Avant de lire cette biographie (quel vilain mot pour ce court récit d'une vie et d'une acuité incroyable !), je ne connaissais rien de la vie ni de la peinture de Paula M. Becker. Il faut dire que cette artiste peintre allemande est morte prématurément et qu'elle n'a vendu que deux toiles de son vivant, dont une à
Rilke, son cher ami.
Pour une jeune fille de son temps, elle fait preuve d'une étonnante clairvoyance et indépendance. Si elle accepte dans un premier temps la formation d'institutrice à laquelle la destine son père, elle n'a de cesse, encouragée par sa mère, de prendre des cours de dessin et de peinture.
Elle fait le choix d'un mariage d'amitié avec Otto Modersohn tout en échappant à un couple à trois avec
Rilke et son amie Clara Westhoff, qui deviendra l'infortunée femme de ce dernier.
Marie Darieussecq, avec une économie de moyens notable, parvient en 140 pages à nous faire entrer dans l'esprit d'une jeune femme et d'une grande artiste extrêmement moderne, au point que son mari, peintre reconnu, s'apercevra très vite de sa supériorité. Malgré tout, séjourner à Paris, retarder une possible maternité, préserver ses heures de peinture au détriment de sa maison, sont des privautés arrachées à sa condition de femme du début du XXème siècle.
Son regard sur ses modèles (souvent femmes et enfants de conditions modestes, mais aussi son entourage) est sans concession, terriblement innovateur. Elle peint des compositions brutes, sans perspective, où la couleur prend une place très importante. Un bocal de poissons rouges est traité comme une source de couleur et de formes, bien avant Matisse... et elle est la première femme à se représenter nue, puis nue et enceinte, avec un naturel et une absence de chosification remarquable.
Il est étonnant que malgré sa proximité avec
Rainer Maria Rilke, ce dernier n'ait jamais utilisé que l'expression "une amie" pour parler d'elle ("
Requiem pour une amie"). Sa disparition précoce, l'audace incroyable qui lui valut tant de critiques, ont-elles été à l'origine de son effacement jusqu'à ce que sa fille Mathilde créée sa fondation en 1978 ?
Brillamment, Maie
Darrieussecq explore le continuum de ces phénomènes à travers également le devenir de Clara Westhoff, son amie sculptrice, mais aussi la résonance de cette oeuvre dans sa propre pensée et écriture. Une lecture à la fois profonde, instructive et agréable. A ne pas manquer, donc !