyvescalv..
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du vrai du pur Damasio, des perles et des pepites, et qq autres illisibles, enfin, pour mon niveau sans doute, toujours cette élégance et maîtrise de la langue, mais aussi cette imagination hors du commun et même carrément super novatrice même en SF, mais faudrait peut être le ranger en poésie anticipative... bon et si qq'un sait me dire qui est ce "Systar"...
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- Poésie et création dans une dystopie privatisée et mortifère 💱

Une vraie pépite que ce recueil, 10 histoires courtes, percutantes, aux identités très marquées, du plutôt pragmatique comme « les Hybres » au plus ésotérique avec « Sam va mieux ». J'ai beaucoup de mal avec les recueils de nouvelles, et a fortiori s'il s'agit d'en faire une critique, mais c'est pour le coup un format fantastique pour la plume de Damasio : elle peut y exprimer sa fulgurance, y concentrer sa ferveur, ses couleurs, sa poésie, son originalité. Probablement l'une des oeuvres de fiction les plus soignées, réfléchies, et viscérales que j'aie pu lire jusqu'à présent

Les thèmes abordés sont passionnants et allégorisés avec justesse et créativité.
Nous est proposée une forte critique de l'addiction et de l'omniprésence du marché et de la technologie, de la rupture des liens réels au monde et aux autres pour domestiquer, quantifier et vendre les aspects les plus naturels, intimes et humains de la vie.
Réifier tout ce qui ne devrait pas l'être -et qui devrait n'être qu'éprouvé- : l'écart, l'absence, la fugacité et le caractère unique du présent, …
Tout ça isole les gens et les tue, par le retrait de tout ce qui fait que la vie est réellement vécue, que les secondes, minutes et heures qui passent sont incarnées. Attribution d'une valeur commerçante à ce qui ne se mesure pas, ce qui n'a pas de prix, ce qui échappe et transcend, descriptions et chiffres

Au delà de ça, une peur du trans humanisme, qui ferait perdre ce qui constitue l'essence vitale de l'humanité, et serait une forme de mort

En solution, en contrepoint, une passion pour la vie, l'insaisissable, l'énergie, le tumulte, avec thème récurrent de la naissance, de la création, de la nouveauté

(Ce qui suit c'est juste mes notes, contient du spoil et pas nécessairement intéressant)

Les Haut-Parleurs :
Critique du capitalisme, anticipation d'un libéralisme qui irait jusqu'à privatiser la langue

Annah a travers la harpe :
Conséquences du remplacement progressif du contact humain et parental par de la technologie pour tout et pour rien. Suréquipement motivé par la crainte (insufflée par les entreprises) et la paresse.
Intrusivité morbide des biens de consommation, objets comme produits intellectuels -pubs, informations, slogans,…-
Les cercles de l'enfer, matérialisés dans la technologie qui étouffe, isole, trompe et sépare
Thème que l'on retrouve dans la Horde : pour faire revivre Annah, il doit se rappeler des moments vraiment vécus, cad ceux de découverte du monde, de proximité humaine émotionnelle -s'y opposant les données froides de la technologie qui a remplacé ce lien et instauré de la distance, piteux ersatz d'expériences et de liens vrais-

Le bruit des bagues
L'amour et les rencontres dans une dystopie ultra technocratique et technologique, où tout est stérilisé, théorisé, marketé. Plus rien n'est authentique, tout est calculé et planifié, tout est modifiable et modifié pour être le plus rentable possible.
Chaque volonté, échange et contact est quantifié, mis à prix et vendu, jusqu'au prénom même de chaque personne

C@PTCH@ :
La technologie a remplacé toute vie, tout converti en données, tout dématérialisé
Éloge de la virtualisation, de la transformation en lignes de codes et formats informatique : confort de l'existence sans contrainte physique, de la transformation en un élément virtuel
Sacrifice de sa vie en réduisant son existence à la technologie et aux succès et interactions virtuelles
Séparation parents - enfants par la technologie
Critique de l'archivage de toutes les informations, de l'essentialisation de tous en leurs données mesurables

So phare away :
Allégorie des réseaux sociaux
Communication par la lumière, chacun depuis son phare, apparu lors de la dernière marrée de bitume qui noie la ville viciée par le smog.
La communication excessive, par tout le monde, tout le temps, souvent stérile, fait disparaître toute l'importance de l'expression, noie les messages importants dans un brouillard de trop-plein d'informations, et empêche les gens de réellement communiquer ce qui compte
Plus de contraste, plus de vide, plus d'absence, plus de place pour faire valoir une réelle émotion, intention ou idée travaillée

Les Hybres :
Moins profond que les autres nouvelles, mais excellentissime récit, à l'univers très créatif et immersif

El Levir et le Livre
La quête de l'expression de l'absolu, de la nature mouvante et changeante de toutes choses et -plus important- de leurs liens
Message d'amour à la littérature et à l'art qui veulent représenter l'abstrait, parler de l'inexplicable et reproduire tangiblement l'énergie insaisissable de toute chose
Sans chercher à expliquer ni apprendre quoi que ce soit qui soit déjà instinctivement su, l'artiste veut donner la vie, créer un flux, une énergie, un nouveau courant au tumulte harmonieusement chaotique de l'univers

Sam va mieux :
L'écoute du mouvement des éléments permet d'entendre la parole de toute chose, par anthropomorphisme certes, mais en rejetant les oeillères de l'exclusivité du langage articulé, en épousant la prosodie ésotérique de l'univers
Le langage des choses est le témoignage de leurs interactions, liens, échanges
L'importance d'apprendre cette langue universelle est que cela mène à l'accomplissement, à la création : quand le manque de son langage apparaît, on entend celui qu'on n'avait jamais perçu, et on l'apprend pour s'en créer une réponse

Une stupéfiante salve d'escarbille de rouille écarlate :
Horde, vif, ascète,…
A alticcio, une créature -le Barf- donne aléatoirement le pouvoir du Mu, et décide de qui le garde selon le résultat de sa course. le Mu et le Barf font penser aux chrones, par leur nature inconstante et leur capacité à garder la matière en vie et changeante
Haute Loge Barfique en arlequins = caracole ?
Île peut manifester ses émotions sur le monde extérieur et est choisi pour la course. Atteint par le Mu, tout ce qu'il touche se réduit à ses composants, a un chaos originel

Aucun souvenir assez solide :
Texte très court et très poétique sur la douleur d'une rupture, les souvenirs doux-amers du bonheur qui se délitent depuis la perte de celui-ci
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J'ai une relation amour/haine avec Alain Damasio. D'un côté, il écrit de la SF plutôt chouette, c'est un anar et puis... Quelle plume!

D'un autre, tous ses écrits tournent autour de la technophobie et on a l'impression d'avoir rapidement fait le tour. Plutôt que de dénoncer l'utilisation d'une technologie sous le capitalisme, il préfère souvent dénoncer la technologie elle-même. Et rendu à un certain stade, on a l'impression que ce voudrait a Damasio, en fait, c'est un retour à la terre, aux familles nucléaires et aux rôles de genre traditionnels. Sa façon d'écrire les personnages féminins n'aide pas à se débarrasser de cette impression. Elles alternent entre le rôle de la succube et celle de la Barbie.

Et ses héros? Des hommes géniaux coincés dans une foule trop idiote pour eux.

Certaines nouvelles de ce recueil sont simplement géniales de par leur usage de la langue et de la typographie. Il est là, pour moi, le grand Damasio. Quand il le langage est partie prenante de l'histoire.

Les Hauts&#xNaN Parleurs&#xNaN en particulier, une histoire où le simple fait de parler implique de payer des droits d'auteurs à ceux à qui les mots"appartiennent". Les gens tentent donc d'utiliser des néologismes constants pour se sauver de l'argent.

J'ai aussi adoré So Phare Away, un truc de vieux tenanciers de phare dans un enfer climatique, où les marrées d'asphalte submergent très littéralement le texte au fil de la lecture.
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Aucun souvenir assez solide est un recueil de dix nouvelles écrites par Alain Damasio. Dix histoires qui nous plobgent dans des univers proches et distants. Une vision philosophique de sujets variés : la mort, le capitalisme, l'écriture etc... Un livre où les mots ont du sens, Alain Damasio démontre une maîtrise totale de la langue française et enchaîne les doubles sens, les jeux de mots et les styles d'écriture. Une plongée dans le monde des mots ...

Il s'agit du premier livre d'Alain Damasio que je lis et je dois dire que je suis mitigé. Dans ce livre on trouve du génial et du mauvais. C'est le principe des nouvelles, on découvre dix histoires totalement différentes mais, à chaque fois, Damasio nous entraîne dans un univers riche et complexe. Son engagement et sa critique de la société sont perceptibles notamment dans Les Hauts Parleurs. Cette nouvelle fait partie de mes préférées avec Hybres. Ayant eu la chance de rencontrer Jean Fontaine à qui est dédiée cette nouvelle, on est transporté dans l'univers de l'artiste avec ces monstres mi humains mi machine qui évoquent les oeuvres de l'exposition humanofolie (plongez vous dans ces oeuvres avant la lecture de la nouvelle pour en profiter pleinement !). D'ailleurs cette nouvelle à même ete suivie d'une pièce de théâtre qui malheureusement n'a pas été éditée.
Toutefois si le texte et les mots sont parfaitement mis en scènes dans plusieurs nouvelles, d'autres au contraire sont compliquées et assez fouillis. Cela rend l'ouvrage très inégal ... J'ai même abandonné la nouvelle Une stupéfiante salve d'escarbilles en cours de route. Cela ne m'était jamais arrivé d'abandonner un livre ou une nouvelle mais là, face à l'accumulation de phrases sans aucun sens, ce n'est pas du tout plaisant à lire. Qu'y a t'il à comprendre dans ce texte affreusement lourd composé principalement de mots inventés ?

Une lecture en demi teinte qui ne fera toutefois pas renoncer à la lecture des romans La horde du contrevent et Les furtifs. Je n'en ai donc pas fini avec Alain Damasio, pour le meilleur j'espère !
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Je crois bien que c'est la fois de trop avec Damasio. J'avais souffert pendant La Horde du Contrevent mais les leçons de vie que j'en ai retirées valaient vraiment le coup, mais j'ai dû abandonner Les Furtifs pour cause d'incompatibilité avec le style, et mon intelligence s'est sentie insultée par sa nouvelle « pour adolescents » Scarlet et Novak. Et là, son recueil Aucun souvenir assez solide m'a tellement insupporté qu'il faudrait un miracle pour que je lise à nouveau cet auteur un jour.

Pendant tout le début de ce livre, je n'arrivais pas à déterminer s'il était très bon ou très mauvais. Alors je me suis demandé sur quels critères je juge un livre. Et de me rendre compte que Damasio et moi n'avons pas du tout les mêmes. Pour un lecteur qui a les mêmes lubies que lui, ce doit être un sacré coup de foudre littéraire ! Mais vraiment, avec moi, ce n'est pas passé. Tâchons d'analyser pourquoi, pour au moins retirer quelque chose de constructif de cette lecture qui fut très désagréable.

Premièrement, la majorité de ses nouvelles baignent dans le courant anti-technologie.
J'en suis absolument convaincue, les technologies modernes comportent des dérives réellement dangereuses et pas assez de barrages ne sont dressés par les populations et les dirigeants pour s'en prémunir. Me parler de la vigilence que l'on doit avoir sur ce sujet, c'est prêcher du convaincu. Mais Damasio le fait avec de tels gros sabots que le propos devient caricatural et n'a pas réussi à m'amener vers des réflexions très profondes.
Damasio cite énormément de noms de marques, donne une multitude de détails techniques très précis, et montre l'omniprésence de capteurs connectés. Je comprends la démarche : montrer que les vies des personnages, et par parallèle les nôtres aussi, sont d'une grande artificialité et que tout est mercantile. Mais ce propos est très répétitif. Et à force de tuer ainsi toute émotion chez le personnage, il l'a aussi tué pour moi lecteur. Il ne reste alors que cette peur/haine de la technologie, et un mépris prononcé pour ceux qui l'acceptent. Cette manière de traiter du sujet m'a donc plus irritée que fait réfléchir, et c'est bien dommage...

Je ne vais pas toutes les lister, mais il y a énormément de répétitions d'idées entre les nouvelles et les romans de Damasio, qui peuvent faire penser à de la facilité d'écriture.
Plusieurs nouvelles reposent sur le même principe narratif un peu bancal : dans une dystopie techno-capitaliste, des activistes anarchistes en marge de la société font une tentative pour déstabiliser le système, qui se conclut par une lueur d'espoir un peu magique, c'est-à-dire une série d'événements positifs mais sans liens de causalité expliqués.
Il y a aussi plusieurs fois une figure de mystique qui donne les règles du jeu au lecteur au fur et à mesure que se déroule l'action. Cela m'a paru assez artificiel pour forcer l'enchaînement de ces événements : c'est normal que cela se passe ainsi, le mystique l'a dit avant — mais nous lecteurs n'étions pas au courant qu'il l'avait dit.
Autre élément récurrent : la suite de l'histoire est un peu floue ou déformée. Personnellement, je trouve cela un peu facile pour éviter de conclure.

Attaquons maintenant le style. Vaste sujet, sur lequel je ne pourrai jamais être objective. Car je n'en peux plus de ses jeux de mots. Certes, je reconnais qu'ils sont travaillés, il a dû passer énormément de temps à peaufiner ses homonymes. Mais certains reviennent ad nauseam, comme « île et aile » ou les références à ses idoles (« tour de Leuze », « médiathèque Borges », etc). D'autres interrompent inutilement le récit, par exemple lorsqu'un personnage souligne au milieu d'un dialogue sans rapport que « s'ébruiter » se prononce comme « c'est bruité ».
Quand les jeux de mots permettent d'exprimer élégamment une idée complexe en jouant sur des images et des sonorités, j'adore. Mais là où j'aime les phrases et paragraphes, Damasio aime les lettres et les mots. Et je ne suis absolument pas sensible à ses effets de style, et il m'est impossible de passer outre car ses histoires en sont imprégnées. Au début, je pensais que les nouvelles servaient de prétextes à faire des jeux de mots, mais les nouvelles Sam va mieux et El Levir m'ont convaincue que c'était en fait l'inverse : les jeux de mots sont le prétexte, le point de départ, la raison même d'exister de ces nouvelles.

Toujours dans le style, de nombreux mots m'ont paru très mal choisis. Loin de créer un style riche, cela ressemble parfois un peu à un cache-misère, qui confond complexité et profondeur. Je suis peut-être dure en le formulant ainsi, mais c'est ce que j'ai ressenti à la lecture.
Les mots ont chacun leur nuance unique et leurs connotations associées, ce qui me fait tiquer quand je lis « trottoir blond » ou quand « pointillé de lait » pour parler de la ligne blanche discontinue sur la route. Là où ce tic d'écriture devient plus gênant, c'est lorsqu'il utilise « Russkoff », « Lombard » ou « nègre ».
Des noms rares (vuvuzela, didjeridoo) ou compliqués (rhizostome = méduse) sont utilisés sans aucune raison. Il y a aussi beaucoup de mots anglais ; même pas des anglicismes, juste des mots non traduits.
Et de nombreuses fois, des adjectifs semblent en trop et évoquent des images difficiles à saisir : « le noir savoureux », « ta vie poudreuse », « de l'air mat ». « Asphalte liquide » revient de nombreuses fois, dans une des nouvelles cela a un sens littéral, mais après ce sont juste des répétitions que je n'ai pas comprises.

Passons à mon avis rapide sur chaque nouvelle en particulier :

- Les Hauts&#xNaN Parleurs&#xNaN
Dans une société où les mots sont privatisés, les marques font payer des droits d'utilisation dessus.

Ce concept reprend l'idée explorée dans Les Furtifs, le fait qu'orange soit une couleur, une ville, et que la marque du même nom pourrait se les approprier.


- Annah à travers la Harpe
Un père va aux enfers pour retrouver sa fille décédée à deux ans. Les enfers sont peuplés de technologies modernes de communication.

Cela me rappelle encore Les Furtifs (Damasio a-t-il un vécu qui explique son obsession pour la mort des petites filles ?).

Ce qui ressort le plus de cette nouvelle, c'est la haine de la technologie. Je l'ai lue alors que je voyageais à l'étranger et qu'un coup du sort a fait que je me suis retrouvée sans argent et sans possibilité d'en retirer. Avoir mon téléphone (ou comme l'appelerait Damasio, mon smartphone 4 pouces tactile full HD à capteur biométrique de la marque de la Pomme), cela m'a un peu sauvée quand même, me permettant d'arriver à bon port et accessoirement de pouvoir manger pour survivre. J'ai donc eu un peu de mal à adhérer à un tel manque de subtilité sur l'analogie entre la technologie et l'enfer.


- le bruit des bagues
Un vendeur rejoint une cellule qui vit en marge de la société et a pour but de déconnecter les gens pour qu'ils redeviennent plus humains.

J'ai malheureusement trouvé l'intrigue assez clichée.


- C@PTCH@
D'un côté les enfants, de l'autre les adultes (qui donnent naissance à des enfants qui se téléportent de l'autre côté), et entre les deux s'étend « la Ville » munie de tous types de capteurs captcha. Elle récupère toutes les données de ceux qui tentent de la traverser et les dématérialise.

Très étrange, j'ai dû passer à côté. le message final est intéressant, à savoir que le désir d'être dématérialisé ne vient pas de la Ville mais est en chacun de nous ; mais il aurait pu être plus développé.


- So phare away
Le monde est submergé d'un océan d'asphalte liquide, qui durçit de temps en temps. Il y a ceux qui vivent dans des phares et ceux qui roulent, métaphore de ceux qui travaillent à domicile, dont le travail est de communiquer ; et ceux qui se rendent à leur travail en voiture.

Cette nouvelle est celle qui m'a le plus parlé, car elle illustre certains phénomènes sur les réseaux sociaux.
Les jeunes rêvent de notoriété, émettent tous les mêmes signaux, se copient, se lissent, et font en sorte d'être compris du plus grand nombre. Au contraire, certains parlent avec un signal que peu comprennent : les vieilles générations, les gens avec des idées extrémistes complexes. Il y a ceux qui vulgarisent, font de l'art, traduisent les signaux pour d'autres types de populations. Et il y a ceux qui abusent de leur pouvoir pour obtenir des faveurs...
Les gros annonceurs demandent à ce qu'on leur fasse de la publicité, et il y a même l'équivalent des « strikes » aléatoires de Youtube avec quelqu'un qui tire sur des petits créateurs sans raison.

Idée intéressante : trop de lumière fait qu'on ne voit plus rien. Car avec trop de contenus, on ne peut plus saisir les nuances. Tout rejoint alors des messages simplistes : on lit quelques bribes, comme sur Twitter, puis on zappe.
La mise en page joue avec cette idée en montrant visuellement les signaux les uns sur les autres, les messages étant trop nombreux pour être tous compréhensibles.
Et il y a de plus en plus de lumières qui s'allument.

C'est la nouvelle que je trouve la plus inspirée et la plus intéressante.


- Les Hybres
C'est un artiste-« sculpteur » qui chasse des monstres (les hybres) pour les céramifier (comme dans Les Furtifs).

Un peu facile. Beaucoup de détours pour une histoire très simple.


- El Levir et le Livre
Un Maître scribe écrit le Livre, censé contenir une vérité. Chaque mot doit être deux fois plus grand que le précédent et être d'une encre et d'un support différent. le livre ne peut pas être relu, une fois lu il est oublié, et après l'avoir écrit, le scribe meurt.

Le kiff ultime de Damasio : un livre entier en palindrome. Sauf qu'il ne l'est pas, alors je n'ai pas compris l'intérêt !


Sam va mieux
- le dernier survivant de Paris construit des objets dont le son ressemblent à la voix humaine. Mais ils ont des dysfonctionnements, la prononciation des R (air) et des O (eau). C'est l'occasion pour Damasio de faire encore plein de jeux de mots...

... et j'en ai déjà un peu marre de ses jeux de mots, malheureusement !


- Une stupéfiante salve d'escarbilles...
J'ai abandonné. Parce que Damasio a lui-même abandonné l'idée d'être compréhensible.


- Aucun souvenir assez solide
Pas compris non plus, et le peu que j'ai compris est extrêmement glauque. Une petit fille « lolita » de 5 ans, et on nous parle de désir pour elle ?! J'avoue que je n'ai pas réussi à finir cette nouvelle de seulement deux pages.




Concluons. Je n'ai pas écrit ce billet pour descendre ce livre, même si c'est un peu l'impression que cela peut donner au final (et je m'en excuse si c'est le cas !). Je me demandais seulement — comme je le disais plus haut — si j'avais affaire à un très bon livre ou à un très mauvais. J'avais besoin de développer les raisons pour lesquelles je n'ai vraiment pas réussi à adhérer malgré mes efforts.

À les sous-peser maintenant qu'elles sont écrites noir sur blanc, c'est surtout le style qui a été un immense obstacle pour moi. Mais c'est un critère très subjectif, et peut-être qu'il parlera bien plus à d'autres lecteurs.

Concernant les messages anti-technologie, j'aurais pu les trouver intéressants s'ils avaient été moins dans le jugement et plus dans la compréhension. C'est sans doute pour cela que So phare away est la seule nouvelle de ce recueil que j'aie un peu appréciée.
Mais je sais que lorsque l'on est militant, on oublie souvent d'expliquer aux personnes hors de sa bulle ce qui nous semble évident, que telle chose est néfaste et doit être abattue. Damasio nous dit que les technologies et le capitalisme sont mauvais (et je suis d'accord avec le fait que leurs dérives sont à éviter à tout prix), mais il oublie complètement d'argumenter le pourquoi, ce qui donne à ses personnages des airs d'homme de paille.

Dommage pour cette fois !
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Subjugué

Les recueils, ce n'est pas franchement ma came. D'ordinaire…
Avant celui-ci, je n'avais lu que quelques assemblages de nouvelles d'auteurs indépendants, plutôt bien pour découvrir de nouvelles plumes, et puis un autre, signé Philip K. Dick, pas mal, mais selon moi moins abouti. En matière de science-fiction, Dick avait des idées, beaucoup de pensées conflictuelles et de visions éphémères, tellement que c'était le foutoir, là-haut dans son esprit de génie malade.

Alain Damasio, lui, nourrit autant voire plus d'idées fantasques, mais les anime surtout d'une stabilité mentale et émotionnelle lui permettant d'en exprimer toute la substance. C'est solide, minéral, ancré dans le réel de la chair autant que dans le spirituel créatif. Il arbore fièrement ses convictions et ses combats, en les nourrissant d'univers cohérents, persuasifs, détaillés avec force justesse et sensibilité. La qualité littéraire est autrement plus pointue chez Damasio, il joue avec la langue comme un acrobate, et maîtrise son sujet de bout en bout, jamais dépassé par l'un ou l'autre de ses éléments. Vocabulaire, fluidité, rythme, précision du langage, appropriation des styles, transcriptions, traductions, interprétations, expressions multiples… Alain Damasio nous enchante du potentiel infini de la littérature moderne. Les limites, les bornes ? Il ne connaît pas, le gars, il s'évertue à dépasser sans cesse les frontières du monde connu, celles que l'on nous présente comme absolues. Pour l'auteur, un état ne peut être que transitoire, évolutif. Les mots, eux, ne supportent pas la rigidité. La société impose des normes, des tendances ? La belle affaire. Il les détourne ou les pousse à l'extrême pour mieux les dénoncer. Et de la plus belle des manières. C'est lumineux, enragé, plein d'espérance et de valeurs. Il érige l'humain, le sensoriel, l'émotif en véritables témoins de l'histoire. Si l'Homme doit évoluer, ce ne sera pas sans ces qualités.

Qui suis-je, modeste scribouillard, pour oser chroniquer/critiquer un génie tel que Damasio ? Sérieusement, on ne peut que s'incliner devant une telle maîtrise des mots, précis et incisifs, des tons, des rythmes surtout, puisque chez Damasio, tout est flux, mouvement, transfert, sans parler de sa vision, de ses messages et de sa militance. Aussi, comme dans chacun de ses écrits, il fait preuve de la même capacité à innover, à renouveler la langue et la structure du texte pour mieux servir personnages et univers. L'intuition brute, l'imaginaire foisonnant et cohérent, il les a, mais ce n'est pas tout ; il y a un boulot monstre derrière chacune de ses lignes, pour que les mots tombent, claquent et portent la pensée.
Ce recueil est un bijou, tant par le contenu que par la forme, plus riche encore que ses romans. Si vous devez découvrir l'auteur, ceci est un excellent point de départ.

Quelques lignes sur ces nouvelles :

Les Hauts® Parleurs®
Des déclamateurs publics portés en héros, vecteurs de mots et de pensées qui ne leur appartiennent qu'en partie, s'efforcent d'infuser quelques bribes de liberté dans les oreilles et les coeurs des habitants d'une cité rebelle, quitte à s'improviser contrebandiers idiomatiques. Exprimer ce que le peuple porte en lui s'avère laborieux lorsque la quasi-totalité du lexique se trouve privatisée. Ces quelques héros volant, ces jongleurs du langage, luttent contre cette propriété outrancière et absurde en tentant une nouvelle approche : réinventer une langue qui leur appartiendrait, dont ils pourraient user sans contrainte, quitte à s'attirer les foudres des grands groupes concurrentiels. Par moment, Damasio en fait un peu trop, frôle l'incompréhensible, perd les trois quart de ses lecteurs, mais l'intention est claire, et son amour des mots brillant comme jamais.

Annah à travers la Harpe
Onirique, métaphysique, parfois abstrait. L'amour que l'on voue à un proche ne suffit pas toujours à le ramener. Parfois, il faut s'aventurer plus loin qu'escompté, plonger dans un immatériel qu'on n'osait imaginer, lutter dans les limbes hallucinatoires et passer par des états de conscience atemporels, blindés de souvenirs. L'auteur explore une dimension mystérieuse, à laquelle on croit, ou pas, en suggérant en sourdine que le sacrifice est peut-être la manifestation d'amour ultime. Son récit pourrait sembler personnel, viscéral et lesté de regrets, mais rien n'est moins sûr ; il aime larguer ses lecteurs, le bougre, les abandonner au brouillard, nuancer le réel.
A noter la pertinence de la réflexion sur la surprotection de l'enfant, sur ce technococon destiné à rassurer les parents, mais qui finalement les éloigne de l'Être.

Le bruit des bagues
Le contrôle et le flicage tous azimuts, il est contre, Damasio. Si vous ne l'aviez pas compris, ce recueil vous mettra les points sur les i. Ici, on confond marques et identités, trajectoires et destins, transparence et absence de vie privée. C'est d'une tristesse, d'autant que l'on nage déjà en plein dedans. Même la vie s'achète, le contrôle occupe tout l'espace. Quelques groupes d'individus subsistent, en marge disent-ils, mais cela ne peut durer. L'illusion ne dure qu'un temps. En filigrane, l'auteur intercale un peu d'amour, une note d'espoir peut-être, une vie nouvelle poussée par une nouvelle vie…

C@ptch@
Là, j'ai fait “Mazette, c'est un monstre le Alain !” Avec celle-ci, il frappe fort. En touchant au lien sacré entre parents et enfants, en les séparant dans l'espace, en les condamnant à ne peut-être jamais se connaître, il tend une corde raide d'un bout à l'autre de cette nouvelle. le besoin viscéral de renouer avec la filiation est omniprésent, l'instinct nous impose de retrouver ce lien, le pathos vibre, à peine suggéré, mais tellement poignant. J'ai failli verser la p'tite larme, sur le point final. Lorsque l'existence est condamnée à disparaître, avalée par l'ère numérique, lorsque la chair elle-même est transformée en données, compilée, ajoutée au réseau dans un cérémoniel aux allures de jeu malsain, lorsque l'individu se fond dans la structure binaire, les gosses s'arment comme ils peuvent, et tentent de rejoindre l'autre rive. Ici, les choix narratifs si particuliers de Damasio, mieux dosés, servent vraiment l'immersion du lecteur.
Une chute à la Matrix avec, si ce n'est un “élu”, la capacité latente de transcender les deux dimensions, de faire la nique au réseau. Un bijou !

So phare away
Toute aussi lourde de sens. Damasio exploite ici sa passion du flux, mais dans sa dimension visuelle, puisque lumineuse. Une ville saturée de phares, qui ont perdu leur fonction originelle et peinent de plus en plus à percer la nappe qui les nimbe tous. Les faisceaux parlent et tentent de communiquer, de transmettre leurs messages, pendant qu'il est encore temps. Les couleurs se détachent sur le fond délétère du macadam de la ville, sur ces vagues décrites comme un courant naturel, et qui avalent tout sur leur passage. Symboles de l'information à outrance, de la communication saturée, cette multitude de phares et leur potentiel d'humanité seront bientôt obsolètes, détrônés par une ville plus grande, plus lisse, qui ne souhaite pas inclure ces individualités colorés. Purée, les métaphores sont partout, chez Damasio !
Dispersés dans ce brouillard saturé, quelques humains maintiennent à flot un semblant d'humanité, et parviennent même à tisser, en dépit des embûches de ce monde étouffant, des relations, un amour vrai, trop rare, mais encore une fois porteur d'espoir. C'est récurrent ce qu'il nous conte là, l'auteur, mais tellement essentiel. Alors, lorsqu'il n'y a plus rien à attendre de cette société, on n'a plus qu'à rejoindre l'autre, envers et contre tout, quitte à braver les flots et s'inventer des moyens, des lumières nouvelles. Heureusement, dans cette quête d'un souffle nouveau, parfois, on peut compter sur ces êtres singuliers, qui vous ouvriront peut-être la porte de leur phare.

Les hybres
Je l'ai trouvée fun, celle-là. Une atmosphère fantastique un peu angoissante dans les méandres impitoyables d'un milieu artistique qui corrompt les plus purs. S'il veut rester visible, l'artiste doit devancer ses compères, mais par dessus tout, se surpasser lui-même. Voilà comment l'un d'entre eux, bientôt détrôné par une créatrice au talent improbable, est forcé de reprendre les armes, au sens propre. Oui, le créatif redevient chasseur, et du même coup imposteur, mais ça, le galeriste n'en a cure. Des créatures hybrides que l'on visualise avec une étonnante facilité, et une traque, menée avec expérience, quitte à se sacrifier un peu soi-même. L'homme se dissout dans son oeuvre. Puis, à nouveau, la consécration, l'adulation, car c'est bien tout ce qui compte. Mais à la fin, le plus roublard n'est peut-être pas celui que l'on pensait…

El Levir et le Livre
Je ne saurais dire si j'ai trouvé cette nouvelle terriblement brillante ou tristement confuse. Poétique en revanche, ça ne fait aucun doute. L'anagramme du titre donne le ton : il s'agira de mots, de leur potentiel évocateur, et des transformations qu'ils opèrent chez leur usager. Une quête sous forme de conte, merveilleuse autant que dramatique. Damasio a l'intelligence de nous emmener sur l'un des sites géologiques les plus baignés de croyances ancestrales, en terre australienne, et, en nous ancrant ainsi dans la géographie réelle, il nous aide à accepter la dimension fantastique de son oeuvre.
Un scribe – ou un artiste, on ne sait pas trop -, devenu maître à force d'exercices, est désigné – élu – pour rédiger un livre dont on ne sait pas grand chose finalement. Ce qui est certain, c'est que cette tâche ultime nécessitera la plus grande maîtrise de son art, sur des supports et dans des dimensions impensables, avec l'ingéniosité que seul El LEvir saura puiser en lui-même. Autre certitude : le sacrifice (encore lui) ; en traçant les lettres de cette oeuvre mythique, le scribe apprendra le vrai pouvoir de mots, certes, mais se dissoudra lui-même dans son texte. Dans la consécration, dans l'adulation ou la jalousie de ses pairs, El Levir réalise et traduit ni plus ni moins la passion qui le lie à la langue. Un romantisme exacerbé par ce final… aérien.

Sam va mieux
C'est sombre. Ambiance post-apocalyptique nourrie de déluge, de délabrement, de solitude et de troubles psychiatriques. Ce dernier point est tout juste suggéré, mais bel et bien justifié par une chute encore une fois très poétique. J'ai apprécié cette schizophrénie de la narration, cohérente car nécessaire à la survie. Tout tourne autour des mots et de leurs sonorités – normal, chez Damasio, me direz-vous. La pluie cingle et l'eau ruisselle. On ne sait trop pourquoi, mais le(s) narrateur(s) s'efforce d'apprendre ce langage, ces sons et ces mélodies à celui qui l'accompagne. Son fils ? Comme une obsession, un leitmotiv animant toute son existence et cristallisant leur devenir.
Une mélopée s'élève, maintenant à flot les espoirs de ce personnage trouble. Il faut la rejoindre, à tout prix. Bientôt, une tour, des appels plus présents. Des traces de vie, une compagnie ? Puis la mémoire lui revient, et tout peut recommencer. Ça remue les tripes, étrangement.

Une stupéfiante salve d'escarbille et de houille écarlate
On retrouve l'univers fantasy de la Horde du Contrevent ; il est aussi très doué pour ça Damasio. Ses créations (décors, paysages, effets visuels, créatures…) sont exceptionnellement parlantes. Avec peu de mots, il peint un univers fantasque où l'on s'oublie l'espace d'un instant, et de quelle manière !
Le concept du “mu”, déjà évoqué dans le roman suscité avec les pouvoirs passionnants des chrones, est peut-être ce qui symbolise le plus l'écriture d'Alain Damasio. le mouvement, l'évolution, l'adaptation et le jeu de son écriture se retranscrivent ici sur Île, son personnage principal, ainsi que sur plusieurs autres intervenants. Ils portent en eux le don, plus ou moins maîtrisé, de faire muer les choses. Chronologiquement ou matériellement, ils transmutent et transposent les choses ; ils traduisent et expriment les émotions, aussi, sur les objets qu'ils touchent, souvent dans l'urgence, parfois dans le contrôle. Les matériaux passent d'un état à un autre, retrouvent ce qui fut leur origine, se désassemblent ou se projettent dans ce qu'ils pourraient être, dans un joyeux chaos de créativité. Les éléments et les lois physiques eux-mêmes sont muables. La stabilité est ici proscrite.
Sur une toile de fond d'amour impossible, on se trouve une nouvelle fois plongé dans une joute, une sorte de jeu/course teinté à la fois de divertissement et de cruauté. Aux commandes de cette animation coagulant tous les acteurs de ce monde merveilleux, le Barf. Symbole de l'enfant-dieu (?), la chose reste très mystérieuse, jusqu'à la chute, et ne fait que s'animer, sauter ronfler exiger muer se frotter bref, dépenser son énergie colossale et impossible à canaliser. le Barf se bâfre de vie, et la course qui va se tenir au-dessus du Fleuve Vent est de loin son jeu favori. de la maîtrise du mu dépendra le succès du gagnant.
Ce texte est fort, émouvant, épique, coloré et profondément allégorique, pour qui acceptera de lire au-delà de l'imaginaire fertile de l'auteur.

Aucun souvenir assez solide
Une image fuyante, juste des mots. L'angoisse de l'oubli, souvenir désagrégé. La réanimation… la vie. Replonger à tout prix, revivre la douleur, par crainte de l'effacement. Accepter, ou s'oublier ?

La postface nous apporte de précieuses réflexions et des enseignements sur les intentions d'Alain Damasio, sur ses “combats”, par la mise en lumière notamment de ses choix narratifs et autres allégories. Sous forme d'analyse philosophique (j'y ai un peu retrouvé tout ce que j'abhorrais dans les études de textes à l'école), Systar nous pousse à fouiller notre lecture pour mieux capter ce qui anime l'auteur. Je n'apprécie pas franchement que l'on me dise ce que je dois penser d'une oeuvre d'Art, mais ces quelques pages ont le mérite de nous en apprendre davantage sur la pensée de Damasio.

En résumé, si vous devez découvrir ce dernier, assurez-vous d'y être dûment préparés. Gardez l'esprit ouvert et l'attention ancrée au coeur ! Damasio, c'est politique sans en avoir l'air, Damasio, c'est le langage, les mots comme étendards. C'est le mouvement, omniprésent et fondateur. C'est l'amour, la liberté, l'esthétique, mais la technologie aussi, la domination et l'insoumission. Ça racle le fond de l'âme humaine autant que ça porte l'espoir. Ça vous élève, si vous l'acceptez, vous transforme et vous surprend à en vouloir toujours plus, de ces mots taillés au scalpel, assemblés en tour de guet, érigés avec tellement d'exigence qu'ils portent en eux le principe même de chaos créateur. Ça étincelle de savoir, d'intelligence, d'humanité et d'instinct surtout, parce que le bougre n'écrit pas qu'avec sa tête ; les tripes ne sont jamais bien loin.
Les écrits de Damasio conserveront à jamais leur intemporalité. Plutôt rare, pour un auteur vivant !
Lien : https://editionslintemporel...
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Lire Damasio peut s'avérer déroutant, et l'auteur a quelque chose de clivant dans le style mais dont le talent ne peut que faire l'unanimité.
à ceux qui n'ont pas apprécié certains romans de Damasio (je pense aux Furtifs), lire ses nouvelles donne à voir une autre facette de son talent. C'est là le principal atout de ce recueil, dont les univers sont réhaussés par un artifice de mots.
à lire, par petits bouts si vous préférez, ou d'un coup d'un seul comme moi.
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Alain Damasio. Que dire... Je pourrais sans doute écrire 20 pages remplie d'éloges sur cet auteur. Mais je vais faire plus court. J'ai adoré la Horde. J'ai adoré encore plus la Zone du Dehors. Grâce à Aucun souvenir assez solide, j'ai été émerveillée de retomber dans son univers, de retrouver son écriture, de me laisser entraîner à nouveau dans son imaginaire, de sourire, de pleurer, de vibrer et d'avoir peur pour et avec ses personnages. le conseiller ? Oui ! Mais, avec un léger bémol tout de même :

Ceux qui connaissent déjà Damasio, ruez-vous dessus, vous ne pourrez pas être déçus.
Ceux qui voudraient découvrir cet auteur, je ne vous conseillerais pas forcément de débuter par ce recueil de nouvelles car, peut être, trop jusqu'au-boutiste, trop expérimental, déstabilisant de par l'écriture poussée dans ses retranchement qu'en use Damasio. Lisez un de ses deux autre livres avant.

Mais en détail, Aucun souvenir... contient quoi ? Il contient des nouvelles, 10 exactement. Chacune est un petit bijou ciselé avec précision par l'auteur, chacune détenant la vie, l'audace, l'amour, la musique, rire, pleurs, chants, vitesse, vol, vent... Tous ces thèmes, ses thèmes, on les retrouve dans la Horde et la Volte, ligne directrice, politique, éloge de la Vie, nous sommes en terrain connu et c'est un plaisir énorme qu'on lit, lentement, les 10 textes de l'ouvrage.

Impossible de parler précisément de ces histoires sans en dévoiler déjà trop; enfance volée par la technologie, monde vidé de sens par l'achat des mots, amoureux défiant la lourde logique d'un monde écrasant ou balloté par des contraintes absurdes, solitaire cherchant un sens à sa vie dans le mouvement, vie bridée, encore, par la techno-surveillance perpétuelle de la société... Terrain connu pour ceux qui ont lu ses romans !

Mes préférences à la première de toutes, "Les Hauts Parleurs" où l'auteur donne libre court à son art des jeux de mots à un rythme effréné, au très émouvant "Captcha" et ses enfants perdus, au très prenant "Une stupéfiante salve d'escarbille..." dont la lecture, pourtant, demande une grande attention (comme tous les textes présents, d'ailleurs, tant l'auteur donne l'impression d'avoir à chaque fois expérimenté, testé, essayé une nouvelle manière d'écrire pour notre plus grand plaisir !).
Les autres ne déméritent pas, chacun pourrait avoir son moment de gloire, même si tous ne sont pas au même niveau, chacun est, pris pour lui même, une petite réussite d'inventivité, de poésie, qui repousse à chaque fois plus loin les limites de l'écriture. Et toujours, encore, critique nos vies tenues en laisse dans nos sociétés bien pensantes et nous laissent pourtant à penser qu'il existe autre chose, espérance, vie, liberté... et que rien n'est encore fait (rien n'est écrit !). Tant que de tels textes existeront, certainement.
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