C'est un naufrage qui aurait pu ressembler à tant d'autres. Une nuit de juin 1629, le Retourschip Batavia, nouveau fleuron de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, vient s'empaler à pleine vitesse sur une ligne de récifs méconnue au large des côtes australiennes. Impossible de se dégager, le navire est vite considéré comme perdu et, bravant tant bien que mal la mer démontée sur les brisants, équipage et passagers trouvent refuge sur quelques îlots de corail aride, sans abri, ni eau, ni végétation, ni autre gibier que ceux apportés par le ciel et la mer. Réunis sur une simple yole, capitaine et officiers tentent alors ce qu'on pourrait croire impossible : remonter les quelque 3200 km qui les séparent encore de Java pour y quérir de l'aide (l'Australie toute proche est encore inconnue des Européens).
C'est alors que les choses, déjà plutôt mal barrées, versent pour de bon dans l'horreur. Mais pour comprendre, il faut revenir un peu en arrière...
Sur le Batavia, avait embarqué comme officier un certain Jeronimus Cornelisz, ex-apothicaire ruiné bien décidé à se reffaire un semblant de fortune en trafiquant avec les Indes, homme de belle faconde et de moralité assez douteuse, influencé par les hérésies anabaptiste, gnostique et antinomiste. Sur le Batavia, étaient aussi deux caractères antagonistes, dépendant l'un de l'autre mais ne pouvant qu'à peine se supporter: Ariaen Jacobsz, capitaine vieillissant, colérique, pas très satisfait de son sort, et François Persaert, subrécargue, véritable maître à bord puisque représentant les intérêts de la compagnie. Sur ce navire, étaient enfin une belle jeune femme dont nos trois gaillards se disputaient sans succès les faveurs - ainsi qu'un très convoitable trésor, investit par la Compagnie pour s'attirer la bienveillance des potentats indiens.
Autant dire que dame Discorde en presonne se trouvait à bord, avec une pomme grosse comme un iceberg.
Et ce qui devait arriver arriva : parti des belles cabines de la poupe pour gangrener jusqu'à l'entrepont des soldats, mené par Cornelisz avec la complicité du capitaine en personne, un grand projet de mutinerie se développa. Son but ? Rien de moins que s'emparer du navire, du magot, se débarrasser des remprésentants de la Compagnie, de l'équipage resté loyal et des passagers, pour aller couler entre deux océans la grande vie des pirates. Les choses semblaient s'organiser pour le mieux en ce sens quand... vlam ! pas de bol, le rocher.
Les autres officiers partis chercher de l'aide, capitaine et subrécargue inclus, c'est Cornelisz qui se retrouva à la tête des naufragés. Et parce qu'il y avait trop de bouches inutiles à nourir, pour préserver ses projets de mutinerie auxquels il ne renonçait décidément pas, pour conserver la mainmise sur ses hommes, par ennui, par goût bientôt, Cornelisz se mit à organiser le massacre de tous ceux qui ne lui avaient pas fait allégeance. Hommes, femmes, enfants, bébés. Sous de fumeux prétextes d'abord, puis au hasard de l'humeur et sans plus se chercher d'excuses.
Et bientôt, nous voici dans la configuration suivante : un troupeau de malheureux sous la coupe d'une bande de brutes armées menées par un demi psychopathe ; une bande de soldats désarmés dont on avait cru se débarrasser en les envoyant sur un îlot aride mais qui avaient survécu, menés par un homme bien décidé à organiser coûte que coûte la résistance... et là-bas au loin, bien loin, une petite embarcation surchargée qui vogue vaillamment vers Java, la colonie de Batavia, l'autorité du gouverneur.
Ce qui ressemble au scénario d'un film d'aventure, tendance thriller, est bel et bien arrivé, et le livre de
Mike Dash, étroitement basées sur les archives de la Compagnie, n'a rien d'un roman. Il se lit comme tel en revanche, et fait partie de ces ouvrages historiques qu'on aimerait trouver plus souvent : précis, documenté, argumenté, agréablement écrit, capable de ménager un certain suspense par les choix de narration et d'élargir son sujet à tout ce qui permet de mieux le comprendre (de l'historique de la Compagnie des Indes à l'itinéraire personnel des personnages impliqués, de la construction du navire à la redécouverte de son épave dans les années 1960, le tout mêlé d'éléments prudents de théologie et de psychologie criminelle pour tenter de cerner le caractère de Cornelisz).
Une lecture aussi riche que passionnante, à laquelle manque juste une bibliographie pour étoffer et appuyer le propos.
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