MOI ET MOI
Incident de frontière entre rêve et veille :
un épuisement soudain m'ensevelit, je sommeille sur un divan.
Quelqu'un entre : j'entends, je n'entends pas, je dors,
je m'éveille, je continue à dormir.
En un instant naît la scission mémorable.
Moi-qui-veille se lève et montrant au nouveau venu
Moi-qui-dors toujours étendu sur le divan dit en se
penchant :
— « Il dort. »
Sans la moindre angoisse.
La crainte commence à saisir Moi-qui-veille quand
Moi-qui-dors s'agite et crie en proie aux lémures du
profond sommeil. Moi-qui-veille se tournant vers son
hôte dit finement :
— « Il rêve. »
Moi-qui-dors se dresse brusquement sur son séant.
Moi-qui-veille poussé par un souvenir de solidarité
l'aide à se dresser complètement.
Spectacle unique: Moi-qui-veille prend le bras de
Moi-qui-dors, comme on fait à un convalescent et tous
deux (ou tout un en deux) font au pas le tour de la chambre.
Au secours ! Moi-qui-dors chancelle, Moi-qui-dors
s'affaisse. Il échappe à Moi-qui-veille et tombe très
lourdement sur le sol. Son crâne rebondit.
Moi-qui-veille, toujours debout, le contemple, puis,
inquiet, se tourne vers son hôte et dit :
— «Très ennuyeux, quand il faudra que je rentre
là-dedans (et il indique du pied Moi-qui-dors étendu,
inerte) je me trouverai courbaturé et j'aurai mal à la
tête pour le reste de la journée. »
p.116-117
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