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3,9

sur 1257 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Merci aux éditions Gallimard et à Babelio pour ce roman de la collection "du monde entier", petit par le format mais grand par son contenu et son auteur : Erri de Luca. Impossible est un roman qui fleure bon les vacances et le dépaysement ( même si c'est un sujet sérieux ) avec sa superbe vue des Dolomites et quelques mots d'italien qui essaiment le roman, merci à la traductrice.
Dans ce roman un homme est soupçonné de meurtre, coupable, non coupable ? C'est ce que nous allons essayer de découvrir. À travers cette histoire, deux portraits très intéressants et une analyse du vingtième siècle et vingt-et-unième siècle où l'homme est passé du collectivisme à l'individualisme.
Le suspect a vécu sa vie suivant ses idéaux, a fait de la prison mais ne s'est jamais renié et n'a pas trahi ses camarades. Il est malin, joue avec les mots, mène la danse par sa sagesse et sa maturité.
Le magistrat est jeune, croit à la justice et va entrer dans cet espèce de bras de fer, il est intrigué par ce prévenu, témoin d'une autre époque, porteur d'autres valeurs.
Quant à la victime, elle a trahi tout son groupe et ses amis pour rester libre, a-t-il fait une chute en montagne où a-t-il été poussé.
Erri de Luca nous sert un récit intelligent, une critique de notre société sans jugement des personnages.
Avec son jeu du chat et de la souris, Erri de Luca nous laisse réfléchir à nos propres valeurs, un excellent roman et de belles pensées comme toujours avec cet auteur.

Rentrée littéraire 2020
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"Un ancien membre d'un groupe révolutionnaire italien, alpiniste chevronné, est retenu en garde à vue. Son vieux compagnon de route a été retrouvé au fond d'un ravin. Accident, meurtre ? La force du roman tient dans l'équilibre entre les allers et retours du narrateur sur sa vie et ses engagements politiques et le face à face entre deux générations qui s'observent et se défient. Un jeune magistrat interroge un homme dans la force de l'âge. Mais comment interroge-t-il ? « Il existe deux verbes qui signifient demander, l'un sert à demander pour savoir, l'autre à demander pour obtenir. Quand le magistrat insistait avec ses questions, il disait qu'il voulait savoir la vérité. Ce n'est pas vrai. Il interroge pour avoir une confirmation de ce qu'il croit déjà savoir. Il n'utilise pas le verbe de la curiosité de celui qui veut s'informer ou connaître une vérité. »
Imperturbable, le narrateur répond inlassablement aux questions du magistrat qui s'étonne que le hasard ait placé « les deux hommes sur le même chemin, le même jour et à la même heure » ? « C'est une coïncidence. » « Impossible » répond le magistrat pour qui « la coïncidence est un indice… Si on lui attribuait la valeur numérique d'une probabilité, on aurait le chiffre zéro suivi d'une virgule et d'autres zéros. » S'ensuit une analyse sémantique implacable : « Impossible, c'est la définition d'un événement jusqu'au moment où il se produit. Vous aurez beau mettre tous les zéros que vous voulez, la statistique et vous ne pouvez nier les coïncidences… Les coïncidences sont une constante, elles n'ont rien de rares… En tant que personne présente sur place, je sais que votre impossible s'est produit. »
Dans ce récit, chaque mot est à sa place. Les propos échangés, sans haine ni mépris, suscitent une réflexion sur l'idéalisme, la camaraderie, la trahison, et nous font entendre l'écho que peut rencontrer une parole juste."
Elisabeth Dong pour Double Marge
Lien : https://doublemarge.com/impo..
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Encore…un petit trésor que ce dernier ouvrage traduit d'Erri de Lucca, dont j'apprécie infiniment le style, la simplicité et la force de ces récits. Ce dernier ne fait pas exception ; Un texte court et d'une intensité toujours époustouflante !

Ce dernier opus d'Erri de Luca que je souhaitais lire dès sa parution…a été détrôné très momentanément. Je me souviens qu'un autre ouvrage a capté toute mon attention dans l'instant et a reporté momentanément mon élan. …Voilà, je répare mon retard !!

Le narrateur (comme un double de l'écrivain) se trouve accusé d'un homicide ; homicide d'un ancien ami de lutte qui a trahi…ses camarades. le narrateur, passionné par la montagne, fait une escalade, voit de loin un homme qui le précède dans cette marche… Notre « héros » progresse dans sa grimpe, et découvre cet homme au fond d'un ravin, il appelle , prévient les secours… et il se retrouve emprisonné ; le mort , dans la montagne, étant un de ses grands amis de lutte et de militantisme… qui deviendra un traître et fera basculer la vie de ses compagnons en les dénonçant, en les envoyant en prison. le magistrat, en charge de cette affaire, devant ce hasard des plus incroyables , est convaincu que cela ne peut pas être une simple coïncidence, qu'obligatoirement, notre héros est « coupable », a voulu se venger de cette trahison ancienne. Il s'acharnera à le faire avouer, à le pousser dans ses retranchements. Les interrogatoires tout à fait étonnants du magistrat envers le « présumé coupable m'ont fait étrangement songer à un autre face à face , redoutable et ambigü ; Je voulais nommer le film de Claude Miller (1981) interprété par Lino Ventura et Michel Serrault, « Garde à vue »

A ces interrogatoires incroyables, déroutants, alternent les lettres qu'il écrit à la femme qu'il aime… L'occasion de parler, réfléchir, discuter de thèmes chers à l'écrivain : La beauté de la Montagne, La Nature, l'engagement politique, l'idéal premier du communisme, la fraternité dans le partage des convictions, la mort, la liberté, le sens et la valeur que l'on souhaite donner à son existence, l'amour, le silence, le refus d'obéissance et de soumission à un gouvernement, la colère des injustices sociales, les méfaits du capitalisme…La foi, l'Amitié, et cette passion de la nature, de la montagne qui fait oublier la folie des hommes…

Un style sobre , élégant, efficace, poétique qui va à l'essentiel, à l'universel d'un parcours d'homme… Toujours de magnifiques passages pour parler de cette Montagne…tant chérie par Erri de Luca !

« La montagne, immobile par nature, est un mobile. C'est exactement ça : elle attire à elle. Chacun a ses propres raisons d'y aller. La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance. Je rejette le monde entier derrière moi. Je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde sans nous, comment il sera après. Un endroit qui n'aura pas besoin qu'on le laisse en paix. (p. 20)”

J'achève ce “billet”… par cet extrait explicitant au plus près le noyau de cette narration:

« Tu sais qu'on m'accuse d'avoir poussé dans le vide du haut d'un sentier un camarade de nos vieilles luttes politiques, devenu ensuite un délateur. A l'époque, nous étions amis. On dit amis pour la vie, mais cette expression ne lui suffisait pas, car la vie est imprévisible. Il disait que nous étions amis par le sang. Mais nous n'avons pas fait le pacte en nous entaillant la paume de la main et en mêlant nos deux sangs. Il me l'a demandé, mais je n'ai pas voulu. Ce geste aurait exclu les autres camarades.
Dans ces années agitées, l'amitié était un échange d'aide, en sachant qu'elle serait immédiate et sans explications. On était unis par une volonté commune.
Nous nous étions coupés de nos familles à l'arrachée (...) Nous pratiquions une autre appartenance. L'amitié remplaçait l'affection familiale en faisant de l'autre un frère, un père, un fils. « (p. 99)

Restent un vrai suspens, une attente d'une réponse…Mais cela c'est une autre histoire qui peut laisser sur une sorte d'inachevé ou de frustration… mais la progression du récit est telle que la réponse, au final, n'est plus l'urgence première… ! Un très , très fort moment de lecture et de réflexion, à la lumière de cette histoire-fable !


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J'ai découvert Erri de Luca il y a plusieurs décennies, à travers un petit livre peu connu, « Première heure », dans lequel l'auteur revient sur sa lecture quotidienne de la Bible en hébreu ancien. « Tous les matins, la tête vide et lente, j'accueille les paroles sacrées. » Agnostique, Erri de Luca extrait de ses lectures matinales son interprétation toute personnelle du texte « originel » et offre au lecteur son « exégèse », marquée par une fraîcheur étonnante, de textes bien connus de l'ancien Testament, tels que « David et Goliath » ou « Samson et Dalila ».

En poursuivant ma découverte de l'oeuvre prolifique de l'auteur italien, j'ai saisi que celle-ci creusait deux sillons en parallèle. le premier sillon que l'on peut qualifier de mystique, explore le texte hébreu de l'ancien Testament et nous en propose l'interprétation originale et inspirée de l'auteur au travers de plusieurs recueils dont les plus saillants sont « Première heure » et « Noyau d'olive ». le second sillon nous propose une oeuvre romanesque plus classique, dont les thèmes de prédilection sont l'amour indéfectible d'Erri de Luca pour la montagne que « Le poids du papillon » nous restitue avec une grâce touchante, ainsi que l'engagement politique qui marqua ses années de jeunesse, un thème exploré dans un roman inoubliable, sans doute son chef d'oeuvre, « Trois chevaux ».

Paru en 2019, « Impossible » est la dernière publication de l'auteur, alpiniste chevronné, et se présente sous la forme d'un roman au sens classique du terme, même si un lecteur assidu perçoit ici et là l'influence des lectures « bibliques » de l'auteur, notamment lors des digressions philosophiques dont il est friand.

Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme, le narrateur, donne l'alerte. Les deux hommes faisaient partie du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, au cours des « années de plomb ». le premier a livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Il a ainsi échappé à la prison, contrairement à ses camarades, dont le narrateur, qui ont purgé de lourdes peines. S'agit-t-il d'une « impossible » coïncidence ou d'un crime ? Au travers de l'interrogatoire du narrateur par un juge qui a la moitié de son âge, « Impossible » explore les thèmes chers à Erri de Luca.

Le roman alterne les passages où le narrateur est longuement interrogé par un juge d'instruction, qui estime que l'hypothèse d'une simple coïncidence est « impossible » et place l'alpiniste en détention, avec les lettres d'amour aussi introspectives que touchantes, que celui-ci adresse à sa bien-aimée depuis la prison, où il séjourne le temps que la vérité sur l'étrange accident du traître soit établie.

Lors des premiers interrogatoires, le jeune juge tente d'établir, de la manière la plus précise, le déroulé des faits. On comprend que le narrateur (qui n'est jamais nommé autrement que par la simple lettre R.) est un alpiniste expérimenté qui effectuait une marche ardue dans les Alpes italiennes lorsqu'il a aperçu au loin un homme qui empruntait le même sentier que lui, avec plusieurs heures d'avance. L'homme accélère et le héros le perd de vue. Il le voit à nouveau deux heures plus tard, marchant craintivement le long d'un passage difficile, appelé vire. Lorsqu'il emprunte lui-même la vire, il aperçoit les signes d'un éboulement récent, ainsi que des vêtements indiquant qu'un corps est tombé au fond de la crevasse créée par l'éboulement. Il appelle immédiatement les secours, reste sur place pour indiquer à l'hélicoptère la position exacte du drame et rebrousse chemin.

A son retour, il est immédiatement convoqué par la justice. le juge estime que le caractère fortuit de l'histoire racontée par le héros est plus qu'improbable. La seule explication est selon lui, un meurtre prémédité, maquillé en coïncidence ou éventuellement la survenue d'une bagarre tragique entre les deux anciens amis.

Le narrateur endure son nouvel emprisonnement avec stoïcisme et ne change pas son récit d'un iota, malgré l'insistance du juge, qui tente désespérément de lui faire avouer le meurtre de celui qui a autrefois trahi ses camarades, pour préserver sa liberté, quitte à perdre son honneur. Il a décidé d'assurer lui-même sa défense et refuse toute coopération avec l'avocat commis d'office nommé par le ministère public.
« A mon âge, la prison prive de peu. Une peine appropriée serait de retirer les montagnes de mon passé, de les effacer de mes mains, de ma respiration. Mais elles sont en sécurité dans la soute de mes sens. Votre pouvoir sur moi se limite au petit présent ».

« Impossible » est un roman où la tension va crescendo, le juge se montre particulièrement insistant lors des longs interrogatoires qu'il inflige à son prisonnier qui est prêt à aller jusqu'au procès. La structure narrative du livre interrompt à intervalles réguliers cette tension, en nous proposant les longues missives que le narrateur adresse à celle qu'il nomme « ammoremio ». Ces lettres reviennent sur son amour indéfectible pour la montagne ainsi que sur les fameuses « années de plomb » auxquelles il a participé activement, une participation qu'il paiera au prix fort, celui de longues années de réclusion.

« Impossible » est roman à la construction habile, dont l'enjeu dépasse la disparition d'un homme dans une crevasse alpine. le tour de force de l'auteur réside dans cette faculté à construire un récit haletant, qui se dévore tel un roman policier, tout en creusant une nouvelle fois le sillon des thèmes qui lui sont chers : l'immanence et la beauté de la montagne, les failles de la justice des hommes, la trahison qui voit le traître renier avant tout ses propres convictions, le sens de l'honneur, l'engagement, la profondeur de l'amitié qui unit des « camarades » engagés pour une cause qui transcende leur lien, et l'amour aussi.
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"Impossible", le dernier né d'Erri de Luca est d'une grande qualité. Les échanges, entre le magistrat et le narrateur qui est accusé d'avoir provoqué la chute mortelle en montagne d'un ancien camarade de lutte politique, sont riches et très habiles.
Si les échanges sous forme de questions-réponses sont soignés, la mise en forme ne l'est pas moins. le choix de la police et de style pour distinguer les moments, que ceux-ci se passent dans le cabinet du magistrat ou que ce soient les lettres que le narrateur envoie à la femme qu'il aime, est extrêmement bien choisi et vient parfaire l'impression très positive d'ensemble de ce roman.
Dans la qualité et la force des dialogues, j'ai parfois pensé (même si le sujet n'est pas le même) au "banquier anarchiste" de Fernando Pessoa.
Si le narrateur nous dit en parlant de son ami mort après cette chute "au lieu de partager la défaite et les peines, il nous a tous trahis, moi compris" il ne trahira, lui, à aucun moment ses convictions, et son âme.
Pour toutes ces raisons, j'ai aimé ce livre et remercie babelio et les éditions Gallimard pour l'envoi en avant première de ce roman.
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J'ai aimé la lecture de ce face-à-face....
Face-à-face judiciaire entre un juge et un homme, âgé, ancien brigadiste, déjà emprisonné dans sa jeunesse, accusé ce jour d'avoir tué celui qui les avait trahis autrefois. Ou était-ce un accident de montagne ? L'homme a glissé et est tombé ?

Ce face-à-face permet une réflexion autour de l'histoire italienne, de l'engagement, de la notion de justice, de la vengeance...
Je me suis régalée du début à la fin ! Un style magnifique en outre....

Très belle lecture !
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Le vieil homme et le juge.

C'est un court roman de moins de 200 pages mais il m'a demandé du temps et de la concentration comme une virée sur les sentiers escarpés des Dolomites où nous emmène Erri de Luca.

Prendre de la hauteur autour de thèmes majeurs comme la question de l'engagement révolutionnaire, le pourquoi de tels actes, l'incapacité et l'immobilisme d'un pouvoir étatique, la justice et le bien collectif. Sans oublier l'humain, bien sûr, l'amour, l'amitié autour d'un idéal. Les trahisons que l'on fait à soi même et aux autres.

Le narrateur, un vieil homme et alpiniste chevronné est soupçonné d'avoir provoqué en montagne la chute mortelle d'un ancien camarade qui dans le passé avait dénoncé leur groupe révolutionnaire.
Mis en cellule d'isolement, il est face à un jeune juge qui s'entête à lui faire avouer ce crime par vengeance. Il y a peut-être une part de vécu dans ce roman quand Erri de Luca a été jugé pour ses propos contre la ligne de TVG Lyon-Turin en 2015 et heureusement relaxé.

L'interrogatoire entre le prévenu et le juge est tendu, non sans piège. Mais le piège renferme des surprises, il n'est pas là où on l'attend. le questions-réponses incisif et intrusif prend la forme d'un d'un échange vigoureux et rigoureux entre deux hommes que tout oppose, l'âge, les fonctions, les convictions, leur posture, entre celui qui a le pouvoir et celui qui manie les mots avec intelligence et prudence.

J'ai aimé l'importance donnée à la signification des mots, à leur racine, à leur juste place dans l'utilisation que l'on en fait et qui n'échappe pas à la magnifique traduction de Danièle Valin.
J'étais en d'admiration devant dialogues menés de main de maître, l'obstination de l'un, la force de l'autre.

Mais ce que le juge ne sait pas, c'est que l'homme qu'il accuse, écrit derrière les barreaux de sa cellule grise. Il écrit sans les envoyer ‘des lettres comme des pensées » à la femme qu'il aime et qui est loin, à son Ammoremio.
Les missives sont des échappées salutaires très poétiques, sublimes et touchantes. Très intimes, elles recèlent la vérité de celui qui est détenu, sa part intrinsèque d'humanité, son amour pour la femme de sa vie, les sommets de ses montagnes, la nature et la vie.

Je remercie infiniment Babelio et les éditions Gallimard pour cette belle découverte dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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Ils sont deux.

Deux, face-à-face. Qui s'affrontent, comme deux chamois mâles, qui ont pu être frères, mais qui devenus adultes, ne se feront pas de cadeau dans l'affrontement.

Celui qu'affronte au début du récit le narrateur, c'est un magistrat.
Il est jeune, beaucoup plus jeune que le narrateur, et il n'a pas connu l'époque des « années de plomb » dont il est question. Et il est persuadé de la culpabilité du narrateur, et il veut le prouver.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire de montagnes.
Le narrateur est parti faire de l'escalade dans un endroit très escarpé. Il était seul, il a juste aperçu un autre alpiniste devant lui, est arrivé près d'une crevasse et a aperçu un corps, tout au fond. Il a donné l'alerte, a attendu les secours, puis il est reparti. Et il est redescendu dans la vallée.
Mais le magistrat a une autre version : l'alpiniste devant lui était quelqu'un que le narrateur connaissait très bien : ancien camarade de jeunesse, ils ont ensemble combattu avec les forces d'extrême gauche contre le capitalisme. Mais ce camarade, ce frère de coeur, a commis l'irréparable : il a dénoncé ses camarades pour bénéficier d'une remise de peine. Dénoncé, le narrateur, comme ce qui ont été dénoncé avec lui, a purgé une longue peine de prison.

Or voilà que ce traitre, puisqu'il faut bien utiliser ce mot, était lui aussi dans la montagne. Mais lui n'en ai jamais redescendu.
Accident de montagne ? Homicide ? Tout est là et ce seront là les échanges entre le magistrat et l'accusé qui vont être consignés comme un procès verbal d'audition pourrait le faire.
Dans ce court récit, le grand écrivain italien Erri de Luca explore la question de la vengeance contre un traitre qui a été précédemment un frère de coeur.

Peut-on tourner la page et oublier complètement son passé ? L'enferment en prison laisse-t-il des traces, après le retour à la liberté ? Et si l'occasion se présente, un homme trahi se vengerait-il du traitre qui l'a livré ?
La douceur vient du contrepoint du récit : Erri de Luca alterne les procès verbaux de l'interrogatoire, avec des lettres que le narrateur écrit à sa dulcinée. L'occasion de s'expliquer auprès d'elle sur ses sentiments et ses sensations, mais aussi de déployer son argumentation auprès de sa magistrat qui, bien que persuadé de la culpabilité de son prévenu, l'écoute, curieux du récit de cette époque, avec de plus en plus d'intérêt.

Fascination ? Curiosité ? Admiration ? Difficile de dire ce qui anime le magistrat au travers de cet interrogatoire. Avec celui-ci le lecteur revisite cette période historique de l'Italie des années 70 : Erri de Luca s'explique au travers de cet « Impossible » sur un passé tourmenté sur lequel il n'avait encore jamais écrit.

On songe au "Poids du papillon", que j'avais chroniqué aussi ici, où il était question de femme, mais aussi de solitude, et de l'incapacité de l'espèce humaine à être dans l'instant présent. J'y vois comme un prolongement du même récit, mais avec de nouveaux protagonistes.

Un texte très dense, pur comme un diamant, qui pose de vraies questions sur l'honneur, l'engagement, la fidélité à ses convictions, et l'attachement à des valeurs.

Du très grand Erri de Luca, quoi qu'il en soit.

Lien : https://versionlibreorg.blog..
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Ce livre est un double dialogue.
Entre un magistrat et un " gardé à vue" et entre ce gardé à vue et une inconnue . Cela engendre une construction remarquable et un roman qui l'est autant.
Le magistrat s'intéresse à un homme qui a appelé les secours après avoir vu un homme chuter en montagne. Mais il s'avère que les liens entre le témoin et la victime sont très étroits et remontent à plus de quarante ans. Peut on vraiment alors parler de hasard ?

Ce roman m'a soufflé, tant il est bien construit, bien écrit et d'une intelligence si fine que chaque phrase engendre la réflexion.
Il y a bien entendu le face à face entre le magistrat et le détenu, qui sort des sentiers battus de ce genre de confrontation. La joute orale est magnifique entre le représentant de l'état qui cherche la vérité et l'acculé qui démonte tous les arguments . le dialogue prend des tournures personnelles, retrace des choix de vie , de fidélité, de conviction.
Il y a aussi ces lettres écrites en prison qui sont finalement des introspections qui affirment encore plus le caractère du "témoin/accusé".
C'est un livre qui oppose deux personnes qui ont le même but dans la vie : L'intégrité, la fidélité , le respect des règles. Même but, mais pas même cause.
Qui, oppose aussi deux générations et donne une image apaisée de l'âge avancé.

Les phrases pourraient souvent être extraites tant elles sont intelligentes et raffinées.
C'est donc une oeuvre dense, forte où la montagne , son immensité, sa dureté, son caractère impitoyable, forme un décor idoine à cette histoire.
Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour leur confiance.
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Où Erri de Luca nous prouve qu' il n' est pas nécessaire de noircir 500 pages pour écrire un très bon livre
Parce qu' il y'a tout dans cette confrontation entre le jeune juge idéaliste et pugnace et le vieil animal politique , ex prisonnier , roublard et subtil
La montagne d'abord, toujours présente avec Erri de Luca. Tout là-haut, où est la vérité entre ces deux hommes autrefois amis, et séparés par la trahison lointaine de la victime .Vengeance préméditée comme le pense le juge ou simple accident ?
Commence alors un interrogatoire à charge .Le juge utilise tous les moyens pour prouver ma culpabilité : la prison, l' isolement, le bluff.
En face, les réponses sont cinglantes.Mais le juge insiste, fort de sa position de représentant tout puissant et intègre de la Justice, qui est toute sa raison de vivre
Petit à petit, ce qui ne était qu' un interrogatoire prend une hauteur quasi métaphysique
Le juge ne baisse pas les bras mais est subjugué par ce que lui raconte son prisonnier
Arrivent alors de très belles pages sur l'amitié , la trahison, l'engagement politique ,la solitude, ,l'amour,la vieillesse , bref sur le sens de la vie
La certitude de faire le bien à travers la justice des hommes , c' est l'idéal tout à fait respectable du jeune juge
Mais ses certitudes vont se heurter à la force du récit de son supposé coupable
Le juge ne lache rien mais comprend vite qu' il a beaucoup à apprendre de son interlocuteur
Il ira même jusqu'à rêver d' une improbable amitié qui se heurtera à l' impassibilité du vieux renard politique
Je connaissais surtout un Erri de Luca poète et montagnard
Dans ce texte très beau, il rappelle son engagement politique très fort
C' est un livre de la maturité tant littéraire que personnelle
Un texte épuré, poétique et grave

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