Nos besoins d'attachement sont aussi ceux de rupture

Il faut savoir que la poésie contemporaine et moi entretenons des relations faites d'incompréhensions. Si je parviens à en reconnaître sa valeur lorsque l'on me l'expose, j'ai très rarement eu la sensibilité nécessaire pour la saisir de moi-même. Digne fille de Bovary, j'ai eu longtemps tendance à ne jurer que par le roman et sa prose. Par la suite, ma période existentielle adolescente étant passée par là, je trouvais qu'avoir dans sa bibliothèque Les Fleurs du Mal ou Une Saison en enfer était absolument indispensable (et du meilleur effet, cela va sans dire). Certains professeurs m'avaient transmis le goût de la poésie, certes, mais pas sans me léguer au passage une nette tendance à dénigrer les auteurs ne mangeant pas encore les pissenlits par la racine, comme si la qualité d'une oeuvre ne pouvait être véritablement consacrée qu'après la mort de son créateur. Heureusement, on m'a prouvé que j'avais tort. Cela ne sauvera pas les Stephane Meyer et autres E. L. James mais j'ai au moins pu aborder avec un regard neuf ces étranges créatures que sont les poètes contemporains.

Nos besoins est un flot de pensées vives et puissantes mais étrangement douces. Manuel Daull joue avec les mots, les questionne, en use dans d'étranges expériences pour parler de lui, de son vécu, de ses affects mais aussi de quelque chose de beaucoup plus large.

même en courant, je ne suis jamais parvenu à attraper mon ombre

si loin si proche, il est des choses tout près de nous et qui nous restent pourtant inaccessibles — prendre son temps pour obtenir quelque chose n'est pas un gage de réussite.

Car si l'auteur puise dans une matière qui ne saurait être plus personnelle dès lors qu'il écrit, Nos besoins d'attachement sont aussi ceux de rupture, Nos besoin d'attachement part II et Haïkus hors saison, bien qu'ils nous fassent passer d'une prose poétique veinée d'aphorismes à de petits poèmes d'inspiration nippone, partagent une universalité stupéfiante. La quête de sens (ou plutôt les quêtes de sens) que mène Manuel Daull, parfois confiante et assurée, d'autres fois trébuchante et timide, ne peut que faire écho en chacun d'entre nous.

Les ouvrages de la suite de Nos Besoins démontrent tous une attention égale portée à la musique et à l'esthétisme visuel. Si Manuel Daull m'avait séduite avec les sujets dont il parlait, je suis définitivement tombée amoureuse des livres en eux-mêmes et du son de la voix que l'on peut étendre s'y échapper. Peut-être que toi, derrière ton écran, tu vas me trouver pompeuse à m'entendre dire que c'est un plaisir de tous les sens mais je ne peux pas nier qu'oreilles et yeux se trouvent autant contentés que notre âme. Voilà le moment où je commence à utiliser des termes que je m'étais pourtant promise de ne pas utiliser. Il est donc grand temps pour moi de revenir dans la dure matérialité de ce monde...


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