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EAN : 978B084TDJV45
27 pages
philaubooks (14/02/2020)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Un petit texte, très court, de René Daumal, plein de sous-entendus quant à sa démarche spirituelle, fortement influencée par l’enseignement de Gurdjieff.
Ce dernier, personnage indéfinissable qui a influencé bon nombre d’intellectuels et d’artistes, révélé par Fragments d’un enseignement inconnu d’Ouspensky, proposait un enseignement original au début du XXe siècle.
Daumal suivit cet enseignement avec Alexandre De Salzmann, puis avec Mme De Salzmann... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
LA GUERRE SAINTE



extrait 1

     Je vais faire un poème sur la guerre. Ce ne sera peut-être pas un vrai poème, mais ce sera sur une vraie guerre.

     Ce ne sera pas un vrai poème, parce que le vrai poète, s'il était ici, et si le bruit se répandait parmi la foule qu'il allât parler —

     alors un grand silence se ferait, un lourd silence d'abord se gonflerait, un silence gros de mille tonnerres.

     Visible, nous le verrions, le poète ; voyant, il nous verrait ; et nous pâlirions dans nos pauvres ombres, nous lui en voudrions d'être si réel, nous les malingres, nous les gênés, nous les tout-chose.

     Il serait ici, plein à craquer des mille tonnerres de la multitude des ennemis qu'il contient — car il les contient, et les contente quand il veut —

     incandescent de douleur et de sacrée colère, et pourtant tranquille comme un artificier,

     dans le grand silence il ouvrirait un petit robinet, le tout petit robinet du moulin à paroles,

     et par là nous lâcherait un poème, un tel poème qu'on en deviendrait vert.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 5

     Des autres guerres — de celles que l'on subit — je ne parlerai pas. Si j'en parlais, ce serait de la littérature ordinaire, un substitut, un a-défaut, une excuse. Comme il m'est arrivé d'employer le mot « terrible » alors que je n'avais pas la chair de poule. Comme j'ai employé l'expression « crever de faim » alors que je n'en étais pas arrivé à voler aux étalages. Comme j'ai parlé de folie avant d'avoir tenté de regarder l'infini par le trou de la serrure. Comme j'ai parlé de mort, avant d'avoir senti ma langue prendre le goût de sel de l’irréparable. Comme certains parlent de pureté, qui se sont toujours considérés comme supérieurs au porc domestique. Comme certains parlent de liberté, qui adorent et repeignent leurs chaînes. Comme certains parlent d'amour, qui n'aiment que l'ombre d'eux-mêmes. Ou de sacrifice, qui ne se couperaient pour rien le plus petit doigt. Ou de connaissance, qui se déguisent à leurs propres yeux. Comme c'est notre grande maladie de parler pour ne rien voir.

     Ce serait un substitut impuissant, comme des vieillards et des malades parlent volontiers des coups que donnent ou reçoivent les jeunes gens bien portants.


     Ai-je donc le droit de parler de cette autre guerre — celle que l'on ne subit pas seulement alors qu'elle n'est peut-être pas irrémédiablement allumée en moi ? Alors que j'en suis encore aux escarmouches ? Certes, j'en ai rarement le droit. Mais « rarement le droit », cela veut dire aussi « quelquefois le devoir » — et surtout « le besoin », car je n'aurai jamais trop d'alliés.


     J'essaierai donc de parler de la guerre sainte.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 4

     Ce ne sera pas non plus une invocation magique, car le magicien demande à son dieu : « Fais ce qui me plaît », et il refuse de faire la guerre à son pire ennemi, si l'ennemi lui plaît ; et pourtant ce ne sera pas davantage une prière de croyant, car le croyant demande à son mieux : « Fais ce que tu veux », et pour cela il a dû mettre le fer et le feu dans les entrailles de son plus cher ennemi, — ce qui est le fait de la guerre, et la guerre est à peine commencée.

     Ce sera un peu de tout cela, un peu d'espoir et d'effort vers tout cela, et ce sera aussi un peu un appel aux armes. Un appel que le feu des échos pourra me renvoyer, et que peut-être d’autres entendront.


     Vous devinez maintenant de quelle guerre je veux parler.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 2

     Ce que je vais faire ne sera pas un vrai poème poétique de poète, car si le mot « guerre » était dit dans un vrai poème —

     alors la guerre, la vraie guerre dont parlerait le vrai poète, la guerre sans merci, la guerre sans compromis s'allumerait définitivement dans le dedans de nos cœurs.

     Car dans un vrai poème les mots portent leurs choses.

     Mais ce ne sera pas non plus discours philosophique. Car pour être philosophe, pour aimer la vérité plus que soi-même, il faut être mort à l'erreur, il faut avoir tué les traîtres complaisances du rêve et de l'illusion commode. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des traîtres à démasquer.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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LA GUERRE SAINTE



extrait 3

     Et ce ne sera pas non plus œuvre de science. Car pour être un savant, pour voir et aimer les choses telles qu'elles sont, il faut être soi-même, et aimer se voir, tel qu'on est. Il faut avoir brisé les miroirs menteurs, il faut avoir tué d'un regard impitoyable les fantômes insinuants. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des masques à arracher.

     Et ce ne sera pas non plus un chant enthousiaste. Car l'enthousiasme est stable quand le dieu s'est dressé, quand les ennemis ne sont plus que des forces sans formes, quand le tintamarre de guerre tinte à tout casser, et la guerre est à peine commencée, nous n'avons pas encore jeté au feu notre literie.



/Prose poétique publiée dans la revue Fontaine n° 11 (1940)
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